Culture

Maripier Morin: place à l’actrice!

Il y a la femme publique, magnétique, impeccable et au franc-parler, qu’on voit et qu’on entend partout, même in English : télé, radio, web, publicités, magazines, dans un film de Denys Arcand. Il y a la fille «en mou»: démaquillée et recroquevillée sur son sofa, qui mesure le chemin parcouru depuis Rivière-du-Loup. On a eu accès aux deux versions, qui ne font qu’une seule Maripier, adorable et entière.

Photo: Maxyme G. Delisle

«Effervescente.» C’est le premier mot qu’a utilisé Denise Robert, puissante pro-duc-trice de cinéma, pour décrire Maripier Morin. Un mot qui, ce jour-là, lui allait comme un gant, à l’instar de sa queue de cheval (parfaite) et de son chandail rose aux longues manches (parfaitement) ajusté.

Marcher derrière elle pour traverser un resto de petits-déjeuners bondé du Village gai, c’est voir les têtes pivoter, les toasts figer, les binnes refroidir. Son nom n’est pas (encore) connu de tous, mais ce visage, cette allure, cette fameuse effervescence à 10 heures du mat ne passent pas inaperçus.

Quinze minutes plus tôt, et à trois rues de là, dans les studios de Salut Bonjour, Maripier avait appris en direct à la télé ses deux premières nominations au Gala Artis. Oui, il y a eu des larmes, c’est dans sa nature. Un film triste, et la voilà transformée en mini Niagara. «Je ne te mentirai pas: avec Face au mur et la grosse machine de TVA derrière, je m’y attendais pour la catégorie jeux, m’a-t-elle avoué, une fois assise et encore un brin sonnée. Mais la catégorie talk-show ? Je ne l’ai pas vue venir. J’ai même demandé à Gino [Chouinard, à la barre de Salut Bonjour] s’il avait bien dit ce que j’avais entendu.»

Qu’on salue la qualité de son animation à Maripier!, talk-show éponyme diffusé sur une chaîne spécialisée (Z) depuis bientôt trois saisons, la rendait heureuse et émotive, mais elle y a aussi lu un message. Car peu importe l’issue, ce matin-là, Maripier se déclarait gagnante. «Cette nomination, c’est ma victoire. C’est la première fois qu’on me dit: “T’es pas juste belle, t’es bonne aussi.” Ça m’a pris huit ans.»

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En lançant cette phrase, elle regardait le troisième convive à notre table: Patrick Vimbor, dit Pat, son styliste mode devenu son agent. Lui la connaît comme s’il l’avait tricotée et anticipe ses réponses. Elle a précisé au serveur que «Pat aime son pain brun et ses œufs tournés.» On aurait dit un vieux couple. «Pat et moi, on peut tout se dire, s’envoyer chier avec toute la violence des mots, mais la “strappe” d’amour en dessous est tellement épaisse et solide que ça résiste.» Tous deux forment une équipe de feu: Maripier dans la lumière, où elle met tous les efforts nécessaires pour briller, lui dans l’ombre, qui l’encourage, négocie, échafaude. Et l’habille, bien sûr.

De là à imaginer Pat en docteur Frankenstein et Maripier comme sa créature, il n’y a qu’un pas, à ne pas faire, car c’en est un faux. «Je suis responsable d’un certain département, précise Patrick. Tout ce qui est devant la caméra vient d’elle, c’est la magie qu’elle apporte. Je peux lui donner une ligne directrice, “n’oublie pas de dire telle et telle chose”, mais l’image publique, c’est elle qui la gère.»

Elle renchérit. «On est une success story, Pat et moi. S’il n’avait pas été là pour me donner littéralement un coup de pied pour que je sorte de mon lit en me disant “t’es capable de faire quelque chose de ta vie”…  Il avait ce désir-là pour moi, il avait le guts qui me manquait pour décoller, et quand quelqu’un croit en toi, c’est vrai que ça donne des ailes et te rend invincible.»

