Santé

Médecine génétique

La santé parfaite n’est pas pour demain, mais la recherche progresse vite. On fait le point sur ce qui est possible et sur ce qui demeure de la science-fiction.

Gène du diabète, de l’alzheimer, du bonheur… Pas une semaine ne se passe sans que de nouveaux gènes soient découverts. Mais à quoi servent donc ces mystérieuses petites parcelles d’ADN ? Quel rôle jouent-elles dans notre état de santé ? Et pourrons-nous vraiment, un jour, retirer un gène défectueux pour le remplacer par un neuf, afin de guérir la maladie ? Mieux, la prévenir ?

C’est quoi, un gène ?
Au cœur de chacune de nos cellules se trouvent 23 paires de chromosomes, constitués d’ADN (le fameux acide désoxyribonucléique, support de la transmission des caractères héréditaires). Chaque chromosome porte des milliers de gènes. Un gène est comme un « code », qui contient une information : par exemple, la couleur de nos yeux, notre taille, nos traits de caractère et même notre vulnérabilité à certaines maladies. Notre génome – c’est-à-dire l’ensemble de nos gènes, environ 30 000 – est un gigantesque plan de construction qui détermine comment chaque cellule de notre corps va fonctionner. Le génome de chacun d’entre nous est unique. Malgré cela, les êtres humains sont semblables les uns aux autres à 99,9 % !

Quelle est la différence entre « génétique » et « héréditaire » ?
L’hérédité, c’est la transmission, des parents aux enfants, de traits particuliers par l’entremise des gènes. Tout ce qui est héréditaire est donc génétique : nous venons au monde avec la moitié des gènes de notre père et la moitié des gènes de notre mère.

Mais tout ce qui est génétique n’est pas obligatoirement héréditaire. C’est que certains des gènes dont nous avons hérité peuvent se transformer au cours de notre existence. On dira alors qu’ils ont subi une mutation.

Pourquoi un gène peut-il se transformer ?
La plupart des mutations génétiques sont le fait d’erreurs au moment de la division des cellules. Nos cellules se renouvellent constamment, mais les nouvelles « copies » contiennent parfois des erreurs. La plupart du temps, l’organisme les détecte et les répare, mais il arrive que des défectuosités lui échappent.

D’autres mutations sont causées par l’environnement ou le mode de vie. Ce peut être la pollution, le contact avec des produits toxiques, l’usage du tabac ou l’abus de soleil. « Par exemple, si vous êtes fumeur, certaines toxines pourraient pénétrer dans une cellule et altérer votre ADN. Ensuite, vos cellules reproduiront cette erreur chaque fois qu’elles se renouvelleront. Cela pourrait éventuellement mener à un cancer », explique Carole Jabet, vice-présidente aux affaires scientifiques à Génome Québec.

Par ailleurs, certaines mutations sont héréditaires, car elles sont transmises de génération en génération. C’est le cas des gènes responsables de la fibrose kystique ou de la dystrophie musculaire. Ou du cancer du sein, causé par une déficience des gènes BRCA1 et BRCA2.

Cependant, toutes les mutations génétiques ne conduisent pas à la maladie. « Un gène défectueux, c’est un peu comme une faute d’orthographe, ajoute Carole Jabet. Ce peut être une faute mineure, qui n’aura pas de conséquence sérieuse, car on peut comprendre encore le sens du mot. Mais si l’erreur est importante à un point tel que le mot perd sa signification, le gène ne peut plus faire son travail. C’est là que la maladie peut survenir. »

Les gènes sont-ils responsables de notre poids ?
Notre poids est déterminé par notre bagage génétique dans une proportion de 30 % à 50 %. Le reste est affaire de mode de vie. Quels sont les gènes en cause ? D’abord ceux qui sont chargés du signal de la satiété – autrement dit, de la sensation d’avoir suffisamment mangé. « Dans nos études, au moins 10 % des gens présentent une mutation de ce gène, explique Louis Pérusse, chercheur au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval. Les gens qui en sont porteurs consomment plus de nourriture que les autres avant de recevoir le signal de cesser de manger. »

Des gènes différents contrôlent le nombre de calories brûlées au repos. D’autres encore freinent même la perte de poids entraînée par l’activité physique – bagage génétique fort utile en temps de disette, mais dont on se passerait bien en période d’abondance !

