Culture

Envoûtante Lou

Rencontre avec l’auteure-compositrice Lou Doillon lors de son dernier passage à Montréal.

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Lou Doillon à l’Olympia de Montréal. Crédit photo : Melissa Maya Falkenberg

Elle s’appelle Lou Doillon, mais je préfère dire Lou. Il n’y en a qu’une, du moins, il n’y en a qu’une seule comme celle-là. Trois petites lettres, autant de profondeur musicale… Un peu comme une louve poussant son hurlement en pleine forêt et en pleine nuit : ça arrive quand tu ne t’y attends pas, puis tu trouves un je-ne-sais-quoi d’apaisant dans cette sauvagerie, probablement la vérité.

Rencontre sans colorant avec, comme mon amie Marie-Pier se plaît à dire, « la plus folk des Françaises ».

Lou, as-tu besoin d’être toi-même envoûtée pour faire de la musique envoûtante?

Absolument. J’ai besoin d’être inspirée pour être inspirante. Mais j’ai de la chance parce que je suis contente de tout, tout le temps. Trouver l’inspiration n’est donc pas une chose difficile pour moi. Tout m’émeut, c’est une seconde nature. Je vois la beauté partout. Je regarde les oiseaux… Même un pigeon peut me faire de l’effet! (Rires.)

Si je comprends bien, tu te laisses envoûter n’importe où! Mais ta bulle de création idéale, elle ressemble à quoi?

J’ai un côté animal qui a besoin de son terrier. J’ai une maison toute petite, cachée dans Paris, sombre, où il n’y a presque pas de lumière. C’est mon laboratoire. J’aime écrire entourée de mes livres, de mes chandelles, bijoux, têtes de mort… C’est d’ailleurs un cauchemar pour les gens de vivre avec moi, car je garde tout. Mais c’est quoi ce bout de plastique? Non! Ne le jette pas! Je l’ai trouvé sur le bord de la route quand j’avais 17 ans, c’était la première fois que… Tu comprends? J’ai une mémoire de tout.

La solitude est-elle un besoin?

Je ne peux pas commencer à écrire une chanson avec des gens autour. Vu que je suis de nature timide, pour tester, je dois être seule. Une fois que la chanson est sortie, que l’on s’est comprises, elle et moi, que l’on s’est laissé aller l’une avec l’autre, là, je peux partager avec tout le monde.

Mais, tu sais, je n’ai pas de sentiments personnels par rapport à mes chansons. I.C.U., à un moment donné, je me suis demandé où je l’avais entendue, si c’est moi qui l’avais écrite, tellement elle est sortie toute seule. L’inspiration, ce n’est pas une démarche intellectuelle. C’est une antenne.

C’est le chanteur et réalisateur Étienne Daho qui, un jour, est entré chez toi et a découvert les centaines de chansons qui y traînaient. C’est avec lui que tu as fait Places, ton premier album. Surprenant mix and match, non?

Étienne Daho est un roi de la pop française. Je suis à l’opposé de ça. Ce qui m’inspire, c’est le folk et le blues. Quand on a commencé à travailler ensemble, les gens ne comprenaient pas! Ils disaient : « Tu devrais aller travailler avec des mecs du folk aux États-Unis! »

Mais ce qu’ils ne savent pas est que l’obsession d’Étienne, c’est la soul. Quand il m’a rencontrée, il était convaincu que j’avais une dimension soul. Nos deux univers se sont donc rentrés dedans.

On a aussi pris en considération mes obsessions à moi, comme les chorales d’enfants. Il me disait, consterné : « Mais, c’est ringard, ça! » Je m’en fous, j’adore entendre des enfants qui chantent! Et l’accordéon…

C’était voulu dès le départ de vous éloigner du folk traditionnel?

Non! Ce qu’Étienne voulait faire idéalement : un album guitare-voix. Mais la maison de disques a dit : « Vous êtes dingues ou quoi? Déjà, une Française qui décide de faire du folk. En anglais en plus. Fille de (Jane Birkin), demi-sœur de (Charlotte Gainsbourg), ex-mannequin, ex-actrice… Ça suffit! Vous voulez qu’on vous prenne au sérieux? Essayez au moins d’avoir des arrangements! » (Rires.)