Allô, c’est Denys

Ils doivent une fière chandelle à OD, Occupation double pour les non-initiés, la téléréalité qui l’a mise au monde et les a réunis en 2006. Le contact initial a pourtant été épique. Styliste attitré de l’émission, Pat s’est crêpé le chignon avec Maripier à cause d’une «robe noire à moitié cousue et faite tout croche, un échantillon du commanditaire». Du haut de ses 20 ans, la candidate du Bas-Saint-Laurent refusait de la porter. En mettant au boulot ses doigts de fée, il a réussi à la faire changer d’idée, ce qui tient presque du miracle, selon sa mère, Marie-Claude Fortin. «Ma fille a une tête dure-dure-dure-dure-dure.»

Patrick a décelé en Maripier plus qu’une jolie fille originale et divertissante qui déplaçait de l’air et «parlait comme un camionneur, alors que sa famille a de la classe et que sa mère est prof de français». Ce quelque chose d’unique, d’inné et d’indéfinissable que les Américains nomment star quality, Denys Arcand l’a également senti, raconte Denise Robert, conjointe et complice du cinéaste. «Il y a quatre ans, Denys, qui présidait la Coupe Rogers de tennis de Montréal, avait été interviewé par une jeune reporter de l’émission District V [chaîne V], je crois. Il l’avait trouvée effervescente, sympathique, très à l’aise et très belle aussi. Maripier est restée dans son tiroir “à revoir un de ces jours”. Quand est venu le temps de monter le casting de La chute de l’empire américain, il a pensé à elle pour le personnage d’Aspasie, “l’escorte” la plus chère de Montréal.»

À l’instar d’une trentaine d’actrices, l’animatrice, qui n’avait jamais joué, a été vue en audition. Trois fois plutôt qu’une. Mais dès la première, Aspasie, un rôle de premier plan, lui appartenait. «Elle était très convaincante», assure Denise Robert.

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Photo: Maxyme G. Delisle

Une vraie pro

Le contrat signé, Maripier a exigé deux mois et de l’aide pour se préparer avant d’entendre «Action!». «Chaque fois que les gens ont dit que j’allais me planter, pour le talk-show ou pour Face au mur, j’ai prouvé que j’étais capable de gérer la pression. Je m’organise pour arriver prête.» Denys et Denise ont réquisitionné les talents d’une coach d’acteurs réputée: la comédienne Johanne Marie Tremblay, familière de l’œuvre d’Arcand pour l’avoir souvent fréquentée (elle était de la formidable distribution de Jésus de Montréal).

«C’était l’été dernier, on avait prévu une dizaine de rencontres, on en a eu beaucoup plus, se rappelle Johanne Marie. À partir du moment où la petite porte d’une émotion s’ouvre, elle est plus facile à rouvrir une fois sur le plateau. Maripier ne se contente pas d’être jolie, elle va vers les autres, et elle travaille fort.» Au menu: toutes les scènes à explorer, de l’anodine avec Pierre Curzi et Rémy Girard à la torride avec Alexandre Landry (qu’on a vu dans le film Gabrielle et la série Cheval-Serpent). «On l’a travaillée avec Alexandre chez Maripier, qui était très ricaneuse.» L’actrice en herbe avait une excuse: «Quand je suis nerveuse, je ris. Et j’étais tellement stressée, je capotais.»

La beauté ne suffit pas

Sur YouTube, dans l’extrait d’une entrevue accordée à Michel Jasmin, la Maripier de 2007 qui revient sur ses amourettes de téléréalité ressemble très peu à la Maripier de 2018. «J’ai laissé pousser mes sourcils.» C’est tout ? «Elle est plus mince aujourd’hui, d’au moins 15 livres pour 5 pieds 4 pouces, a ajouté Patrick. Je la comparais beaucoup à Sophia Loren quand elle était plus voluptueuse, plus bronzée ; elle avait l’air plus italienne.» Ce qu’elle est en partie grâce à son père, Gabriel Morin, chauffeur d’autocar, fils d’Amodio Sozio, un Italien débarqué à Montréal en 1908.

