Le titre : Guillaume Apollinaire – Lettres à Lou
L’auteur : Préface et notes de Michel Décaudin
L’histoire : « En août 1914, le poète Guillaume Apollinaire se trouve à Paris seul et désœuvré. La guerre a dispersé presque tous ses amis. Les journaux auxquels il collaborait ont cessé leur publication (…) Les maisons d’édition sont en sommeil. Toute activité littéraire ou artistique est suspendue. » En attendant son incorporation dans l’armée française, Apollinaire passe quelques semaines dans le Midi avec un copain. Un soir, les deux compères sont conviés à une fête où l’on fume de l’opium et où le poète fait connaissance avec celle qu’il appellera Lou. Louise de Coligny est ardente, indépendante, gracieuse, aventureuse, frivole et osée. Apollinaire est totalement subjugué par cette femme, qu’il inondera de lettres et de poèmes à partir du moment où il se retrouve au front, soldat dans les tranchées.
L’univers : Après une courte semaine de passion charnelle, Apollinaire idéalise cette femme à qui il écrit tous les jours. Toutes ses missives ont pour but de séduire, d’enflammer et de conquérir. Lettres à Lou est un recueil posthume. Apollinaire, qui est mort en 1918, n’a donc pas décidé du choix et de l’ordre des textes publiés après la mort de Lou en 1963.
La voix : Le grand poète chante ici son bonheur, célèbre la sensualité de la femme aimée, alterne entre la naïveté adolescente et des moments de grave lucidité. Tel un homme face à son destin de soldat.
Extrait : « [Nîmes, le] 3 février 1915.
Mon petit Lou, c’est la 4e fois que je t’écris aujourd’hui – je t’envoie ci-incluse ma lettre du 30 janvier qui m’a été retournée – pas d’adresse! J’avais oublié de l’écrire. Je t’embrasse mille fois et vais t’écrire un petit poème aussitôt ma lettre finie. Le temps a été beau cet après-midi. Je suis plus patient, ce qui est une façon de t’aimer davantage. Il y a eu encore un départ aujourd’hui. Ce n’est pas long, un départ. On désigne les hommes le soir, ils partent le lendemain matin. D’ailleurs, ils ne sont plus aussi bien équipés que ceux partis il y a un mois. On ne nous permet plus d’approcher ceux que nous connaissons pour leur dire au revoir. J’avoue que je trouve cela un peu brutal et un peu expéditive la façon de ne leur donner pas le temps de dire ouf! Nos plaques d’identité à tous sont prêtes comme nos livrets. Je me demande si nous resterons – je dis moi – jusqu’à juin. Enfin, si tu le crois, je veux bien et parce que je t’ai. Sans quoi… Je t’aime, Lou, t’adore, te suce la bouche, te baise partout, partout, ma chérie, ma consolation, mon amour, ma gloire. Je te serre dans mes bras et t’y garde longtemps de toutes mes forces, pour toujours. Ton Gui. »
La raison de le lire : Apollinaire utilise toute la gamme de mots à sa disposition pour conquérir Lou. Les métaphores sont audacieuses et charnelles. Elles provoquent, font sourire, donnent corps à l’expression de son désir ardent. Lou n’est pas farouche, et cela permet au poète d’entremêler l’amour, la jouissance et la poésie, et de vivre un amour littéraire dégagé de tout moralisme. Lou devient alors sa muse. Un être de mots.
En deux mots : Passionné et folâtre.
Éditeur : Gallimard – Collection L’Imaginaire – 530 pages.
Le titre : Albert Camus et René Char : Correspondance 1946-1959
L’auteur : Édition établie, présentée et annotée par Franck Planeille
L’histoire : Cent quatre-vingt-quatre lettres passionnantes rassemblées dans un recueil qui célèbre la tendre et virile amitié entre René Char (1907-1988), l’un des plus grands poètes français du XXe siècle, et Albert Camus (1913-1960), Prix Nobel de littérature 1957 et auteur de La Chute et de L’Étranger. Leur correspondance s’étend du moment de leur rencontre en 1946 jusqu’à la mort de Camus en 1960. En frères d’amitié engagés dans les tumultes de leur temps (guerre, résistance, décolonisation), ils commentent de façon lucide les soubresauts de l’Histoire et leurs drames intimes (maladies, épreuves affectives, doutes et jubilations créatives).
L’univers : Au-delà du simple échange entre écrivains, cette correspondance est une histoire entre deux hommes d’exception. On découvre le lien unique qu’ils développèrent au fil de leurs écrits respectifs. Camus et Char s’admiraient autant pour leurs œuvres que pour leurs personnes. Et leur amour du soleil et de la liberté était la pierre angulaire de leur fraternité.
