Entrevues

Geneviève Brouillette en quatre temps

Après 20 ans de carrière et autant de rôles dans des comédies, Geneviève Brouillette se révèle actrice dramatique dans la formidable télésérie Apparences.

Depuis quelques semaines, elle brille dans la télésérie de l’hiver, Apparences. Pour ce rôle important, le plus complexe de sa carrière, nous l’avons rencontrée à quatre reprises au cours des derniers mois. Mise en confiance, elle nous a parlé de tout : de ses angoisses professionnelles à ses espoirs (déçus) de devenir mère.

27 octobre

Il pleut sur la ville. Dans le taxi qui déchire la nuit, Geneviève parle régime. Elle s’est trouvée «grosse et laide» dans Apparences (Radio-Canada), que personne, sauf l’équipe de production, n’a encore vue. Conséquence : «Je viens de commencer une diète aux protéines. C’est moins dur que je pensais; étonnamment, j’ai jamais faim.» Nous avons fait connaissance il y a cinq minutes, mais Geneviève, une « vedette » sans chichi, a vite brisé la glace. C’est elle qui a choisi le lieu de notre premier rendez-vous : un hôtel du Vieux-Montréal où se tient une activité-bénéfice pour CPE sans frontières, organisme qui vient en aide à des garderies en Haïti. «Une soirée de filles, tu vas être le seul gars!» m’avait-elle dit au téléphone, coquine. Puis, plus sérieuse : «On est tellement sollicités pour ce genre de trucs qu’il faut souvent refuser. Mais c’est impossible quand Hélène Bourgeois Leclerc, la marraine de l’événement, te demande de venir.» Elles sont copines depuis qu’elles jouent ensemble dans la comédie Mauvais karma (Radio-Canada).

Pendant que la voiture slalome entre les cônes orange, la comédienne s’engage sur un sujet qui la passionne plus que les protéines : Apparences, de Serge Boucher (l’auteur d’Aveux, série diffusée en 2009, «une des plus admirables surprises de la télévision québécoise des dernières années», selon Le Devoir). Comme toutes les actrices de son âge affamées de rôles substantiels, Geneviève savait que Radio-Canada préparait Apparences. Elle s’endormait le soir en rêvant d’incarner l’une des deux sœurs jumelles : l’actrice égocen­trique à qui tout réussit ou l’enseignante sans histoire qui disparaît le jour de ses 40 ans. Mais elle se réveillait le lendemain en évaluant ses chances d’être choisie à «environ zéro». «Serge, c’est surtout un auteur de théâtre, avec Motel Hélène et 24 poses.» Dans Aveux, les rôles principaux étaient tenus par des habitués des planches, comme Guy Nadon et Benoît McGinnis. Un terrain que Geneviève, pourtant diplômée de l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe, n’a pratiquement pas foulé, à part quelques étés. «On ne m’appelle pas pour ça. Je ne fais pas partie de cette gang-là.»

Et puis, coup de théâtre, le téléphone a sonné. Le réalisateur, Francis Leclerc (Nos étés, Les Rescapés II), voulait la rencontrer. «Il ne me connaissait pas, je n’ai même pas passé d’audition. Mon personnage, Nathalie Bérubé, l’actrice, pleure souvent. Mais il n’a pas voulu que je passe un test de “braillage”. Il m’a juste dit : “Quand ce sera le temps de brailler, tu vas le faire, t’es une actrice, non?” Il est comme ça, Francis, il sait ce qu’il veut.» (Quand je lui rapporte ces propos, début janvier, Francis Leclerc rit dans sa barbe, puis explique : «J’ai mis sur une table les photos de 50 comé­diennes âgées de 37 à 43 ans. Et j’ai eu un flash : Geneviève ressemble beaucoup à Myriam LeBlanc, moins connue du grand public, mais que j’appréciais pour l’avoir souvent vue au théâtre à Québec, où j’habite. C’était important que les deux sœurs aient un air de famille.»)

