«Avec du soutien, les victimes oseront poursuivre», dit Lucie Mathurin, procureure de la Couronne à Saint John, Nouveau-Brunswick.
«S’il y a une chose que j’aimerais changer, c’est la perception que les procureurs et les juges s’en foutent. Nous avons beaucoup plus de compassion que vous ne le croyez. Nous avons du cœur.
J’ai choisi de traverser du côté de la Couronne (parfois surnommé le « côté sombre ») après avoir travaillé à l’aide juridique. J’avais eu à y plaider quelques causes d’agressions sexuelles, et j’en étais arrivée à trouver très difficile de représenter un client dont mon instinct me disait qu’il était coupable. J’avais l’impression d’être du mauvais bord.
À la Couronne, nous traitons beaucoup de dossiers d’agressions sexuelles et nous développons des liens avec les victimes. Nous apprenons à comprendre ce qu’elles vivent et à ressentir de la compassion.
Quand je perds une cause, je ne suis pas contrariée parce que j’ai perdu, mais parce que je n’ai pas préparé adéquatement mon client à témoigner. C’est ça qui me déçoit.
Je perds des causes lorsque les personnes n’arrivent pas à exprimer clairement les faits. Elles sont mal à l’aise et elles ont peur de l’accusé, assis là, devant elles. J’ai eu des clients qui ont figé à la barre et l’on ne peut que saluer leur courage d’avoir essayé. On ne peut pas leur en vouloir.
Donc, il est nécessaire de consacrer plus de ressources à l’aide aux victimes. Entre le dépôt de la plainte, l’examen médical à l’hôpital et le moment où elles viennent nous rencontrer, il doit y avoir une phase intermédiaire, la présence d’une équipe aguerrie ou un meilleur processus leur permettant d’être conseillées, d’acquérir suffisamment de confiance pour passer à l’étape suivante et de ressentir qu’elles ne sont pas seules. Si les victimes ont du soutien, elles iront de l’avant avec la poursuite judiciaire. Sinon, elles renonceront.
Le plus difficile est de convaincre une victime de croire au système judiciaire et qu’il vaut la peine de témoigner, peu importe le résultat. Il est quelquefois complexe de lui expliquer pourquoi il y a eu acquittement; que ça ne signifie pas que le juge n’a pas cru sa version. Il suffit de tellement peu de choses pour soulever un doute raisonnable. Cependant, même dans ce cas-là, ça vaut la peine. La sonnette d’alarme a retenti: si jamais le nom de l’agresseur refait surface, nous saurons qu’il a déjà été accusé.
Tellement de clients m’ont dit : « Je suis content d’avoir parlé. Au moins, cette personne est fichée même si elle n’a pas été reconnue coupable ».
Propos recueillis par Rachel Browne