Les voix : « Cher René,
(…)Plus je vieillis et plus je trouve qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent, et qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. (…) C’est ainsi que je suis votre ami, j’aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure, en un mot, et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours.» (Camus, 17 septembre 1957)
« Cher Albert,
(…) Ils sont en si petit nombre ceux que nous aimons réellement et sans réserve, qui nous manquent et à qui nous savons manquer parfois, mystérieusement, si bien que les deux sensations, celle en soi et celle qu’on perçoit chez l’autre, emportent même élancement et même souci… » (Char, septembre 1957)
Extrait :
« [Le Panelier] 30 juin [1947]
Cher René Char,
J’ai été bien content de votre lettre. Il y a peu d’hommes aujourd’hui dont j’aime à la fois le langage et l’attitude. Vous êtes de ceux-là – le seul poète d’aujourd’hui qui ait osé défendre la beauté, le dire explicitement, prouver qu’on peut se battre pour elle en même temps que pour le pain de tous les jours. Vous allez plus loin que les autres, n’ayant rien exclu. C’est assez pour vous dire la joie que m’a causée votre affectueux accord. Ce qui n’a rien à voir avec les qualités ou les défauts de La Peste. C’est plus profond.
Puis-je maintenant vous demander un service, comme à un vieux camarade? Voilà : je suis fatigué de Paris et de la pègre qu’on y rencontre. Mon désir profond serait de regagner mon pays, l’Algérie, qui est un pays d’hommes, un vrai pays, rude, inoubliable. Mais pour des raisons très différentes, ce n’est pas possible. Or, le pays de France que je préfère est le vôtre, et plus précisément le pied du Luberon, la montagne de Lure, Lauris, Lourmarin, etc.
Jusqu’ici, la littérature ne m’avait pas enrichi. Mais La Peste va me rapporter un peu d’argent. Je voudrais acheter une maison dans ce pays. Pouvez-vous m’y aider?
Vous imaginez sans doute ce qui peut me convenir. Une maison très simple, quoique grande (j’ai deux enfants et je voudrais y loger ma mère, de temps en temps), la plus écartée possible, meublée si possible, plus commode que confortable, et devant un paysage qu’on puisse regarder longtemps.
Je m’excuse de cette demande. Je m’adresse ailleurs aussi. Mais c’est en vous que j’ai confiance : vous vous mettrez à ma place. C’est pourquoi je vous écris tout cela avec simplicité. Si vous ne connaissez rien, ne vous alarmez pas. Vous gardez toujours ma fraternelle pensée.
Albert Camus »
La raison de le lire : Parce que leur commune délicatesse est exemplaire. Parce que leurs voix portent les mêmes révoltes et désirs de beauté.
En deux mots : Amour fraternel.
Éditeur : Gallimard – 264 pages.
L’auteur : Christian Bobin (62 ans)
L’histoire : Déjà, on ne sait pas à qui elles sont adressées, ces treize courtes lettres, précédées d’un lumineux prologue et suivies d’un épilogue presque baroque. À la part manquante? À la femme à venir? À l’inespérée? Cela dit, le sujet est sans équivoque. Ces Lettres d’or parlent d’amour, d’écriture et d’effacement. De la nature, la lumière, la douleur et la solitude aussi.
L’univers : Christian Bobin écrit des méditations qui nous aident à voir la beauté des choses. Et puisqu’il est l’un des grands écrivains catholiques de son époque, Bobin prêche. Il prêche l’amour et la sagesse, et sa quête est à la fois spirituelle et esthétique.
La voix : Ses textes, caractérisés par leur brièveté, se situent entre l’essai et la poésie. Il y a de très belles bribes de phrases dans ses Lettres d’or. Par exemple? « Il n’y a pas d’autre art que l’art amoureux. C’est l’art souverain de la lenteur et de la vitesse. C’est l’art de susciter un éclair, sans jamais l’arrêter en l’orientant vers vous. »
Extrait : « Il y a ces deux choses en nous : l’amour et la solitude. Elles sont entre elles comme deux chambres reliées par une porte étroite. Écrivant, on va de l’une à l’autre, incessamment. On ramasse ce qui est sous le ciel, ce qui brûle dans le sang. On en fait un bouquet de fleurs géantes, semblables à celles que découpent les enfants dans du papier peint. On l’offre à une jeune femme. Elle prend ce qu’on lui donne. Les lettres sont vraies dans le temps de les lire. Après, elles s’effacent, elles se fanent. Elle les jette, elle les demande encore. D’autres lettres, encore. D’autres phrases illisibles, comme celle-ci : je vous aime; j’aime cet amour dont je vous aime, je l’aime jusqu’à la folie, jusqu’à la bêtise. Ainsi de suite. Des choses comme ça, on écrit. On ne sait pas bien ce que l’on fait. Il y a ce que l’on connaît, qui est étroit. Il y a ce que l’on sent, qui est infini. Ce que l’on connaît flotte au-dessus de ce que l’on sent, comme une petite bête morte dessus les eaux profondes. Écrivant, on va contre toutes connaissances. Ce qu’on ignore, on l’appelle, on le nomme. On voit l’amour et la solitude : une seule chambre à vrai dire, un seul mot. De la solitude, nous ne viendrons pas plus à bout que notre mort. C’est ce qui fait que l’on aime et que le temps se passe ainsi, dans l’attente lumineuse de ceux que l’on aime : car même quand ils sont là, on les espère encore. On touche leurs épaules, on lit dans leurs yeux, et la solitude n’est pas levée pour autant. »
La raison de le lire : Parce qu’il s’interroge sur l’origine et les conséquences du sentiment amoureux. Parce que son écriture est simple et légère; quoiqu’un peu angélique.