Parler d’Apparences, même des mois après la fin du tournage, même dans un taxi, émeut encore Geneviève. Il s’agit, dit-elle – mais est-ce nécessaire, tant cela est évident –, de l’une des plus belles expériences de sa carrière. Donner vie à Nathalie, une actrice connue, un peu fofolle et sans enfant, et donc un rôle qu’on imagine proche d’elle («Mais ne vous fiez pas aux apparences», précise-t-elle), a représenté un défi personnel qu’elle espère avoir relevé. «J’ai tout donné, sans retenue. J’ai jamais été aussi poquée que ça à la télé. Nathalie vit une crise, sa sœur a disparu et elle est trop occupée pour se maquiller et faire sa glamour. Je suis pas sûre que je vais aimer ça me regarder tout le temps. Mais c’est pas grave. Seul le résultat compte et, cette série, j’en suis fière.»

Le taxi s’arrête devant l’hôtel. Geneviève rejoint Hélène Bourgeois Leclerc et les autres visages connus qui parsèment la salle, dont Anick Lemay et Marie-Chantal Perron. Elle me présente, se fait prendre en photo avec des participantes, magasine chez les exposants («Je n’ai besoin de rien, c’est seulement pour les encourager…»). On se quitte alors qu’elle va souper avec sa gang de filles. Prochain rendez-vous : dans un mois, chez moi.

25 novembre

Le temps est bon, le ciel est bleu, et Geneviève Brouillette débarque pour le lunch. La comédienne arrive du centre sportif qu’elle fréquente régulièrement (muscu légère et cardio). «La diète, ça marche, annonce-t-elle en savourant un sushi au saumon. J’ai perdu du gras. J’avais commencé à porter des trucs camouflants, je me demandais si les vêtements serrés, c’était terminé. Je me suis vue récemment dans Fort Boyard, j’avais 25 ans, j’étais mince comme un fil…» Pas une once d’amertume dans sa voix, à peine un soupçon de nostalgie. C’était l’époque des débuts. Au cinéma, elle campe une call-girl de luxe dans Liste noire, gros succès de 1995 et premier long métrage de Jean-Marc Vallée (C.R.A.Z.Y., Café de Flore). À la télé, elle devient Clara, top-modèle internationale et star de Diva (TVA, 1997-1999). «Diva, je ne l’ai même pas écoutée dans le temps… Je n’ai pas eu tant de plaisir à faire ça, au point où je me suis demandé si je ne voulais pas faire autre chose dans la vie. Parce que, quand je rentrais le soir, je n’étais pas heureuse, pas satisfaite de moi.»

Le bonheur, Geneviève le trouvera dans Rumeurs (Radio-Canada, 2002-2008). La rencontre d’un rôle en or, Hélène, et d’une auteure de talent, Isabelle Langlois, «aujourd’hui l’une de mes meilleures amies». Et qui signe aussi Mauvais karma, série dans laquelle Geneviève joue Mélissa, une avocate au tempérament de pitbull, personnage secondaire mais très remarqué. Sauf que… «Je ne sais même pas si Mélissa revient en sep­tembre. Je ne l’ai pas demandé à Isabelle. Elle et moi ne mélangeons pas amitié et travail. Je suis une pigiste, rappelle-t-elle. Dès qu’un projet est terminé, il m’en faut un autre. Comme actrice, je n’existe qu’à travers les auteurs et les metteurs en scène. C’est un métier que je ne peux pas faire toute seule. Mon comptable m’a chicanée dernièrement, je dépense trop. Et, à l’heure actuelle, je n’ai rien devant moi.»

