Société

Bébé désiré, aide demandée

Un enfant, ça n’a pas de prix. L’infertilité, elle, a un coût, monétaire autant qu’affectif. Il y a un an, le programme de procréation assistée gratuit venait à la rescousse des couples infertiles. Qu’en pensent ces derniers?


 

Pour avoir un enfant, Gitane Blanchette et son conjoint, Serge Lévesque, ont déjà déboursé 25 000 $, vendu leur maison, emprunté de l’argent à leurs parents… et parcouru à six reprises les 652 km – huit heures de route – qui séparent Baie-Comeau du Centre de reproduction McGill, à Mont­réal. « Nous étions prêts à tous les sacrifices », dit l’infirmière de 37 ans.

Alors, quand le ministre Bolduc a annoncé, en juillet de l’an dernier, la naissance d’un programme de procréation assistée gratuit, le couple a poussé un soupir de soulagement.

« L’infertilité, c’est dur pour le corps, dur pour le moral et dur pour le couple, explique Gitane Blanchette. Mais, au moins, nous n’aurons plus de problèmes d’argent. »

De leur côté, Sophie, 33 ans, et son compagnon tentent depuis six ans d’avoir un enfant. « En quatre mois, nous avons dépensé 20 000 $ en vain, raconte la jeune enseignante de Lanaudière. L’argent s’est envolé comme si on avait joué au casino. »

Mince consolation, ils ont été parmi les premiers couples à profiter du nouveau programme. La clinique Ovo – une des plus importantes cliniques de fertilité privées – les a convoqués le lendemain de l’annonce du ministre Bolduc. « Dans la salle d’attente, il n’y avait plus un siège de disponible, dit-elle. Un dimanche! »

Le programme de procréation assistée est populaire, très populaire. À la clinique Ovo, on a dû doubler la superficie des locaux, tandis que le Centre de reproduction McGill a vu le nombre de ses patients multiplié par deux. Lorsqu’on téléphone, un message d’excuses se fait entendre. Pour prendre rendez-vous, le temps d’attente est de 30 minutes!

Malgré cela, les patients sont contents et les spécialistes qui travaillent en fertilité aussi. « Je peux enfin faire de la médecine et cesser de parler d’argent », dit l’obstétricienne Louise Lapensée, de la clinique Ovo. « Auparavant, quand un couple n’avait pas les moyens de se payer une fertilisation in vitro (FIV), on explorait d’autres avenues, moins coûteuses mais souvent mal adaptées à son problème. » La clinique Ovo a revu son organisation de fond en comble. « Nous avons recruté de jeunes médecins qui dispensent les soins de première ligne, ajoute-t-elle. Les experts en fertilité peuvent donc se consacrer aux cas plus complexes. »

Tout semble donc baigner dans l’huile. Pourtant, lors du lancement du pro­gramme à l’été 2010, plusieurs acteurs du système de santé avaient émis des doutes. Le Collège des médecins trouvait qu’on allait trop vite. La Fédération des médecins spécialistes affirmait qu’on n’avait pas les moyens de se payer un tel programme. « Programme qui, d’ailleurs, n’a pas été demandé par la population mais par un lobby », lançait alors son coloré président, Gaétan Barrette. L’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec s’inquiétait pour sa part de la pénurie d’obstétriciens et d’infirmières cliniciennes, qui existait déjà avant la mise sur pied du programme.


 

Un couple québécois sur huit est infertile.

Chez 15 % des couples qui éprouvent de la difficulté à concevoir, on n’arrive pas à trouver les causes d’infertilité.