Quoi qu’il en soit, le résultat a convaincu Revlon d’élire Maripier en 2015 première égérie québécoise de la marque. Du coup, la Louperivoise a rejoint un contingent de canons: Halle Berry, Emma Stone, Cindy Crawford…

La beauté, surtout la sienne, n’est pas un sujet qui l’emballe. «Rien ne m’ennuie plus que ça.» Il y a un malaise, comme si, après avoir été si longtemps réduite à sa plastique de top-modèle, Maripier souhaitait braquer les projecteurs ailleurs. Vous lui mentionnez une photo de magazine où elle est particulièrement renversante ? La cover-girl hausse les épaules, pique sa fourchette dans une patate rissolée, explique que c’est la somme de divers ingrédients : bonne lumière, bon photographe, bon maquilleur, bonnes retouches. « Des filles qui me ressemblent au Québec, il y en a plein. » Peut-être, mais sa beauté à elle lui a servi, non ? (Soupir.) «Je ne serais pas là où je suis si je ne ressemblais pas à ça. Mais si j’étais juste belle, sans ma personnalité, je ne serais pas là non plus.»

Une réticence sur laquelle sa mère jette un éclairage. «Maripier se fait dire qu’elle est belle depuis le premier jour de sa vie. À la pouponnière, elle n’était jamais dans son berceau quand j’allais l’allaiter, les infirmières se l’arrachaient pour la cajoler. Je ne la trouvais pas plus cute que les autres bébés. Son -charisme, je ne le voyais pas encore.» Et puis il y a eu cette anecdote, dont elle se -souvient « comme si c’était hier». «Ma fille avait quatre ans, on était au dépanneur, la cais-sière lui a lancé: “T’es tellement belle.” Et Maripier a répondu: “Je le sais.” Dans l’auto, je lui ai dit : “C’était quoi, cette réponse de merde-là? Si t’as rien d’autre à répondre, dis rien!” Parce que les gens lui répétaient tous les jours qu’elle était belle, je ne l’ai jamais fait. J’avais peur qu’elle devienne un monstre de vanité. Je commence à le lui dire. Peut-être qu’elle aurait aimé que je le fasse avant…»

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Photo: Maxyme G. Delisle. Stylisme mode: Patrick Vimbor. Mise en beauté: Jessica LaBlanche (Folio) avec les produits Nars, Martin Alarie avec les produits Davines. Assistants du photographe: Marc-Antoine Dubois et Renaud Lafrenière. Assistant du styliste: Benjamin Clément. Stylisme accessoires: Karine Blackburn. Plantes: Décors Véronneau.

Une boîte à souvenirs

Une semaine plus tard. Rendez-vous pour un tête-à-tête matinal chez elle, au cœur du Plateau. Son homme, Brandon Prust, est aux États-Unis « pour un tournoi de golf ». L’ex-hockeyeur professionnel de 34 ans est désormais entraîneur d’une équipe de la Ligue de hockey junior de l’Ontario (OHL) à London, sa ville natale. Avant, il a joué en Allemagne, après avoir été avec les Canucks de Vancouver et le Canadien. Ensemble depuis huit ans, le couple jet-set, qui s’est marié l’été dernier, a souvent été séparé. Elle s’y est habituée.

«Ma vie est complètement carencée : 90 % pour le travail, 10 % pour le reste. Quand j’ai des rushs, je préfère qu’il ne soit pas là, sinon, ça m’ajoute un stress que je ne peux pas expliquer. Et quand il revient, il est tout le temps dans mes jambes. Mais la réadaptation est le fun. Quand on aura des enfants, ça va être plus compliqué…»

Pas maquillée, à peine coiffée, très relax dans son sofa, un jus bio-végé-santé à la main (la popote ? pas son truc), elle venait visiblement de quitter les bras de Morphée. Et son charisme –si bien décrit par l’humoriste Martin Perizzolo, le fou de la reine au talk-show Maripier! – ne m’a jamais paru aussi évident. «Quand on a la chance d’être dans son entourage, on voit l’autre beauté, celle qui se cache au fond de ses yeux magnifiques, dit-il. Maripier, c’est une belle personne. Le jour où on s’est rencontrés, j’ai eu un coup de foudre, pas juste professionnel, mais de personnalité. J’aime cette fille, ce qu’elle dégage. Elle me rend profondément heureux.»

