Cette semaine, nous amorçons une série de billets de lectrices sur les familles recomposées. La première histoire nous montre à quel point les mentalités ont évolué depuis les années 50.
N’hésitez pas à nous envoyer vos histoires et vos témoignages.
Sophie est née à Saint-Jovite, dans les années 50, d’une mère qui n’avait que 17 ans. À cette époque, les filles-mères laissaient généralement leur enfant en adoption. Contrairement à la coutume, la mère de Sophie a décidé de garder son bébé, mais a dû s’exiler, dans un village plus au sud, pour éviter les commérages.
Sophie n’était pas une enfant comme les autres, tout était caché : la bedaine, durant la grossesse, l’accouchement, dans une petite clinique privée, l’identité de son père. Sans instruction ni ressources, la mère de Sophie, isolée et éloignée de sa famille, devait faire des ménages pour subvenir à ses besoins. Un jeune homme du village voisin l’a tout de même remarquée. Il était célibataire, de bonne famille, un parti rêvé pour la mère de Sophie. Celle-ci a accepté la belle proposition de mariage d’Ernest, sans savoir si c’était l’homme de sa vie.
Ernest est alors devenu le père « adoptif » de Sophie. Il aimait sa mère et ne demandait rien de plus. Mais la petite, qui avait presque trois ans, était déjà en âge de comprendre. Elle savait que cet homme n’était pas son père, mais elle portera son nom. Elle sera dorénavant « la fille de… ».
Puis, d’autres enfants s’ajoutent à la famille, des frères et une sœur issus du mariage de sa mère et d’Ernest. Sophie savait qu’elle n’était pas comme eux. Elle sentait qu’elle faisait partie de cette famille qu’à moitié.
À l’adolescence, grande remise en question : elle prend tout à la légère, ne s’engage à rien, mène la vie dure à sa famille. Un jour, alors qu’elle a 17 ans, l’histoire se répète. Elle tombe enceinte. Sa mère l’encourage à garder l’enfant. Naît alors une belle petite fille, qui sera élevée par cette dernière. Sophie accouche ensuite d’un garçon. Tout est encore une fois caché. On tait le nom des pères, on fait comme si… Pourtant, tout le monde sait que ces deux enfants sont les siens.
Sophie est décédée de cause inconnue, un dimanche après-midi, à l’aube de ses 60 ans. Éternelle incomprise, minée par de nombreuses dépressions et tentatives de suicide, depuis son adolescence, la fille que personne ne comprenait est morte seule. Seule, avec un grand vide, dans tout son être.
Cette histoire est véridique. C’est celle de mon ex-belle-sœur. Ce qui me fait de la peine, c’est que cette histoire, dans les années 2000, n’aurait pas été la même. Aujourd’hui, les mères monoparentales sont « normales », les familles reconstituées, les demi-frères ou demi-sœurs sont des histoires courantes. Sophie n’est tout simplement pas née à la bonne époque.
Une ex-belle-sœur
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