 

Parcours du combattant
Couverte ou non, la procréation assistée reste un parcours semé d’embûches. Gitane et Serge, dont le compte de banque était à sec et pour qui le programme représentait une chance supplémentaire, viennent de connaître un nouvel échec. « Ça fait 15 ans qu’on essaie d’avoir un bébé, dit Gitane d’une voix lasse. Et on est en traitement depuis six ans. On ne sait même pas si on veut revoir le médecin pour faire le point. »

L’infertilité peut ébranler les couples les plus solides. C’est le cas de Stéphanie et Charles. En cinq ans, ils ont essayé l’insémination artificielle à quatre reprises, de même que la fécondation in vitro, toujours sans succès. « C’est moi qui suis responsable de l’infertilité, raconte Charles. Je n’en pouvais plus de voir ma con­jointe pleurer. Je n’étais plus capable d’entendre les farces plates des collègues qui me disaient : “Passe-la-moi ta blonde, je vais le régler ton problème.” Nous avons fini par nous séparer. »

Aux deuils répétés s’ajoute le stress physique. « On nous prescrit des hormones qui nous rendent gonflées et irritables, explique Sophie. Ensuite, il faut se donner soi-même des injections pour stimuler l’ovulation. Le prélèvement d’ovules est douloureux. Puis, il faut attendre, attendre et attendre… »

Il y a quand même des histoires qui finissent bien. L’ex-patineuse de vitesse et championne olympique Isabelle Charest est mère de deux enfants grâce à la fécondation in vitro. Le petit Noah a été conçu sans problème à la première tentative. Mais pour sa sœur, cela a été beaucoup plus difficile. Après plusieurs essais ratés – en raison de problèmes chromosomiques –, Ellie est née en 2009. « Au départ, nous voulions quatre enfants, raconte Isabelle. Mais je n’ai pas le courage de tout recommencer! »

Le programme du Dr Bolduc est là pour rester. On y a injecté 32 millions de dollars la première année et, à partir de 2014, on y versera 63 millions par an. On prévoit aussi augmenter l’offre de service dans le réseau public : le CHUM, les Centres hospitaliers universitaires de Québec et de Sherbrooke de même que l’Hôpital Sainte-Justine offriront la fécondation in vitro.

Trop cher?
Avons-nous les moyens de nous payer ce programme? La question est délicate. Marc Van Audenrode, économiste spécialisé dans les questions de santé, croit qu’on gère le système de santé de façon trop émotive, alors que celui-ci monopolise 45 % des dépenses publiques. « Tout le monde est d’accord pour que les soins de santé soient accessibles, dit-il. Mais accessible doit-il signifier gratuit? D’autant que l’infertilité ne met pas la vie des gens en danger. »

La question des coûts révolte Sophie, qui a dépensé 20 000 $ en quatre mois dans l’espoir d’avoir un bébé qui n’est toujours pas là. « On entend des gens dire qu’ils refusent de payer pour ceux qui n’ont pas d’enfants. Pourtant, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) couvre le changement de sexe des transsexuels. Alors, pourquoi ne pas nous aider à mettre au monde des enfants qui vont un jour payer des impôts et con­tribuer à la société? » Selon l’Association des couples infertiles du Québec aussi, le programme québécois représente un investissement rentable pour l’État puisque, entre autres, il soutient un taux de natalité dont le Québec a bien besoin.

32 %
Taux moyen de grossesse par embryon transféré (FIV).

25 juillet 1978
Naissance au Royaume-Uni de Louise Brown, premier bébé conçu in vitro. Elle est aujourd’hui maman.

Le temps joue contre nous…
La principale cause de l’infertilité n’est ni la pollution, ni la génétique, ni le stress. C’est l’âge des parents, de la mère, surtout. La probabilité d’avoir un enfant est de 25 % par cycle à 25 ans, de 12 % à 35 ans et de 6 % à 40 ans. Après 45 ans, elle oscille autour de zéro. Une façon d’y remédier, c’est de se faire prélever des ovules à 20 ans et de les faire congeler en prévision d’une grossesse plus tardive. « N’empêche. Dites à vos lectrices qui veulent des enfants qu’elles ne doivent pas trop attendre », insiste le Dr Holzer, directeur du Centre de reproduction McGill.

L’arsenal contre l’infertilité
Dans un premier temps :
L’hormonothérapie stimule la production d’ovules matures ;

La laparoscopie permet de vérifier l’état des trompes de Fallope, parfois partiellement obstruées ;

L’insémination intra-utérine apporte des spermatozoïdes paresseux tout près des ovules.

