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Conversations avec «la petite fille brûlée au napalm» et autres témoins de l’histoire

Des ex-présidents, des philosophes, des Prix Nobel, des victimes de l’Holocauste ou de la guerre du Vietnam… La journaliste Mélanie Loisel a eu l’idée de rencontrer ces témoins de l’histoire et de raconter leurs souvenirs dans un livre,Ils ont vécu le siècle.

Des survivants de l’Holocauste à ceux des conflits en Syrie, Mélanie Loisel a rencontré 62 témoins de l’histoire. 62 personnes qui lui ont livré leurs souvenirs d’un grand moment du siècle dernier. Son livre d’entretiens, Ils ont vécu le siècle, paraît ces jours-ci dans toute la francophonie. Rencontre.

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Photo: Éditions de l’Aube

On ne se lève pas un matin avec l’intention d’interviewer une soixantaine de personnalités qui ont vécu les événements marquants de l’histoire, de la Deuxième Guerre mondiale à l’actuelle crise des migrants. Comment ce projet s’est-il imposé à vous ?
À l’hiver 2013, alors que je travaillais comme recherchiste sur un documentaire relatant les grands discours historiques, j’ai remarqué que les personnes âgées étaient intarissables. Elles avaient envie de se confier à moi et y prenaient un plaisir fou. Parce que je suis jeune. Et qu’elles ressentent l’urgence de transmettre leurs réflexions aux nouvelles générations. La journaliste en moi a senti l’appel d’un projet intergénérationnel !

J’ai visé d’abord les survivants de la Deuxième Guerre, les gens de pouvoir et ceux qui avaient côtoyé les Gandhi, Mandela, Mao, Castro… J’ai passé des journées entières à dénicher leurs coordonnées sur le Web et à envoyer des demandes officielles par courriel. Mes bouteilles à la mer ont porté leurs fruits : au printemps, j’avais décroché une quinzaine de rendez-vous – à Paris, Genève, Stockholm, Beyrouth… Après ce blitz d’entrevues, l’idée de remonter le fil du siècle à l’aide de témoins-clés a germé. Pendant tout l’été, j’ai fait un deuxième envoi de courriels pour combler les trous de l’histoire. Et dès que j’apprenais qu’une personnalité était de passage à Montréal ou à Toronto, je m’arrangeais pour la rencontrer.

Vous avez tenté en cours de route de vendre votre projet auprès d’éditeurs et de médias québécois… sans succès.
Tous me disaient que c’était insensé ! Or j’avais promis à tous ces gens – des présidents, conseillers, militantes, opposants, ex-otages, Prix Nobel, philosophes… – de porter leur voix. Heureusement, la maison d’édition française l’Aube s’est montrée intéressée [la même qui a publié ses entretiens avec Martin Gray, Ma vie en partage, en 2014, ndlr]. J’ai arrêté toutes mes activités professionnelles pour transcrire, écrire et réécrire.

Il faut être en forme pour passer à travers cette série d’entretiens. C’est un véritable cours d’histoire en accéléré !
Justement, je ne voulais pas faire un livre d’histoire ! Il en existe des milliers sur l’Holocauste, la création de l’État d’Israël, l’Apartheid, la révolution cubaine, Mai 68, la Guerre du Vietnam, le référendum du Québec… L’histoire, ce sont les hommes et les femmes qui la façonnent et la vivent dans un florilège d’émotions – combativité, résilience, colère, vengeance, amertume.

Chaque entretien tient en 4 ou 5 pages. On commence par celui qu’on veut. Mon but est de susciter la réflexion et de faire prendre conscience des réalisations de nos aînés, de leurs réussites et de leurs échecs. S’ils ont pu changer le cours de l’histoire, alors nous aussi, on le peut!

On sent qu’une réelle discussion s’est instaurée entre vos interlocuteurs et vous. Comment avez-vous fait pour éviter la langue de bois ?
Je me suis présentée à eux avec ma jeunesse, mes cheveux ébouriffés, mes lunettes rouges et mon sac à dos. Je les ai laissés parler, se raconter. J’avais lu leurs livres. Je connaissais leur histoire. Je n’étais pas là pour les coincer, mais pour les écouter. Il y a eu beaucoup de rires, de silences et de larmes. C’est arrivé aussi que le courant ne passe pas. Et je le dis.

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La saisissante photo de « la petite fille brûlée au napalm au Vietnam». (Photo: Canadian Press Images)

Sur 62 personnes interviewées, seules 10 sont des femmes…

Et pourtant, je les ai cherchées ! Qu’on le veuille ou non, le XXe siècle aura été masculin. Je me suis concentrée sur les premières femmes élues à la tête d’un État, telles Vigdis Finnbogadottir, ex-présidente de l’Islande, et Mary Robinson, ex-présidente de l’Irlande. J’ai cherché aussi du côté des survivantes – les femmes sont souvent les premières victimes de la guerre. Kim Phúc, « la petite fille de la photo », brûlée au napalm au Vietnam, était incontournable – elle m’a fait l’honneur de signer la préface. Elle est l’emblème de la barbarie du XXe siècle. Féminine, maternelle, elle m’a parlé de son corps et ses cicatrices. « Si je le traite bien, il va bien me traiter. » La survivante de la bombe d’Hiroshima, Setsuko Thurlow, était elle aussi animée par un désir d’enfants, sans savoir s’ils naîtraient en santé.

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Kim Phúc, « la petite fille brûlée au napalm », aujourd’hui

L’ex-première ministre d’Haïti, Michèle Duvivier Pierre-Louis, m’a avoué que René Préval, alors président, lui avait joué dans le dos parce qu’elle était une femme. L’ex-présidente de la Suisse, Micheline Calmy-Rey, m’a dit à quel point ça l’avait agacée qu’on lui parle de ses lunettes et de ses cheveux !

L’ancien combattant Germain Nault, le lieutenant-général Roméo Dallaire, l’ex-premier ministre Jacques Parizeau. Ce sont les trois seuls Québécois à votre tableau de chasse.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Aucun autre homme de pouvoir québécois n’a répondu à mes demandes. Parizeau m’a accordé l’une de ses dernières entrevues avant de mourir. C’est grâce à des hommes comme lui si moi, Mélanie Loisel, j’ai pu recueillir les mémoires du monde. Parce que sa volonté politique a permis de construire des institutions et d’instruire la population.

Que retenez-vous de cette recherche ?
Quand j’ai commencé ce projet, j’étais très en colère. Je me sentais impuissante devant la souffrance du monde, la tyrannie des patrons, l’immobilisme des institutions. Je voulais changer les choses, mais comment ? Au moment où je me suis assise pour écrire, j’ai senti la paix s’installer en moi. Le petit-fils du Mahatma Gandhi, Arun, était lui aussi très en colère contre l’injustice, la discrimination et le racisme dans son pays. Il m’a confié que son grand-père lui avait conseillé de tenir un journal. « Tu dois écrire chaque fois que tu es en colère à propos de quelque chose. N’agis pas, ne dis rien ou ne fais rien que tu pourrais regretter, mais écris. Écris dans ton journal ce que tu ressens, avec l’intention de trouver une solution à ton problème, et ensuite, engage-toi à mettre en place cette solution. » J’ai appliqué ce conseil. Et je souhaite que tous tirent des leçons de mon livre.


Ils ont vécu le siècle
, de Mélanie Loisel (2015 ; éd. de l’Aube)

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