À un moment, mon hôtesse a couru chercher sa «boîte à souvenirs», qu’elle n’avait pas ouverte depuis des lustres. L’objet qu’elle croyait y trouver pour me le montrer n’y était pas, mais ce qui s’y cachait l’a transportée dans le temps…

«Oh mon Dieu, mon numéro d’audition d’OD !» Cet épisode fondateur de son étonnante carrière a laissé des cicatrices. Cataloguée bien malgré elle comme la «bitch de service», Maripier a connu l’enfer à la minute où elle est passée de la télé à la réalité. «Je ne fais pas l’unanimité, des commentaires méchants, j’en reçois encore plein et je me suis construit une carapace, mais à l’époque d’OD, c’était cent fois plus violent et je n’avais que 20 ans. Je me sentais comme une vidange. Dans un bar de Granby, quatre filles m’ont battue. Chez Rona, je me suis mise à pleurer devant le rayon des cordes. J’étais tellement conne que j’étais incapable de faire un nœud pour me pendre.» Le temps qu’un ange passe, elle a eu un sourire triste. Songeait-elle aux effets collatéraux du tumulte qu’elle avait vécu sur ses proches? «J’ai appris avec Maripier à faire face à des réalités que je dois partager avec tout le monde, a dit sa mère. À l’époque d’OD, de bons amis ont arrêté de nous parler.» Pire : Raphaël, son frère cadet qui entrait dans l’adolescence, a été affecté au point de fuir dans la drogue.

La vue d’un toutou a chassé l’ombre d’OD. «C’est Raphaël qui me l’a donné quand je faisais du patinage artistique de compétition, je le traînais partout.» Pendant une décennie, l’aînée de la famille a multiplié arabesques et sauts piqués avec une détermination exemplaire, un esprit de compétition féroce («arriver deuxième n’était pas une option») et une cible précise: les Olympiques. Blessée, elle a dû remiser ce rêve d’enfant. Tout n’a pas été perdu. «Mon passé d’athlète m’a donné les moyens de mes ambitions, et j’en ai beaucoup.» Et Raphaël ? «Il va mieux, il s’en est sorti, il habite à Québec et travaille dans la restauration.» Étonnamment, Mathieu, son autre frère, a lui aussi participé en 2014 à une téléréalité, Vol 920, mais sans turbulences, si on compare à la tempête qu’a essuyée sa grande sœur. «Il est maintenant scripteur pour mon talk-show.»

Demain, la France

Au fond de la boîte, il y avait sa passe d’accréditation pour les Oscars, qu’elle a couverts en 2015 à titre de collabo-ratrice à District V. L’animatrice, qui n’avait jamais pensé faire du cinéma, a eu la piqûre avec le film d’Arcand. Mais Hollywood attendra. «Le seul plan qu’on a, Pat et moi, c’est la France.»

Ils peuvent compter sur un buzz qui a du poids. Dominique Besnehard, proche du tandem Denys-Denise, agent d’artistes le plus célèbre de France, qui a «découvert» Sophie Marceau et géré la carrière de Jeanne Moreau, a sacré Maripier «la nouvelle Bardot» dans La Presse+. Denise Robert tempère. «C’est un beau compliment à la française. Je ne ferais pas la même comparaison, même si sa photogénie est assez impressionnante. Elle n’a pas joué le personnage, elle est le personnage. La nuance est là. Elle est d’un naturel renversant.»

Maripier se fait plus modeste. «J’avais dit à ma coach: “Si j’arrive à être juste, et à ne pas être le maillon faible du film, je vais être contente.” Je crois que j’ai réussi.»

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Nour remercions l’équipe de l’hôtel Renaissance pour son accueil.

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