La génétique pourra-t-elle un jour neutraliser ces gènes importuns ? Louis Pérusse en doute. « Consolez-vous, dit-il, ce ne sont que des gènes de susceptibilité, c’est-à-dire qui augmentent vos risques seulement si votre mode de vie favorise la prise de poids. »

Il semble néanmoins que la génétique permettra un jour de prévenir l’obésité, grâce à un régime et à un programme d’exercice adaptés à l’hérédité de chacun. Les chercheurs tentent aussi de concevoir des médicaments qui s’attaquent aux causes de la prise de poids. « Par exemple, le Rimonabrant, mis au point par une société française, peut déjà court-circuiter le signal de la faim, explique Louis Pérusse. Mais la pilule miracle n’existe pas encore… »

Les troubles du sommeil sont-ils génétiques ?
Comme notre température corporelle ou la façon dont notre corps utilise les nutriments, nos périodes d’éveil et de sommeil sont réglées sur un cycle de 24 heures. Nos rythmes biologiques sont gouvernés par plusieurs horloges internes. La principale est située à la base du cerveau et les autres se cachent dans presque tous nos organes et nos tissus : le cœur, le foie, le sang.

Et – surprise – ce sont des gènes qui régissent leur fonctionnement. Pour le chercheur Nicolas Cermakian, de l’Hôpital Douglas, qui étudie la question, contrôler ces gènes « horlogers » serait bien utile dans un monde où l’on travaille de nuit et où l’on traverse les fuseaux horaires dans tous les sens. « Chez les gens qui changent de quart de travail, les différentes horloges du corps sont souvent désynchronisées. L’organisme finit par ne plus trop savoir quelle heure il est. Or, de tels bouleversements favorisent les troubles du sommeil, l’obésité et même le cancer. »

Être accro, est-ce dans les gènes ?
Vous n’arrivez pas à cesser de fumer ? Votre matériel génétique comporte peut-être des gènes qui favorisent la dépendance. « Si l’un de vos parents était accro à la cigarette, à l’alcool, à la drogue ou au jeu, vous courez plus de risques qu’un autre de l’être aussi », explique Alain Dagher, chercheur à l’Institut neurologique de Montréal.

On n’a pas encore mis le doigt sur les gènes qui régissent ce comportement. « Mais, dit le neurologue, on observe des tendances familiales, de même que des traits de caractère qui y prédisposent, comme la vulnérabilité au stress ou à l’anxiété. »

La maladie mentale est-elle héréditaire ?
La réponse est oui, en partie. Si l’un de deux jumeaux identiques souffre de schizophrénie, l’autre court 50 % de risques d’être atteint. Même pourcentage pour la maladie bipolaire. Par contre, la dépression et les troubles anxieux sont héréditaires à 40 %. « Ces maladies se transmettent d’une génération à l’autre, mais les gènes responsables n’ont pas encore été identifiés », explique le docteur Ridha Joober, psychiatre et chercheur à l’Hôpital Douglas.

En attendant, connaître son histoire familiale permet de consulter dès l’apparition des premiers symptômes. « Et cela compte, car la psychiatrie est l’une des disciplines médicales où les traitements sont le plus efficaces, ajoute le docteur Joober. Même la schizophrénie se soigne avec des médicaments. »

Un mode de vie sain, sans trop de stress, peut aussi prévenir les problèmes de santé mentale.

Le gène du bonheur rend-il heureux 
Biologiquement, nous ne sommes pas égaux devant le bonheur. C’est que certaines personnes produisent plus de sérotonine que d’autres. Or, la sérotonine est un neurotransmetteur – un des messagers du cerveau qui transportent les messages d’un neurone à l’autre – qui améliore l’humeur et les fonctions cognitives, stimule le désir et protège de la dépression. C’est en quelque sorte un neurotransmetteur du bonheur. Certaines personnes produisent beaucoup de sérotonine – ce sont de « gros transporteurs » – alors que d’autres, moins chanceuses, en véhiculent de petites quantités. Une différence qui provient des gènes.

Selon le neuropsychiatre français Boris Cyrulnik, les « petits transporteurs » de sérotonine sont plus fragiles face aux épreuves de la vie. Conscients de leur vulnérabilité, ils vont souvent choisir une vie calme et paisible, entourés des leurs. En revanche, les « gros transporteurs » ont besoin de stimulation pour trouver la vie excitante. Ils prennent des risques et font des folies. Lesquels sont le plus heureux ? Cela dépend de leurs expériences et de leurs choix de vie, répond le scientifique dans son ouvrage De chair et d’âme (Odile Jacob). En somme, le gène du bonheur existe, mais il ne garantit pas que vous serez heureux…

