Santé

COVID longue : quand la maladie s’installe pour longtemps

Jusqu’à une personne sur cinq ne se remet pas tout à fait de la COVID-19. Et parmi elles, certaines vivent un véritable enfer. Regard sur une forme très inquiétante de ce mal.

Chaque semaine depuis plus de 15 ans, Geneviève Dubé enfilait ses chaussures de sport et avalait des kilomètres et des kilomètres. En 2018, elle avait même réussi un Ironman, l’épreuve d’endurance mythique des athlètes confirmés – 3,8 km à la natation, 180 km à vélo et 42,2 km à la course à pied. Puis, en 2020, la COVID-19 l’a frappée, et son monde a basculé. Depuis, elle peine à se lever de son fauteuil. « Certains soirs, mes enfants me tirent du sofa pour me mettre au lit », dit-elle, le souffle court.

Épuisée, les traits tirés, confuse, la nutritionniste de 40 ans erre de cliniques en laboratoires pour comprendre cette « COVID longue » qu’aucun médecin n’arrive à expliquer.

On a diagnostiqué une myopéricardite (inflammation du tissu musculaire du cœur), une dysautonomie digestive (dysfonctionnement digestif grave), une extrême sensibilité à la lumière et des problèmes de circulation sanguine. Mais l’origine de tous ces maux reste un mystère. Sa tension artérielle est parfois si basse qu’il lui arrive, au moment de s’endormir, d’avoir peur de ne plus jamais se réveiller. Geneviève fait partie des personnes qui ont tiré le mauvais numéro à la loterie COVID-19. Elles seraient plusieurs milliers dans la même situation au Québec. D’après les premières recherches sur cette forme de la maladie, de 10% à 20% de celles qui l’ont contractée en gardent des symptômes à long terme, c’est-à-dire plus de trois mois après leur infection.

Une ampleur insoupçonnée

Les effets de la COVID longue peuvent même survenir après le rétablissement complet du patient, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Essoufflement, fatigue extrême, troubles de la concentration, problèmes digestifs, vision brouillée, crampes musculaires, problèmes de peau… Partout dans le monde, les médecins ont recensé plus de 200 symptômes post-COVID, et ils ne parviennent toujours pas à comprendre pourquoi ils se manifestent chez certains.

Les femmes semblent en outre plus touchées que les hommes par la COVID-19. Et là encore, le mystère demeure entier… La recherche scientifique étudie les facteurs biologiques, hormonaux, mais aussi psychosociaux. « N’oublions pas que les femmes occupent des emplois où elles sont très exposées au virus, dans les milieux de la santé et de l’éducation notamment », précise la Dre Emilia Liana Falcone, directrice de la clinique de recherche post-COVID de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM).

De l’errance médicale

L’ampleur du phénomène de la COVID longue inquiète le microbiologiste et infectiologue Alain Piché. Depuis qu’il a pris les rênes de la première clinique post-COVID du Québec, ouverte en mai 2020 à Sherbrooke, plus de 800 patients ont défilé dans son cabinet. Et son calendrier de consultations est rempli pour les prochains mois. « On savait qu’il y aurait des complications, mais on était loin d’imaginer accueillir autant de cas de COVID longue lorsqu’on a ouvert nos portes », dit le médecin rattaché au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.

Le constat est tout aussi préoccupant aux deux autres cliniques spécialisées dans la COVID longue de la province, celle de l’IRCM et celle de la Montérégie-Ouest. Au cours des prochains mois, une quinzaine de ces cliniques seront créées dans le cadre d’un projet pilote d’une durée de trois ans. Elles seront réparties dans l’ensemble du Québec.

Mais qu’est-ce que la COVID longue au juste ? L’OMS a publié la première définition officielle en octobre 2021. Un premier pas vers la reconnaissance de cette nouvelle maladie. En bref, elle survient chez des personnes dont l’infection probable ou confirmée par le SARS-CoV-2 entraîne des symptômes qui subsistent pendant au moins deux mois et ne peuvent être expliqués par aucun autre diagnostic.

Aux quatre coins de la planète, des chercheurs s’activent pour identifier les biomarqueurs du syndrome post-COVID. Ces indices de la forme longue de la maladie présents dans l’organisme des patients pourraient être détectés au moyen d’une simple prise de sang. En attendant, la seule façon d’en établir le diagnostic est laborieuse : éliminer toutes les autres causes potentielles des symptômes par des examens ciblés. Ce processus lent et coûteux condamne les malades à une longue errance médicale.

Plus de 80% des patients aux prises avec la COVID longue éprouvent des troubles cardiovasculaires. Au Québec, il faut compter au moins un an d’attente pour passer tous les tests nécessaires pour éliminer les autres causes potentielles, selon la Dre Thao Huynh, épidémiologiste-cardiologue et chercheuse principale de l’étude IMPACT COVID à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill, à Montréal. « De plus, de nombreux professionnels de la santé ne sont pas encore sensibilisés à la COVID longue. Cela ralentit l’orientation des patients vers les bonnes ressources et accentue leur détresse », dit-elle.