Ce n’est pas la première fois. Mais elle a décidé d’être zen, de profiter de cette pause imposée sans (trop) angoisser et sans garder les yeux rivés sur le téléphone. «La terreur de toutes les actrices : devenir une has been, comme Mimi», dit-elle, évoquant la chanteuse disco cheap qui a connu son heure de gloire dans Funkytown (2011), une figure dramatique qu’elle incarne avec une vérité bouleversante. «J’ai aussi cette peur?: ne plus être in, aimée, ne plus pouvoir faire ce que j’aime le plus.»

Mimi dans Funkytown, Mélissa dans Mauvais karma, Josiane dans La promesse (à TVA)… Depuis quelques années, Geneviève est souvent approchée pour jouer les seconds violons. Comme Céline, personnage qu’elle campe dans le film récent Frisson des collines, où elle incarne «l’ancienne belle fille, celle qui se fait clencher par la nouvelle belle fille (interprétée par Évelyne Brochu). Et c’est correct, c’est là que je suis rendue, c’est le genre de rôles qu’on m’offre. Oui, c’est dur pour l’ego, mais en même temps ce sont des rôles tellement plus riches, plus tripants. Sincèrement.»

On la croit. Comme on la croit quand elle avoue que vieillir ne fait pas son affaire, mais que faire ? Suivre la voie d’une autre Geneviève, Bujold celle-là, star née dans Hochelaga-Maisonneuve et probablement l’unique actrice vivant à Los Angeles qui ose montrer ses 69 ans? Il y a une dizaine d’années, les deux Geneviève ont participé à un film canadien-anglais, You Can Thank Me Later. «Je ne crois pas que j’aurai comme elle le courage de résister à la chirurgie esthétique. Des fois, je me dis que c’est pas grave d’engraisser un peu, d’avoir de la cellulite, mais est-ce que j’ai envie de la montrer à l’écran? J’ai même pas le goût de la montrer à mon chum.»

Il est là, son chum, sur la table, entre le plat à sushis et la bouteille de vin blanc, dans une photo du Journal de Montréal qui annonce les fiançailles du couple, en 2010.

Elle prend la feuille : «Oh! mon petit Frédéric…» Six mois après sa rencontre avec ce «petit» pilote d’avion commercial de six pieds deux pouces, «l’homme que j’attendais», elle a voulu être mère, et lui, père. À 38 ans, ça ne devait pas être si compliqué, pensait-elle. Et, au cas où Dame Nature se ferait tirer l’oreille, la science viendrait lui donner un coup de main. Tant de femmes de son âge et même plus vieilles le font et deviennent de nouvelles mamans.

Elle a eu trois inséminations et une fécondation in vitro, et ç’a été assez. «J’étais pu capable. Les piqûres, les hormones, tous les allers-retours à l’hôpital, les déceptions, les séances d’acupuncture, les crises de larmes… J’ai le goût de vomir quand j’y pense. Et tu te rends compte que, si ça marche, toute ta grossesse va être médicalisée. Peut-être que l’enfant n’ira pas bien, parce que quand on l’a forcé comme ça… C’est pas comme si la Terre avait besoin d’enfants et que Geneviève Brouillette devait en faire un de plus. Je ne juge pas celle qui décide de se faire féconder in vitro cinq ou six fois, j’ai de l’admiration pour elle, comme j’en ai aujourd’hui pour celle qui ne le fait pas.»

À fleur de peau, essoufflée parce qu’elle a dit cela d’un seul jet, elle s’arrête, les yeux voilés de larmes. De colère aussi. Les sous-entendus («Je le vois bien que des gens pensent que je ne suis pas allée jusqu’au bout parce que je n’en voulais pas vraiment, mais c’est quoi, le bout?»), le mercantilisme des cliniques de fertilité («On avait acheté un trois-pour-deux, trois fertilisations pour le prix de deux, c’était avant que ce soit gratuit…»), les vedettes quadragénaires, ici et ailleurs, qui pavoisent avec leur nouveau-né…

La décision de tout arrêter est récente. Son deuil n’est pas encore terminé. «C’est la plus grande déception et le plus grand échec de ma vie. Parce que je n’ai jamais pensé que ça n’arriverait pas. Depuis toujours, j’étais sûre que j’aurais un enfant, ou des enfants.»