Existe-t-il un gène du suicide ?
Le docteur Gustavo Turecki, directeur du Groupe McGill d’études sur le suicide, travaille depuis des années à comprendre les causes d’un tel comportement. « Les membres de familles où l’on a fait ce geste ont plus de chances de le faire à leur tour, explique-t-il. Des recherches sur des jumeaux identiques l’ont démontré. »

Toutefois, d’autres facteurs entrent en jeu : « Notre santé mentale, notre éducation, notre environnement, la pratique ou non d’une religion, la consommation de drogue et le soutien de l’entourage, pour ne nommer que ceux-là. »

La plupart des gens qui mettent fin à leurs jours souffrent d’une maladie mentale. Le plus souvent de dépression sévère, qui comporte également une composante héréditaire. « Certains traits de caractère augmentent aussi les risques, comme le fait d’être à la fois déprimé, impulsif et agressif », ajoute le psychiatre.

La découverte d’un lien génétique permet de détecter les personnes vulnérables. Par conséquent, d’aider à prévenir le suicide. « Mais ce n’est pas une fatalité. Si vous ruminez des idées noires, demandez de l’aide. Ce conseil vaut pour tout le monde… »

Pourquoi certaines maladies génétiques sont-elles si répandues en région ?
Il existe des maladies causées par un gène défectueux héréditaire. Elles sont souvent fatales. Elles sont plus répandues dans des régions du Québec qui ont été isolées et dont les habitants se sont mariés entre eux. Par exemple, la maladie de Tay-Sachs, dans le Bas-Saint-Laurent (une personne sur 15 est porteuse) ; ou encore, l’acidose lactique, au Saguenay (autour de 14 000 porteurs). Bien des parents actifs au sein du Portail québécois des maladies génétiques orphelines – ainsi nommées parce que peu de chercheurs s’y intéressent – souhaitent que le dépistage de ces maladies se fasse de façon plus systématique. Car on peut être porteur d’un tel gène sans le savoir.

Évidemment, ces maladies représentent une terrible épreuve pour les familles. Denis Fiset, directeur du Portail, a perdu sa petite fille de quatre ans, atteinte de la maladie de Tay-Sachs. Cette affection, pour laquelle il n’existe pas de traitement, cause une accumulation de lipides dans le système nerveux. L’enfant perd la vue, l’ouïe et, graduellement, toutes les fonctions de son organisme.

Le cancer se transmet-il de mère en fille ?
Certains cancers sont en partie causés par des gènes défectueux héréditaires. Par exemple, 10 % des cancers du sein et de l’ovaire ont une origine familiale. Les coupables sont les gènes BRCA1 et BRCA2 – les chercheurs nomment les gènes par des lettres –, dont la tâche est normalement de stopper le développement anarchique des cellules, mais qui ne font plus leur travail. Si on hérite de ces gènes, le risque d’avoir un cancer du sein se situe entre 40 % et 80 % ; un cancer de l’ovaire, autour de 60 %. Des femmes qui possèdent ces gènes défectueux décident parfois de subir une double mastectomie, pour éviter d’être frappées à leur tour. « Mais il existe un autre moyen de prévenir la maladie, précise Anne-Marie Mes-Masson, directrice scientifique de l’Institut du cancer de Montréal : en accord avec son médecin, faire l’objet d’un suivi médical étroit dans le but de détecter d’éventuels cancers le plus tôt possible. »

Il reste que 90 % des cancers du sein n’ont pas de cause connue. La majorité de tous les cancers proviennent de plusieurs gènes, combinés à de mauvaises habitudes de vie et aux agressions de l’environnement.

Est-ce grave de ne pas connaître sa famille biologique ?
Bien des enfants adoptés ou encore conçus grâce à la contribution d’un donneur de sperme anonyme ne connaîtront jamais leur famille biologique. Avec l’essor de la génétique, ces enfants se trouvent privés d’informations qui pourraient être utiles pour leur santé future. « Mais il faut mettre la génétique en contexte, dit Bryn Williams-Jones, professeur adjoint de bioéthique à l’Université de Montréal. D’une part, les maladies héréditaires sont rares. Ensuite, même si vous connaissez votre famille biologique, retracer les maladies héréditaires n’est pas toujours simple. Par exemple, vos grands-parents étaient peut-être porteurs de gènes prédisposant à certaines affections, mais ils sont décédés d’autre chose. »

La plupart des problèmes de santé, des troubles cardiovasculaires au parkinson en passant par le diabète, proviennent d’une interaction entre plusieurs gènes et le mode de vie. « Il ne faut pas accorder trop d’importance aux gènes », conclut le chercheur. Ils ne sont pas seuls en cause.

