Nutrition

Alerte aux aliments ultratransformés!

Nous mangeons trop d’aliments ultratransformés, souvent sans vraiment nous en rendre compte. Le chercheur français Anthony Fardet nous met en garde contre cette habitude qui pourrait nous rendre malades. Entrevue.

Anthony Fardet

Comment reconnaît-on les aliments ultratransformés?

Il y a deux grandes catégories. D’abord, les aliments artificiels dont on ne peut pas reconnaître l’origine naturelle – les aliments fractionnés recombinés, diraient les chercheurs. On détruit complètement la structure de l’aliment pour lui donner du goût, de la couleur et de la texture à l’aide d’additifs, et on y ajoute souvent du sel, du sucre ou du gras. Cette catégorie regroupe les barres chocolatées, les bonbons, les desserts lactés, etc.

La deuxième catégorie comprend les plats industriels dont l’aliment d’origine est parfois reconnaissable, mais est souvent bourré d’ingrédients qu’on ne peut pas trouver dans une cuisine domestique. À titre d’exemple, un poisson entier frit est peu transformé, des sardines en conserve sont transformées, et des croquettes de poisson sont ultratransformées, parce qu’elles contiennent une longue liste d’ingrédients et d’additifs industriels. On peut décliner l’exercice pour presque tous les aliments.

Les aliments ultratransformés sont également présentés dans des emballages très attrayants, où figurent souvent des personnages pour enfants.

Considérez-vous les condiments vendus en épicerie, la mayonnaise par exemple, comme des aliments ultratransformés?

Tout dépend de la liste d’ingrédients. Quand on fait une mayonnaise maison, on va utiliser trois ou quatre ingrédients qu’on peut trouver en supermarché. Ce n’est pas ultratransformé. Par contre, si de nombreux ingrédients et additifs ont été ajoutés, on peut très bien basculer dans l’ultratransformation. C’est la même chose pour tous les produits.

 

Vous avez publié l’an dernier Halte aux produits transformés! Mangeons vrai, pourquoi avoir écrit ce livre?

Pour aider les gens à reconnaître les produits ultratransformés, parce que c’est un acte très important pour leur santé. Il faut nommer les choses pour savoir mieux les combattre et pouvoir sonner l’alerte sur ces produits. Alors que l’espérance de vie augmente, l’espérance de vie en bonne santé stagne. Par exemple, une femme qui vit en moyenne jusqu’à 85 ans n’est en bonne santé que jusqu’à 64 ans.

On a tendance à considérer les aliments comme une somme de nutriments, selon une logique de type 2=1+1; c’est ce qu’on appelle l’approche réductionniste. Je me suis rendu compte que toute la recherche a été développée sur ce modèle, mais qu’il n’était peut-être pas le bon. La science démontre clairement que l’aliment n’est pas une somme de nutriments. En fait, on ne doit pas seulement prendre en compte la composition de l’aliment, mais aussi sa structure et son degré de transformation. C’est ce que j’appelle la vision holistique de l’aliment.

Mes études ont mis en évidence le lien entre les aliments ultratransformés et l’explosion de l’obésité, du diabète et des maladies chroniques, et il fallait que je communique au plus grand nombre une approche plus globale, pour simplifier les choses.

À lire aussi: La boisson d’amandes, vraiment mieux pour la santé?

 

Pourquoi les aliments ultratransformés sont-ils mauvais pour la santé?

Je ne dis pas qu’ils sont mauvais lorsqu’ils sont consommés de temps en temps. Le problème, c’est quand ils constituent la base de l’alimentation.

Trois caractéristiques des aliments ultratransformés nuisent à la santé. D’abord, ils sont moins rassasiants que les aliments naturels et créent une dépendance parce qu’ils sont riches en sucre. Ensuite, ils sont hyperglycémiants : ils provoquent des pics dans notre taux sanguin de glucose, ce qui, à la longue, peut nous faire développer une résistance à l’insuline et conduire au diabète de type 2. Enfin, ils fournissent des calories vides, car ils sont dépourvus de fibres, minéraux ou vitamines.

Les perturbations métaboliques qui s’ensuivent ouvrent la porte à l’obésité, à des maladies comme le diabète de type 2 et, à plus long terme, à des troubles cardiovasculaires ainsi qu’à certains cancers digestifs.

 

Au Brésil, des chercheurs en nutrition ont élaboré un guide alimentaire innovateur, basé sur une nouvelle classification des aliments. Pouvez-vous nous en dire davantage?