Joanne Parent la connaît bien, cette détresse. Cette enseignante dynamique pense avoir contracté la COVID-19 en mars 2020, à l’âge de 53 ans. En attendant que ses symptômes disparaissent, elle s’est isolée, suivant les recommandations de la Santé publique. Mais elle n’a pas fait confirmer son diagnostic par un test PCR.

L’absence de cette preuve d’infection représente un véritable casse-tête, puisque Joanne peine encore à faire reconnaître sa maladie, alors que la toux, la fatigue généralisée et l’essoufflement l’accablent toujours. Au repos depuis presque deux ans, elle souffre aussi de douleurs articulaires dont l’origine demeure inexpliquée. Sans reconnaissance officielle de son incapacité à retourner au travail, elle envisage de prendre une retraite anticipée. « Je vais perdre de l’argent, mais je n’ai pas le choix, ma santé passe avant tout », lâche-t-elle dans un soupir.

Selon sa médecin, Joanne était en dépression, point final. « C’est vrai que j’étais désemparée, je pleurais beaucoup, mais je savais bien que ce n’était pas ça le problème, dit-elle. Je commençais à croire que j’étais folle quand une amie m’a parlé d’un groupe Facebook destiné aux malades post-COVID. J’ai enfin compris ce qui m’arrivait. »

La page Facebook « J’ai eu la Covid-19 longue Québec » compte plus de 1 700 membres et lui a permis de comprendre qu’elle n’était pas la seule à vivre ce calvaire.

Francis Duclos a aussi trouvé un peu de réconfort auprès de cette communauté virtuelle. Il y agit à titre de modérateur pour s’assurer que les conseils qui y sont parfois prodigués restent sérieux. « J’ai ainsi l’impression d’être encore utile », lance cet infirmier praticien de 40 ans, au repos depuis que la COVID longue l’a contraint à mettre sa carrière en suspens.

Régulièrement envoyé en mission à l’étranger pour la Croix-Rouge canadienne, Francis a contracté le virus la première fois au Honduras, en décembre 2020. Ses symptômes : le nez qui coule et un mal de gorge. C’est tout. Il recouvre vite la santé. Mais quelques semaines plus tard, sa mère lui dit qu’elle le trouve bizarre. « J’étais plus distrait et j’avais des pertes de mémoire inhabituelles. On a pensé que je développais un trouble déficitaire de l’attention », dit-il.

Puis, en juin 2021, en mission en République démocratique du Congo, Francis contracte de nouveau le virus. Cette fois, c’est la totale : les symptômes sont virulents. Ils ne l’ont plus quitté depuis. « Le brouillard cérébral s’est intensifié, accompagné d’essoufflement et de fatigue. J’ai obtenu un arrêt de travail d’une durée indéterminée et une aide financière de mon assurance. Mais comment font ceux dont la maladie n’est pas reconnue ? » s’inquiète-t-il.

Réapprendre à vivre

Malgré tout, il y a de l’espoir. Certes, on ne sait pas encore comment soigner cette forme handicapante de la maladie, mais on a trouvé des façons de cohabiter avec elle.

La physiothérapie, combinée à l’ergothérapie, constitue actuellement la meilleure forme de réadaptation des patients. Elle leur permet d’améliorer leur qualité de vie tout en réduisant le malaise lié à l’effort physique ou mental, qui touche les trois quarts des personnes atteintes de la COVID longue.

Pour éviter toute rechute, il faut apprendre à répartir sa dépense d’énergie sur l’ensemble de la journée afin de ne jamais en atteindre la limite, selon le Dr Simon Décary, chercheur en réadaptation à l’Université de Sherbrooke. C’est ce que les experts appellent la méthode du pacing. « Cette technique ne guérit pas la COVID longue, mais permet de gagner du temps, car les symptômes finissent, en général, par s’estomper naturellement », affirme-t-il.

Le projet Co-Vie du CISSS de la Montérégie-Ouest offre le premier programme de réadaptation post-COVID gratuit de la province. Les patients bénéficient de huit rencontres avec un physiothérapeute, un ergothérapeute et un travailleur social. « Ç’a fait une vraie différence dans ma maladie, dit Francis, qui y a été admis en novembre dernier. J’ai découvert des exercices pour gérer ma fatigue et mes maux de tête, et j’ai appris à reconnaître ce qui provoque mes malaises post-effort. Leur fréquence a diminué de façon importante. »

Le financement de Co-Vie est temporaire. Les responsables du programme ne savent pas s’ils pourront continuer à suivre leurs patients dans quelques mois. Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on se fait avare de commentaires. « Une organisation des services sera prochainement déployée afin d’aider les personnes atteintes de COVID longue », s’est-on contenté de nous indiquer, par courriel.

En revanche, le gouvernement provincial a annoncé en mars 2022 un investissement de 20,5 millions de dollars sur 4 ans pour créer 15 cliniques de recherche et traitement de la COVID longue au Québec.