Les traitements de l’avenir
Dans les 5 prochaines années: « D’ici 2012, on pourra diagnostiquer bien des troubles de santé avant qu’ils ne se manifestent, explique Martin Godbout, président et chef de la direction de Génome Canada. Grâce à une prise de sang, on peut déjà détecter le cancer de la prostate chez des hommes qui ne ressentent aucun symptôme. On aimerait bien avoir un test équivalent pour les 90 % de cancers du sein qui ne sont pas dépendants des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 ! »

Dans 5 à 10 ans, on commencera à avoir des traitements adaptés à son génome. On a beaucoup parlé de changer des gènes défectueux en implantant des gènes normaux dans un virus qui pourrait les introduire au bon endroit sur les chromosomes. Or, « remplacer un gène par un autre s’avère beaucoup plus complexe qu’on le croyait il y a cinq ans, explique Martin Godbout. Aucune société pharmaceutique ne se lancera dans une telle entreprise car, pour l’instant, on ne peut assurer où iront exactement les nouveaux gènes. »

Par contre, nous bénéficierons de médicaments conçus expressément en fonction de notre génome. C’est ce qui se produit déjà avec l’Herceptin, prescrit seulement aux femmes aux prises avec un certain type de tumeur au sein, car il s’avère inefficace pour les autres.

« Le Canada participera au projet international Cancer Genomics, un gigantesque programme qui a pour but de vaincre cette maladie d’ici 15 à 20 ans. Nous avons de bonnes chances d’y parvenir », ajoute Martin Godbout.

Dans 10 à 15 ans, nous entrerons dans l’ère de la médecine préventive. Grâce à la génomique, nous connaîtrons nos prédispositions à certaines maladies et pourrons, grâce à des médicaments faits sur mesure, les prévenir.

Sur la table des chercheurs
• À l’Université de Montréal, on se penche sur le système immunitaire pour savoir comment les gènes interviennent dans des maladies comme le sida ou l’arthrite rhumatoïde.

• À l’Université McGill, on veut mieux comprendre pourquoi 20 % des cancers du côlon sont d’origine familiale.

• Même les bactéries sont constituées de gènes : Génome Québec et Génome Canada essaient de percer les mystères de la bactérie C. difficile, qui, avec les années, devient de plus en plus résistante.

Tests génétiques : attention !
On n’arrête pas le progrès, et Internet regorge de tests génétiques de toutes sortes. Pour 1 000 $ à 2 000 $, vous pouvez même savoir si vous êtes porteuse de la mutation des gènes prédisposant au cancer du sein. « Mais ces tests ont des limites, même lorsqu’ils sont offerts dans des cliniques reconnues, explique Bryn Williams-Jones, professeur de bioéthique à l’Université de Montréal. Ils n’ont pas la précision d’un test de grossesse ; vous pouvez aussi obtenir un faux positif ou un faux négatif. »

Par ailleurs, des résultats positifs peuvent mener à des décisions difficiles. Prenons l’exemple du cancer du sein. De tels résultats bouleversent toute la famille. Des sœurs ou des tantes peuvent préférer demeurer dans l’ignorance. D’autres décident d’opter pour la double mastectomie, car elles ont vu leur grand-mère, leur mère, leur sœur mourir de cette maladie. Et si vous êtes enceinte, d’autres questions vont se poser : poursuivrez-vous votre grossesse si l’enfant à naître doit être malade toute sa vie ? « Voilà pourquoi les gens qui veulent passer ces tests doivent être conseillés et soutenus par une équipe médicale », conclut le chercheur.

Des tests génétiques discriminatoires ?
« Aux États-Unis, le débat fait rage, dit Thierry Hurlimann, collaborateur à l’Observatoire de la génétique de l’Institut de recherches cliniques de Montréal. On devrait approuver bientôt un projet de loi sur la question. Les compagnies d’assurances ne pourraient plus refuser un client en raison de ses prédispositions génétiques, ni augmenter sa prime. Cette loi interdirait aussi aux employeurs l’accès aux informations génétiques de leurs employés. »

Au Canada, un tel projet de loi n’existe pas. Toutefois, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes demande à ses membres de ne pas exiger de tests génétiques avant de conclure un contrat avec un client. Par contre, ils peuvent demander à voir les résultats de tests inscrits à son dossier médical. « On ne peut donc garantir qu’un test génétique ne portera pas atteinte aux chances d’un individu d’obtenir une assurance ou un emploi », ajoute Thierry Hurlimann.

Le débat risque de s’amplifier au cours des prochaines années, car les tests vont se multiplier, mais les traitements, eux, ne sont pas encore disponibles.

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