Dans un deuxième temps :
La fécondation in vitro : des ovules sont prélevés et fécondés en laboratoire. Les embryons sont ensuite transférés dans l’utérus ;

L’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes : le spermatozoïde est injecté dans l’ovule ;

Le don d’ovules : les ovules d’une donneuse sont mêlés aux spermatozoïdes de l’homme puis implantés dans l’utérus de sa conjointe.

Le don de sperme : quand les spermatozoïdes produits sont de qualité insuffisante, des couples optent pour le sperme d’un donneur.

Jusqu’à quel âge?
Même ceux qui sont satisfaits du programme – et ils sont très nombreux – se demandent s’il n’y aurait pas lieu de resserrer les balises. Réviser à la baisse l’âge maximum pour en bénéficier, par exemple. Jusqu’à maintenant, les cliniques ont fixé elles-mêmes une limite d’âge de 43 ans. Car la FIV n’est pas magique : plus on vieillit, moins elle donne de résultats. « À partir de 43 ans, les chances de mettre au monde un bébé avec vos propres gamètes sont de moins de 1 % », note la Dre Lapensée. Par contre, avec un don d’ovules, une femme peut bénéficier du programme jusqu’à 52 ans. Sommes-nous trop généreux?

Même les médecins les plus dévoués à la cause s’interrogent. « J’éprouve un malaise quand je reçois en consultation des gens qui ont déjà deux enfants et qui font appel à nous parce qu’ils en veulent un troisième, raconte le Dr Hananel Holzer, directeur du Centre de reproduction McGill. Les parents me disent : “Pourquoi ne pas essayer? C’est gratuit.” Mais ce n’est pas gratuit. Tous les contribuables paient… »

Néanmoins, quels que soient les fonds investis, des couples devront faire le deuil de leur fertilité. Six mois après leur rupture, Stéphanie et Charles sont retournés vivre ensemble et se sont… mariés. « C’est avec elle que je veux vivre ma vie », dit Charles. L’automne prochain, ils feront une dernière tentative. « Si ça ne fonctionne pas, nous entamerons des démarches d’adoption. ». Il garde le silence quelques instants. « Mais ce n’est pas mon premier choix. Je n’ai pas connu mon père biologique, alors j’aimerais avoir ce lien-là avec mon enfant… »

Moins de triplés?
Un essai de FIV coûte entre 5 000 $ et 12 000 $. Les médecins avaient donc l’habitude d’implanter plusieurs embryons à la fois pour augmenter les chances de succès. Si ces derniers se développaient tous, on se retrouvait avec des jumeaux, des triplés, voire plus.

Or, les bébés de grossesse multiple souffrent davantage de problèmes de santé que ceux nés à terme. Sans parler de séquelles… Des souffrances qui coûtent cher à l’État.

On implante maintenant les embryons un à la fois grâce au nouveau programme de procréation assistée. Résultat? Moins de grossesses multiples, selon le ministre Bolduc, qui prétend récupérer ainsi une bonne partie de l’argent investi dans le programme.

« Mais la FIV n’est responsable que de 10 % à 15 % des grossesses multiples, nuance le Dr Yves Robert, du Collège des médecins. On oublie que la stimulation ovarienne – des hormones prescrites pour stimuler la production d’ovules et augmenter la fertilité – en produit autant sinon plus et qu’elle ne fait l’objet d’aucun encadrement. » Le Collège des médecins et l’Association des pédiatres du Québec demandent depuis longtemps qu’on établisse un registre de toutes les techniques de procréation assistée. Question de savoir les­quelles entraînent le plus de grossesses multiples.

Le 16 décembre 2010, le ministre annonçait qu’en limitant le nombre d’embryons à un seul par essai, le programme avait bel et bien permis de réduire le nombre de grossesses multiples. En trois mois, ce taux était passé de 27,2 %, un des plus élevés du monde, à 3,8 %. Un succès.

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Et les coûts?
Chaque fécondation in vitro coûte entre 5 000 $ et 12 000 $.

4 400
transferts d’embryon seraient effectués au Québec cette année, qui permettraient 1381 grossesses, selon des estimations.

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