Famille tout compris

Est-ce qu’avoir un utérus est discriminant au travail?

Des femmes sont congédiées ou perdent leurs avantages au travail, car elles veulent avoir des enfants ou reviennent de congé de maternité. Pourquoi ne dénonce-t-on pas systématiquement ce type de discrimination? demande Marianne Prairie.

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La semaine dernière, on a beaucoup discuté de discrimination envers les femmes enceintes et les mères de retour de congé de maternité grâce à cet excellent reportage de Radio-Canada. Dans celui-ci, on apprend que le nombre de plaintes que ces dernières ont déposé à la Commission des normes du travail pour cause de congédiement ou de représailles a augmenté de 41% au cours de la dernière décennie. C’est énorme.

Cette hausse marquée pourrait s’expliquer « peut-être à la fois par le fait que les femmes sont de plus en plus conscientes de leurs droits et qu’elles ont été plus nombreuses à avoir des enfants au Québec, ces dernières années », selon l’avocate Johanne Tellier, interviewée dans le reportage. Pourtant, le journaliste Alexandre Duval précise que « les chiffres officiels ne sont peut-être que la pointe de l’iceberg. Beaucoup de femmes n’osent toujours pas porter plainte. » En effet.

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La semaine dernière, j’ai été heureuse de constater que l’on abordait enfin ce sujet sur la place publique et non pas seulement dans le cadre intime d’un souper entre amies. C’est moi, ou il est rare que ce type de discrimination fasse les manchettes? Comme si c’était un problème d’une autre époque ou un enjeu mineur parce qu’il concerne la maternité. Pourtant, j’ai entendu une tonne et un quart d’histoires de discrimination professionnelle autour du carré de sable et dans les corridors de la garderie. Comment se fait-il que ce phénomène soit si répandu, mais qu’on hésite encore à dénoncer les employeurs fautifs?

Photo: iStock

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Il me semble qu’il y a deux problèmes ici. D’abord la discrimination comme telle et le fait que les femmes soient mal outillées pour y faire face. Ensuite, leur perception vis-à-vis de cette discrimination, comme si elle faisait partie des « difficultés » courantes et inévitables de la réalité de devenir mère. Si je me fie aux discussions sur les groupes Facebook de mamans, plusieurs sont terrorisées d’annoncer leur grossesse à leur boss et ignorent qu’il est illégal de demander en entrevue si on compte avoir des enfants.

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Récemment, une amie m’a parlé d’une conversation qu’elle avait eue avec un ancien collègue alors qu’elle commençait un nouvel emploi :

– C’est cool ton nouveau poste chez [boîte de pub A], au moins tu vas pouvoir tomber enceinte.
– Ah ouin? Pourquoi tu dis ça?
– B’en, c’est connu, chez [boîte de pub B], les filles qui reviennent de congé de maternité se font remercier en revenant.

Une autre copine m’a aussi confié être chanceuse de ne pas avoir été personnellement touchée par cette discrimination, elle qui travaille dans une firme d’architectes, « habituellement dirigées par une majorité d’hommes », précise-t-elle. Elle m’écrit :

Dans mon domaine, il y a des boss qui demandent en entrevue si tu veux des enfants, qui pose la question ouvertement si tu prends la pilule ou qui refuse de mettre des mères sur de grands projets à cause du risque d’absentéisme. C’est fréquent et connu dans les boîtes d’architecture.

Avez-vous remarqué, la même expression revient dans les deux témoignages? « C’est connu. » Ouais, tout le monde le sait, c’est d’même, pis c’est toute. Si t’es pas contente ou si tu veux des bébés, change de métier! C’est quoi le beau mot pour décrire ça, déjà? La « culture » du milieu de travail? Appelons ça par son vrai nom : de la discrimination systémique basée sur le sexe. Les hommes subissent rarement de tels préjudices à cause de leur statut de pères.

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On pourrait penser que ce n’est que la réalité des milieux compétitifs comme le marketing, l’architecture, le droit ou les affaires. Mais même dans le domaine de l’éducation, un secteur plutôt féminin, les femmes enceintes ou ayant des enfants sont confrontées au même genre d’obstacles. Une troisième amie m’a écrit :

On ne voulait pas m’accorder la permanence à laquelle j’avais droit (comme les 2 autres collègues qui étaient arrivés en même temps que moi) parce que j’étais en congé de maternité. J’ai dû me battre avec le syndicat et faire des démarches très sérieuses pour les dénoncer. Ils ont été obligés de me la donner.

J’ai donc un petit message d’intérêt public pour les patrons sexistes récalcitrants. Les personnes dotées d’un utérus fonctionnel ont parfois des bébés. Ça aussi, c’est connu. Cessez donc de le nier et revenez-en. Arrêtez de percevoir les femmes avec enfants comme des ennemies jurées de la productivité et faites ce que les entreprises innovantes font : amorcez le virage vers une meilleure conciliation travail-famille. C’est là que vous allez la trouver, votre productivité : auprès d’employées qui se sentent respectées.

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Pour écrire à Marianne Prairie: chatelaine@marianneprairie.com

Pour réagir sur Twitter: @marianneprairie

Marianne Prarie est l’auteure de La première fois que… Conseils sages et moins sages pour nouveaux parents (Caractère)

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