Parvenue à sa huitième et dernière séance de physiothérapie, Milena Joa redoute ce qui l’attend. « Sans le soutien de Co-Vie, je ne sais pas dans quel état je serais. Mes rencontres avec la travailleuse sociale tirent aussi à leur fin et j’ai peur de me sentir à nouveau très seule. Je pourrais continuer à consulter dans le privé, mais c’est un énorme coût financier », dit cette directrice d’école, en arrêt de travail depuis avril 2021.

Là pour rester

Les experts le confirment : la COVID longue et le virus ne sont pas près de s’évanouir. « Dans le meilleur scénario, on va vivre avec eux pendant des années, voire des décennies. On doit vite équiper nos systèmes de santé pour y faire face », prévient le Dr Décary.

Ailleurs dans le monde, différentes mesures sont prises pour affronter la vague de syndromes post-COVID. En France, la loi « COVID long » adoptée en janvier 2022 prévoit la création d’une plateforme virtuelle où toutes les personnes s’estimant touchées seront dirigées vers un centre de soins adaptés. En Italie, plus de 50 millions d’euros (70 millions de dollars) ont été consacrés à une prise en charge gratuite de tous les malades atteints de la COVID longue. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, des dizaines de cliniques post-COVID sont créées pour aider les victimes.

De l’espoir, c’est ce que réclame Geneviève Dubé. « Il faut nous en donner en encourageant la recherche et en s’assurant qu’on bénéficiera tous de soutien, même si on habite en région, plaide-t-elle. Cela apaisera un peu notre détresse. Car si, pour certains, les symptômes du virus s’apparentent à ceux d’une “p’tite grippe”, dans notre cas, notre vie a été carrément confisquée. »

Des recherches en cours

La COVID longue a provoqué tout un branle-bas de combat dans la communauté scientifique internationale. Des dizaines de projets de recherche ont été lancés afin d’en comprendre les origines. Parmi les hypothèses étudiées : une auto-immunité au virus, une inflammation chronique déclenchée par celui-ci et des particules virales qui resteraient cachées dans l’organisme et entraîneraient un dérèglement du système immunitaire.

Il faudra des mois, voire des années, pour trouver des réponses, mais la collaboration entre chercheurs permet d’avancer le plus vite possible, selon la Dre Emilia Liana Falcone, directrice de la clinique de recherche post-COVID de l’IRCM. « Déjà, les premières données nous laissent croire que les personnes doublement vaccinées courent moins de risques de souffrir de cette affection », avance-t-elle.

Le vaccin peut-il alors être d’une quelconque utilité pour en atténuer les symptômes ? « Il est trop tôt pour le savoir, affirme la Dre Falcone. Tout comme on ne sait pas encore si l’un des variants augmente la possibilité d’être atteint de cette forme de la maladie. »

Même s’ils sont moins à risque que les adultes, les enfants peuvent aussi développer un syndrome post-COVID. Environ 8% des jeunes de 5 à 17 ans ont des symptômes persistants après leur infection, principalement de la fatigue et des maux de tête, révèle un article publié dans la revue The Lancet Child & Adolescent Health en août 2021. D’autres études jugent que ce nombre est sous-estimé, car il est difficile d’évaluer précisément les symptômes des tout-petits.

Les similitudes entre la COVID longue et l’encéphalomyélite myalgique – comme on appelle désormais le syndrome de fatigue chronique – attirent aussi l’attention des chercheurs. « Les trois quarts des patients atteints de COVID longue éprouvent un malaise post-effort, symptôme cardinal de l’encéphalomyélite myalgique », dit le Dr Alain Moreau, directeur du Laboratoire de génétique moléculaire des maladies musculo-squelettiques du CHU Sainte-Justine, à Montréal.

Dans les deux cas, la même recommandation : le repos. « Rares sont les maladies pour lesquelles l’exercice est contre-indiqué, mais dans le cas de la COVID longue comme de l’encéphalomyélite myalgique, il est essentiel que le patient s’impose du repos, sinon il peut vite retomber à la case départ », ajoute le Dr Moreau.

Milena Joa en sait quelque chose. La première fois qu’elle a tenté de marcher dehors plus de 10 minutes, elle s’est retrouvée clouée au lit pendant six jours. La directrice d’école, âgée de 51 ans, a contracté le virus en avril 2021 et n’a pas pu ouvrir un livre avant l’été tant elle était fatiguée et confuse.

« Je n’arrivais plus à me concentrer ni même à prononcer une phrase sans chercher mes mots, se souvient-elle. Encore aujourd’hui, je me sens très loin de la femme active que j’étais. Je perds la mémoire, j’ai du mal à suivre une conversation et j’ai le cerveau complètement embrumé, alors que tous les résultats d’examens semblent normaux », lâche-t-elle.

En avril dernier, Santé Canada a déclaré vouloir contribuer à la recherche en documentant les symptômes de 100 000 personnes touchées par la COVID longue au pays et en étudiant les répercussions de ces symptômes sur leurs conditions de vie. Les conclusions de cette enquête devraient être rendues publiques d’ici la fin de l’année.

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