Le couple a pensé adopter. «Mais c’est compliqué, surtout maintenant. Les pays où ça va le plus vite, genre 2 ou 3 ans, comme le Mali, exigent qu’on soit mariés depuis 10 ans. En Haïti, ça prenait de cinq à six ans et là, tout est arrêté. Le temps qu’ils arrivent à nous, je vais avoir quoi, 48 ans?» Quand elle parle d’adoption, une image la hante?: celle de Valentine, une petite orpheline du Rwanda, pays qui a connu un génocide, où Geneviève s’est rendue en 2005 pour le tournage d’Un dimanche à Kigali. «Si j’avais pu la ramener avec moi, je l’aurais fait. Et c’était avant que je rencontre Frédéric. Il ne faut pas que je pense à sa vie depuis que je l’ai vue… Pendant mes traitements in vitro, je suis tombée sur un article qui parlait d’orphelins haïtiens violés et traités en esclaves. J’en ai pleuré, parce que c’était tellement difficile pour moi de faire un bébé alors qu’il y en a tant qui n’ont pas de parents.»

14 décembre

L’hiver se fait attendre, mais moins qu’Apparences. En ce mercredi matin, le visionnement des deux premiers épisodes dans une salle de Radio-Canada attire une foule. «Presque autant de journalistes que lors du lancement de la saison, en septembre», dit une attachée de presse de la maison. La comédienne, radieuse, est contente de me voir. La veille, alors que je pensais à elle et à l’importance de cette journée pour elle, pour sa carrière, elle m’envoyait une demande d’ajout d’ami Facebook. «C’est drôle, hier soir j’avais hâte à ce matin. Et là, je suis bien. Une de mes amies est en train de mourir, elle ne survivra pas au week-end, et cela relativise tout.» Un homme vient lui faire la bise : c’est le producteur, André Dupuy (qui a aussi produit Aveux et Piché  Entre ciel et terre). «Vous allez voir, elle est parfaite pour le rôle», dit-il alors que Geneviève continue à distribuer sourires et bécots aux copains. Après les présentations d’usage, l’éclairage se tamise et la projection com­mence… Le soir même, Geneviève m’envoie un mot : «Je pense que le buzz était bon…» Le lendemain, le redoutable critique télé de La Presse, Hugo Dumas, écrira, sous le titre «Appa­rences ne trompe pas : c’est bon!» : «Le choix des actrices pour incarner les jumelles Bérubé, Myriam LeBlanc et Geneviève Brouillette, est parfait.»

10 janvier

20h, première d’Apparences. À 21h33, Geneviève écrivait sur Facebook : «On était toute l’équipe ensemble et on se lisait à voix haute les commentaires sur Facebook et Twitter. Une expérience complètement folle. Première fois que je vis ça en télé, du feedback en direct. Vertigineux…»

Puis, le lendemain matin, nouveau message : «Cerise sur le sundae, vous étiez nombreux au rendez-vous d’Apparences : 1 049 000 hier soir! On est tellement contents. Merci! Et youpi! (T’sé, quand t’as l’impression d’avoir cuisiné un de tes meilleurs repas, t’as pas envie de le manger tout seul, tu veux le partager!)»

Le conte de fées se poursuit, me dit-elle au téléphone. «Même mon boucher, qui ne regarde pas la télé québécoise, m’a di ?: “Eille, c’était bon ton émission, j’ai hâte à la semaine prochaine. J’en revenais pas.» Et son régime? «Formidable. J’ai encore perdu du poids. Je suis la meil­leure cliente de mon nutritionniste. Bon, je devais pas être si grosse que ça parce que personne ne le remarque, à part mon chum. Mais, c’est ce qui compte, non?»

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