Étienne a donc fait des arrangements, mais pas trop, pour qu’il « reste de la place ». Ce que je supporte le moins dans le monde moderne, c’est que tout devienne un gâteau de mariage. Des couches et des couches, de la surproduction, des effets sur toutes les voix… Moi, je voulais un enregistrement live, brut.

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Son 1er album, Places, sorti à l’été 2013.

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Quelques images tirées du compte Instagram de Lou Doillon.

À ma grande surprise, sur Wikipédia, aucun paragraphe sur ton art. Tout le monde qui te suit sur Instagram sait que tu dessines. Depuis quand cela fait-il aussi partie de ta vie et est-ce aussi libérateur pour toi que la musique?

C’est une approche complètement différente. Je n’ai jamais fait d’école d’art. Ce sont les heures que j’ai passées à dessiner qui ont donné ça. J’ai eu une enfance très dorky. J’étais mise à l’écart. Je ne fumais pas de pot, on ne me trouvait pas jolie, je n’entretenais pas un rapport avec la féminité comme les autres filles… Je passais ma vie avec un crayon! La bizarrerie d’avoir été à ce point connue, depuis ma naissance, pour aucune raison autre que j’étais associée à des gens connus (Serge Gainsbourg, Jane Birkin, etc.), amenait des regards violents. Pour la première fois de ma vie, depuis un an et demi, on me parle parce qu’on m’aime bien. Pour la première fois de ma vie, je suis aussi connue pour quelque chose que j’ai fait.

Pendant 30 ans, quand j’entrais dans un resto, j’entendais : « Oh! Elle est moche! Je préfère sa mère, je préfère sa sœur. » Que fais-tu pour te protéger? L’iPod m’a sauvé la vie, et pour ne pas croiser les regards : mon journal. Je passais donc ma vie à dessiner, à faire semblant que le reste du monde n’existait pas. Ça a fait en sorte, d’ailleurs, que je suis capable de m’isoler dans des endroits cinglés. Le dessin, pour moi, c’est ça. La façon de me retrouver, de me calmer. Une forme de mantra. Je ne travaille pas du tout avec mon imagination dans le dessin. Je ne dessine que ce qui est réel – mes bottes, mon fils -, contrairement à la musique, qui est un rapport avec l’inconscient.

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Quelques images tirées du compte Instagram de Lou Doillon.

Same Old Game, par exemple, est une chanson que j’ai écrite quand j’étais super amoureuse, quand je vivais le moment le plus merveilleux du monde. Or, c’est une chanson sur une fille trompée, je ne comprenais pas d’où ça sortait! Moralité : un an plus tard, j’apprends que j’étais trompée. Mon inconscient le savait, donc. J’ai écrit cette chanson pour me sauver la vie sans le savoir. Le dessin et la musique, ce sont les deux choses qui me tiennent en équilibre, mais elles ne viennent pas du même endroit.

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Lou Doillon à l’Olympia de Montréal. Crédit photo : Melissa Maya Falkenberg

Quelques chansons précieuses trouvées sur l’iPod de Lou :

Une chanson que j’ai toujours mise à fond dans le bus, c’est celle de la scène finale du film Bugsy Malone (Alan Parker, 1976), chantée par 30 enfants. You Give A Little Love est notre chanson de bus préférée, son côté fanfare fait du bien à tout le monde!

Tout le dernier album de Patrick Watson. C’est ce que nous avons écouté, mon band et moi, pendant la tournée des festivals, cet été, en regardant les paysages défiler.

Et, hier, en faisant Montréal-Québec, Québec-Montréal, j’ai découvert Lisa LeBlanc. J’adore! Tout! Un côté mec à mort et, en même temps, cette féminité assumée… Être amoureuse, être fragile… J’aime les femmes qui disent ce qu’elles pensent, je les appelle les « p’tites folles », mes sœurs spirituelles! (Rires.)

Voyez aussi :

Vidéo : Melissa Maya rencontre Viviane Audet (Dans le confort de son salon, la comédienne présente les instruments qui construisent son univers musical.)

Ariane Moffatt en kaladéioscope (Les multiples facettes de son métier photographiées.)

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