En un mot : Lyrique.
Éditeur : Fata Morgana – 56 pages.
Le titre : Camille Claudel – Correspondance
Les auteurs : Édition d’Anne Rivière et Bruno Gaudichon
L’histoire : La vie de Camille Claudel (1864-1943), célèbre sculptrice française redécouverte dans les années 80 grâce à un film dans lequel Isabelle Adjani l’incarnait de façon majestueuse, racontée à travers des extraits de lettres adressées à son frère, l’auteur Paul Claudel, sa mère, ses commanditaires, son père, ses créanciers et, bien sûr, Rodin, son grand amour destructeur.
L’univers : Disparue en 1943 à l’âge de 78 ans, abandonnée par les siens pendant trente ans dans un asile d’aliénés, cette grande sculptrice est surtout célèbre pour sa vie à la fois romanesque et tragique, marquée par sa grande passion pour son maître : Auguste Rodin.
La voix : « Ce désir d’exister par elle-même (au-delà de Rodin) en tant qu’artiste est très manifeste dans la correspondance. Et ce désir d’émancipation se conjugue peu à peu avec le délire qui prend forme sous nos yeux, au fur et à mesure que nous progressons dans la lecture des lettres. Mais la publication de la correspondance de Camille Claudel permet d’entendre, sans autre médiation, la voix de l’artiste. »
Extrait :
« Camille Claudel à Florence Jeans
16 mai 1888
(AMR) [1]
Your favourite virtue. Je n’en ai pas : elles sont toutes ennuyeuses.
Your favourite qualities in man. D’obéir à sa femme.
Your favourite qualities in woman. De bien faire enrager son mari.
Your favourite occupation. De ne rien faire.
Your chief characteristic. Le caprice et l’inconstance.
Your idea of hapiness. D’épouser le général Boulanger[2].
Your idea of misery. D’être mère de nombreux enfants.
Your favourite colour and flower. La couleur qui change le plus et la fleur qui ne change pas.
If not yourself, who would you be? Un cheval de fiacre à Paris.
Where would you like to live? Dans le cœur de monsieur Wilson[3].
Your favourite prose authors. Monsieur Pellerin, auteur de célèbres images[4].
Your favourite poets. Celui qui ne fait pas de vers.
Your favourite painters and composers. Moi-même.
Your favourite heroes in real life. Pranzini ou Trupmann (au choix).
Your favourite heroines in real life. Louise Michel[5].
Your favourite heroes in fiction. Richard III.
Your fevorite heroines in fiction. Lady Macbeth.
Your favourite food and drink. De la cuisine de Merlatti (l’amour et l’eau fraîche).
Your favourite names. Abdonide, Joséphyr, Alphée[6], Boulang.
Your pet aversion. Les bonnes, les cochers et les modèles.
What characters in history do you most dislike? Ils sont tous désagréables.
What is your present state of mind? Il est trop difficile de le dire.
For what fault are you most intolerant? Je tolère tous mes défauts, mais pas du tout ceux des autres.
Your favourite motto. Un tiens vaut mieux que deux ʺtu l’aurasʺ.
Cam Claudel, 16 mai 1888 »
La raison de le lire : Parce qu’elle est un personnage emblématique du féminisme.
En un mot : Vertigineux.
Éditeur : Gallimard Collection Art et Artistes – 334 pages.
[1] Le document suivant est extrait d’un album intitulé « An Album of Confessions to Record Thoughts, Feelings & c. ». La page de garde porte la mention Florence M. Jeans September 1878.
[2] Général George Boulanger (1837-1891) : ministre de la Guerre (1886-1887) très populaire, il regroupait autour de lui les patriotes « revanchards ».
[3] Peut-être s’agit-il de l’homme politique français Daniel Wilson (1840-1919), gendre du président Jules Grévy, impliqué dans le scandale du trafic des décorations dans les années 1886-1887.
[4] Jean-Charles Pellerin (Épinal, 1756-id., 1836), imprimeur à Épinal, est le célèbre éditeur des images populaires dites d’Épinal.
[5] Louise Michel (1830-1905) : institutrice et célèbre anarchiste qui prit part à la Commune et fut déportée en Nouvelle-Calédonie de 1873 à 1880.
[6] Dieu-fleuve de la mythologie grecque.