Art de vivre

Lecture : les Nouvelles de Martha

Chère Martine. Ou chère Nathalie (ou cher Simon). Ils sont plus de 40 000. Toutes les deux semaines, depuis bientôt un an, le facteur leur apporte une lettre qui leur est adressée personnellement. Signée Martha.

Martha, c’est le plus récent personnage créé par Marie Laberge : 62 ans, fleuriste, divorcée, mère de trois enfants. À travers cette héroïne, l’auteure a inventé une nouvelle façon d’écrire. Rien à voir avec un roman qu’on lit d’un trait. Ici, la lectrice doit accepter d’attendre, savourer à petites doses ces lettres intimes, intenses. Un plaisir qui se renouvelle donc. « C’est un rapport différent à la lecture, qui impose un autre rythme, dit Marie Laberge. C’est aussi une idée qui vient du cœur. Pour moi, les bonnes idées viennent du cœur. »

Tout a commencé en janvier dernier. « Ce soir, pour la première fois depuis 42 ans, je suis seule dans mon appartement. » C’était la toute première phrase de la première lettre de Martha. Du moins, celle acheminée aux femmes. Martha leur parlait comme à des intimes. Sans flafla. Elle débarquait dans leur vie, mais en leur donnant l’impression d’avoir toujours été là.

Tous les 15 jours, maintenant, les correspondantes de Martha attendent de ses nouvelles. Tout comme leurs voisins masculins qui, eux, reçoivent une autre version, étant donné qu’elle ne s’exprime pas de la même façon avec eux.

Pour Marie Laberge, qui prend un plaisir fou à se glisser dans la peau de cette femme, c’était une nécessité profonde : « Je me suis vite aperçue que je n’étais pas capable d’écrire la même lettre. » Ça dépasse, et de loin, le simple accord des participes passés. « C’est une question de respiration. C’est infiniment subtil. Ça appartient à la science des hommes et des femmes… »

Pour le reste, le contenu des lettres, les événements comme tels, aucune différence. Tous les abonnés aux Nouvelles de Martha – dont les trois quarts sont des femmes, en vérité – assistent aux mêmes rebondissements dans la vie de leur amie. Qui, sans même le vouloir, sans le chercher vraiment, pleine de désirs enfouis depuis trop longtemps, finit par succomber aux charmes d’un certain Marcel.
En principe, Martha devait abreuver ses lectrices et lecteurs pendant un an. Mais la romancière ne pouvait plus s’arrêter d’écrire. « Son histoire et celles de ses enfants, de Marcel continuaient à vibrer dans ma tête. Et puis, tout ne pouvait pas arriver si vite. Dès la première lettre, on comprend que ce qu’elle traverse la met en péril. Ou elle change ou elle est malheureuse à vie. Ensuite, ça se fait petit à petit. »

Résultat : cette expérience épistolaire inusitée sera prolongée jusqu’en 2011. Marie Laberge a déjà écrit les trois années des Nouvelles de Martha. Même si, pour chaque missive, elle révise tout à la dernière minute en fonction de l’actualité du moment, de l’air du temps.

« C’est une obligation dans la constance, un contrat ; j’ai l’impression d’être toujours à côté du poêle. » Puis, dans un éclat de rire : « Pour une fille qui n’a jamais voulu se marier, c’est pas pire, hein ? »
Elle était loin de se douter, au départ, que son projet prendrait une telle ampleur : gestion des listes d’envoi, impression et pliage des lettres, expédition… Entre 7 et 10 personnes sont sollicitées. Bref, une véritable PME est née avec Martha.

Cette façon de fonctionner a conduit certains libraires à se plaindre d’être mis de côté. « Je comprends que cela les prive d’un revenu, admet l’auteure. Mais si des gens qui, habituellement, ne lisent pas s’attachent à un personnage, à coups de trois ou quatre pages, ça va certainement finir par leur rapporter. Un lecteur en formation, qui découvre le plaisir de lire, ça conduit à l’achat d’un autre livre. »
Pas question, pour l’instant, de faire un livre avec Les nouvelles de Martha. « J’aime l’idée que ces lettres demeurent des pièces de collection, que ce soit rare, que chacun ait sa lettre adressée à son nom. » Et puis, quelle version prendrait-elle si elle transformait cette expérience en livre ? Celle des hommes ou celle des femmes ? « Je ne me vois pas commencer par “Chère lectrice, cher lecteur…” » 
Quant au prochain roman de Marie Laberge, il est déjà écrit. S’il n’en tenait qu’à elle, il paraîtrait au printemps. « Mais il reste bien des corrections à faire… Je trépigne d’impatience, ce qui est bon signe, mais Martha me prend beaucoup de temps ! »

Au fait, Martha a déjà passé le cap de la soixantaine, Marie a tout juste 59 ans. Comment entrevoit-elle cette nouvelle décennie ? « J’ai une excellente santé et une vie comme je ne pouvais pas la rêver… Je ne vais pas me plaindre parce que le temps passe et que vieillir est un des contrats les plus exigeants que la vie nous impose. Je vis chaque jour pleinement pour que le temps passe moins vite ! »

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Bio express

1950
Marie Laberge naît à Québec, le 29 novembre 1950. Elle écrit son premier roman à 11 ans. Quand vient le temps de choisir un domaine d’études, elle tâte d’abord du journalisme, puis s’inscrit au Conservatoire d’art dramatique de Québec, d’où elle ressort diplômée en 1975.
Elle mène bientôt de front des carrières de comédienne et de dramaturge : elle signera une vingtaine de pièces de théâtre, qui, au fil des ans, seront jouées dans le monde entier.

1981
Année mémorable entre toutes. Paraît alors son premier livre, C’était avant la guerre à l’Anse-à-Gilles. « Quand je l’ai tenu dans mes mains, j’ai eu l’impression d’être arrivée quelque part, chez moi. » L’année suivante, la pièce recevra le Prix du Gouverneur général, début d’une série de récompenses littéraires pour l’auteure.

1988
Elle a 38 ans quand elle publie enfin son premier roman, Juillet. Suivront Quelques adieux, Le poids des ombres, Annabelle, La cérémonie des anges… Puis, en rafale, les trois tomes de sa saga de plus de 2 000 pages, Le goût du bonheur, qui séduira plus d’un demi-million de lecteurs et lui vaudra les files les plus longues au Salon du livre de Montréal.

2007
Surprise : Marie Laberge débarque avec un polar, Sans rien ni personne. La même année germe en elle le projet des Nouvelles de Martha, qu’elle testera auprès d’une poignée de correspondants avant de foncer tête baissée.

2010
Marie Laberge fait son entrée dans le Petit Larousse 2010. Pour elle, c’est d’abord et avant tout un « cadeau très privé », adressé à son père, prof de grec et de latin, mort en 1992 : « Le Petit Larousse était SON dictionnaire, et c’est le premier dans lequel j’ai fouillé. Mon père aurait été content, très fier. »

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