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Voir poindre le jour

Ce matin, j’ai vu poindre le jour sur la coupole de l’Oratoire Saint-Joseph en sa compagnie. Le cadeau de l’insomnie, c’était ça. Et c’était elle. Je ne devrais jamais lire de livres captivants à 5h du matin. Je l’ai terminé deux heures plus tard, me reconnaissant dans presque chaque ligne, dans les moindres détails, jusqu’au chum pusher d’héro et de hasch.

« Carnets d’une désobéissante » de Geneviève Saint-Germain est un livre à lire; il sort aujourd’hui en librairie. Toutes les femmes, toutes les aspirantes lofteuses, tous les hommes qui veulent comprendre les contradictions féminines, toutes les groupies de la télé et de la radio, du merveilleux monde des médias électroniques, trouveront là plusieurs miroirs fracassés, la laideur sous le maquillage.

Certains percevront ce récit de vie comme suicidaire, surtout dans notre milieu, où l’on ne fait pas de cadeau. Autant j’ai été admirative devant la performance de Geneviève Saint-Germain, journaliste et animatrice, à TLMEP dimanche dernier (et aussi de son interaction avec Jodorowsky), autant j’ai aimé son livre, l’authenticité qu’on y trouve, le cri du coeur, mais sans la rancoeur. La vérité toute nue est une espèce en voie de disparition.

Pour revenir à cette désobéissante, voilà le regard d’une femme intelligente, sensible, qui a appris de ses souffrances et refuse l’hypocrisie… le seul chemin qui nous mène vers nous-même à mon avis. Et n’allez pas croire que je fréquente Geneviève, que nous sommes amies. Loin de là. Nous nous sommes croisées quelques fois, en faisant semblant de ne pas nous voir. Aujourd’hui, je lui dirais combien j’apprécie son regard sur ce petit monde toxique et imbu de lui-même.

Encore cette semaine, j’ai refusé deux ou trois apparitions à la télé. J’en accepte peut-être une sur dix, et seulement pour une « cause » ou si je sens que c’est autre chose que le cirque habituel d’egos flamboyants. Je me suis distanciée très tôt de cette jungle malsaine, refusant des contrats très alléchants, préférant ne pas sacrifier mon âme sur l’autel des plateaux pour préférer l’écrit. Je m’y voyais mieux vieillir, sans avoir à me botoxer le sourire.

Geneviève consacre aussi un chapitre à sa dépression (pas un burn-out chic qui vous attire l’admiration) et il faut l’avoir vécu pour comprendre. Mentir, faire semblant, s’extirper de son lit pour aller pondre un billet, un article, assister à des réunions, retourner dans son lit, malade de vivre, j’ai connu durant un épisode de dépression antepartum (alors que tout le monde s’extasie sur ton joli bedon) qui a amorcé un cycle infernal dans ma vie. Aujourd’hui, je regarde en arrière, sans amertume, sans regret. La vie s’est chargée de m’amener ailleurs. Et je suis bien plus humaine.

Féministe assumée, Geneviève Saint-Germain dénonce la mysoginie de tous les jours dans un milieu où les femmes sont encore traitées comme de la valetaille sexy, la plupart du temps. J’aurais mille anecdotes à raconter mais je ne suis pas encore assez vieille et ridée (ou courageuse comme Geneviève). J’ai adoré faire de la télé, surtout de la radio (encore que je pourrais vous parler d’une sitcom dramatique vécue un été, réunissant une femme enceinte et un comédien névrosé sous influence derrière un micro ainsi qu’une réalisatrice mi-bélier, mi-truckeuse, qui ne s’en laissait pas imposer).

Le prix à payer est élevé et au risque de terminer des saisons sur les antidépresseurs, j’ai bifurqué (chose dont on s’étonne encore dans ce cercle tissé serré et fermé, qui n’a de yeux que pour ce qui brille) vers un métier qui me convient mieux, me permet de réfléchir seule et d’avoir des échanges édifiants avec des lecteurs de qualité. Les égos surdimensionnés, les trahisons fréquentes (par des femmes aussi, une certaine dame de Fer qui a pris la porte de RC depuis), j’ai tout vu et j’ai pressé le citron jusqu’au zeste.

Je laisse à Geneviève, désobéissante et insoumise, perspicace et caustique à souhait, le soin de clore ce billet. Et je me demande bien qui aura l’audace de l’embaucher sans se sentir menacé. Les femmes de beaucoup de mots, intelligentes, expérimentées et articulées, font généralement très peur.

« La télévision est un métier jeune et cruel. J’ai aussi rencontré certains producteurs, pas tous heureusement, dont la mentalité s’apparente à celle de marchands d’esclaves. Ils s’appliquent à dresser les « talents » les uns contre les autres pour mieux pouvoir les humilier, les isoler et finalement tout contrôler. Des mufles dont la méthode consiste à faire savoir au dit talent, sans aucune subtilité, qu’il n’a pas de valeur en soi, qu’il est interchangeable et qu’il peut de ce fait être zappé à tout moment. »

« La télévision est une drogue dure. L’opium du peuple, ça on le savait déjà. Mais elle devient aussi une véritable addiction pour ceux et celles qui y sont un jour apparus, ne serait-ce que le temps d’une saison. De l’improbable lofteur à la légende vivante qui ne peut plus se soustraire aux caméras le grand âge venu, en passant par toutes les catégories de vedettes, chroniqueurs à la petite semaine, comédiens, animatrices, lecteurs de nouvelles, journalistes, nous y trouvons tous une forme d’intense renforcement narcissique dont il est difficile de se priver. C’est que la télévision survalorise. Elle accorde facilement gloriole et reconnaissance. Peu de gens sont assez purs et sages pour résister à ses séductions. Après tout, dans quel autre métier peut-on connaître la célébrité sans oeuvre et s’enrichir sans travailler comme un forcené, dites-moi? »


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