Il s’agit de la classification internationale NOVA. Les chercheurs brésiliens ont constaté que l’obésité avait explosé dans leur pays au cours des 15 ou 20 dernières années. Pour expliquer ce fléau, ils en sont venus à la conclusion suivante: il était plus important de considérer le degré de transformation des aliments [pour établir les principaux groupes alimentaires] que de se baser sur les apports nutritionnels des viandes, légumes ou céréales, comme le font les guides alimentaires des pays occidentaux. Selon eux, il fallait repenser le système de classification. Ce qui a mené à la création de NOVA.

La classification NOVA définit quatre groupes alimentaires: 1) les aliments non transformés (naturels) ou peu transformés; 2) les ingrédients culinaires qu’on peut trouver à la maison; 3) les aliments transformés; 4) les aliments ultratransformés. Un régime équilibré et sain est basé sur les trois premiers groupes.

Les aliments naturels ou peu transformés sont des aliments qui peuvent être coupés, cuits ou pressés sans ajout quel qu’il soit. Les aliments transformés sont des aliments du premier groupe auxquels on ajoute des ingrédients tels que sel, huile, beurre, sucre de canne, etc. Par exemple, un fruit entier est non ou peu transformé, et des fruits au sirop sont transformés, parce qu’on les a coupés et mis dans du sucre. Dans ce cas-là, la transformation est au service de l’aliment. On l’utilise pour conserver et donner du goût. C’est le principe du salage, du fumage ou des condiments qu’on ajoute. On est toujours dans une optique où l’on sert l’aliment.

Là où l’ultratransformation crée une fracture, c’est quand l’aliment est au service de la technologie pour des questions de rentabilité, de gain de temps et d’argent. Parce que ces produits sont très peu chers à fabriquer.

 

 

Un nouveau Guide alimentaire canadien devrait bientôt sortir. Que devrait-il comprendre?

Il faudrait passer ce message: pour la santé, le degré de transformation des aliments est primordial. Il serait souhaitable d’y inclure également des notions sociales, environnementales et animales, afin d’éclairer les citoyens dans leurs choix alimentaires. Ainsi, on ne devrait pas se soucier seulement des effets sur notre santé, mais aussi du respect des animaux et de l’environnement.

 

À lire aussi: Dans l’assiette des Québécois

 

De quoi devrait se composer notre alimentation pour qu’elle soit saine, éthique et durable?

Il faut premièrement manger plus de calories végétales qu’animales. On ne devrait pas dépasser 15 % de calories animales par jour, soit deux ou trois portions [ce qui pourrait équivaloir à 1 œuf dur, 1/4 de tasse de lait et 150 g de filet de bœuf], toujours en privilégiant les aliments des trois premiers groupes – aliments non ou peu transformés, ingrédients culinaires, aliments transformés. On doit également se limiter à 15 % de produits ultratransformés, donc deux portions par jour, et manger varié pour faire le plein de fibres, de minéraux et de vitamines.

Une amie blogueuse m’a proposé une idée encore plus simple. C’est ce qu’elle appelle les 3 V: végétal, vrai, varié. Vous n’avez plus à vous préoccuper de grand-chose. C’est tellement simple! Dommage que ce ne soit pas mis de l’avant, sans doute parce qu’il n’y a pas assez de profit à faire avec ces trois règles.

 

Comment peut-on amener l’industrie alimentaire à produire moins d’aliments ultratransformés?

La solution la plus durable à long terme, c’est d’abord l’éducation à l’alimentation dès l’enfance. À trois ans, on peut enseigner aux enfants à différencier les aliments, leur expliquer d’où ils viennent et leur apprendre également comment reconnaître un produit ultratransformé, pour en faire des citoyens éclairés. Quand les gens commenceront à changer leurs choix alimentaires, l’industrie n’aura plus 36 solutions.

En recherche, il y a un nouvel axe très intéressant: la transformation douce [mieux connue sous l’appellation anglaise minimal processing], qui fait appel à différentes techniques issues de la physique, comme les ultraviolets, les champs magnétiques pulsés ou les hautes pressions, pour conserver les aliments. L’avantage des aliments ultratransformés, c’est qu’ils sont pratiques et se conservent très longtemps. En ayant recours à des techniques plus douces, on pourrait aussi augmenter la durée de conservation des produits non transformés ou peu transformés.

Et pourquoi ne pas taxer les produits qui peuvent être nocifs pour la santé comme les sodas?

 

Halte aux aliments ultratransformés, Dr Anthony Fardet, Éditions Thierry Souccar

À lire: Petit guide d’introduction au «slow food»

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.