Ma mère a quitté mon père après 31 ans de mariage. Comme elle se confiait à moi depuis des mois, je savais que ça se tramait. C’est ainsi que je suis devenue, moi aussi, une enfant du divorce. À 25 ans.
La nouvelle de la séparation de mes parents m’a d’abord soulagée. Ça faisait quelques années déjà que leur couple battait de l’aile. La simple idée de ne plus me retrouver prise en sandwich me plaisait bien.
Mais cette douce allégresse a laissé place au désarroi le jour où j’ai compris que ma famille ne serait plus jamais la même. Qu’on ne passerait plus de temps ensemble tous les quatre, ma mère, mon père, mon frère et moi. Qu’on ne se verrait plus à la maison familiale. Ni à Noël. Ni jamais.
Au cours des mois qui ont suivi, j’ai eu l’impression de traverser une grosse peine d’amour. Je passais mon temps à pleurer. J’avais juste envie que ma mère me prenne dans ses bras pour me dire : « Papa et maman t’aiment, tout va bien aller. »
Quand j’exprimais ma tristesse à mon entourage, personne n’en saisissait la profondeur. Et tous me jouaient la même cassette. « Tu es assez vieille pour comprendre », me répétait-on. Pourtant, c’était la dernière chose que j’avais envie d’entendre. Je répondais que ma situation n’était pas plus facile que celle d’un enfant de cinq ans.
OK, je n’avais peut-être pas à préparer mon sac tous les vendredis soir pour vivre en garde partagée, mais je venais quand même de perdre ma famille.
Me sentant aussi incomprise qu’une ado en crise, j’ai alors eu l’idée d’écrire cet article. En interviewant des psychologues et d’autres grands enfants du divorce, j’arriverais peut-être à mieux comprendre la situation et, surtout, je me sentirais sûrement moins seule. Ça m’a pris cinq ans avant de trouver la force d’attaquer le sujet de front.
Pire qu’un deuil ?
J’ai vite réalisé que les effets du divorce sur les enfants d’âge adulte étaient très peu documentés. J’ai eu beau fouiller sur le web et arpenter les couloirs des bibliothèques, je n’ai trouvé qu’un seul travail de recherche. Celui du sociologue de la famille de l’Université d’Ottawa Christian Bergeron, qui portait sur l’impact des transitions de vie en fonction de l’âge. Tiens donc.
Selon ses résultats, le divorce des parents est l’événement le plus marquant dans la vie des 20-24 ans. Pire encore que la mort d’un proche. Vraiment ? « C’est qu’ils vivent deux crises en même temps : celle de l’âge adulte et celle de la séparation, explique-t-il. Le divorce les force à s’adapter, à faire des choix personnels et même, parfois, à changer de vie. » Ces jeunes franchissent alors les mêmes étapes que pour un deuil. D’une part, ils doivent enterrer un couple qu’ils croyaient uni à la vie à la mort. D’autre part, ils doivent dire adieu à l’image de la belle famille parfaite qu’ils s’étaient bâtie. Ils ressentent alors tout un cocktail d’émotions. Un mélange de doute, de rage, de solitude et de peur. Mais aussi de honte, parce qu’ils craignent que la réputation de leur famille ne soit ternie. « Par contre, à partir du moment où ils ont des enfants, la souffrance n’est plus la même, dit-il. Ils ont moins de peine. Ils se demandent surtout si leur propre couple va durer… »
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Toujours un peu délicat
Mais pourquoi est-ce un phénomène si peu étudié ? Simplement parce qu’il est très récent, selon Christian Bergeron. « Autrefois, les personnes âgées ne pensaient pas au divorce. Mais, aujourd’hui, les baby-boomers n’hésitent pas à se séparer pour refaire leur vie et être plus heureux », dit-il. Il y a 45 ans, le divorce n’existait pas au Québec. « Ça demeure donc un sujet très tabou », précise-t-il.
Le divorce, un sujet tabou ? J’ai pu le constater en lançant un appel à tous sur Facebook. Je voulais trouver des gens ayant vécu la même situation que moi pour les interviewer. Une dizaine de personnes m’ont répondu. De ce nombre, une seule, Yasmina, a accepté de me parler à visage découvert. Autour d’un café latté, la belle aux cheveux d’ébène m’a raconté son histoire sans aucune retenue. Parce que sa maman est aujourd’hui décédée…
C’est d’ailleurs cette dernière qui lui a annoncé que son père et elle allaient se laisser. Elle a fait d’une pierre deux coups, lui disant, tout sourire, qu’elle avait rencontré un autre homme. « Ma mère nous a lancé la nouvelle comme si on était extérieurs à la situation alors qu’on en faisait partie », se souvient Yasmina, âgée de 25 ans à l’époque. « C’est comme si elle avait oublié qu’on était encore ses enfants. Elle aurait dû attendre un peu pour nous parler de son nouveau conjoint. »
Elle a reçu la nouvelle comme une tonne de briques – frappée d’étranges maux de ventre persistants. Et ce, même si, enfant, elle savait déjà à quel point ses parents formaient un couple dysfonctionnel. « Pourtant, quand c’est arrivé, c’est la dernière chose que je souhaitais », laisse-t-elle tomber.
Yasmina a attendu des années avant de rencontrer le nouveau conjoint de sa mère. Pas question de l’appeler son beau-père. Pour elle, c’était Roger, son chum. « J’étais très dure d’approche », reconnaît-elle.
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Quinze ans plus tard, sereine, elle peut affirmer que la séparation est la meilleure décision que ses parents aient jamais prise. Yasmina se rappelle sa mère, au bras de son beau Roger, plus épanouie que jamais. Même chose pour son père, qui s’est mis à triper sur la cuisine.
Chaque fois que Yasmina ouvrait la bouche, j’avais envie de lui répondre de très égocentriques « moi aussi, moi aussi ! ». Tout me ramenait à ma propre histoire : à quel point j’aurais aimé que ma mère mette des gants blancs pour m’annoncer sa rupture, la difficulté que j’avais eue à accepter son nouveau compagnon… même mon malaise à l’idée d’avouer aux autres que mes parents étaient maintenant divorcés !
Tous les grands enfants du divorce que j’ai rencontrés ont connu des émotions similaires : soulagement, tristesse, deuil, acceptation.
Bien sûr, certaines histoires étaient plus heavy que d’autres.
Mais quelques-unes avaient aussi des fins heureuses, comme celle de Sophie, dont les parents sont aujourd’hui les meilleurs amis du monde. Ces derniers lui ont épargné les détails de leur mésentente maritale. En l’écoutant parler, je me suis dit que c’était peut-être ça, le secret…
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Consulter pour ça ?
Est-il courant que des adultes demandent de l’aide pour traverser le divorce de leurs parents ? À l’Ordre des psychologues du Québec, on n’en avait aucune idée. Et sa représentante était plutôt dépourvue quand je lui ai demandé de me diriger vers un psy. Elle pouvait m’en référer une multitude pour parler de l’impact du divorce chez les enfants. Mais des répercussions sur les adultes, bien moins…
Julie J. Brousseau, directrice et fondatrice du Centre de thérapie pour couples et familles de l’Outaouais, est l’une des rares thérapeutes à avoir abordé le sujet avec ses clients. « Même si, précise-t-elle, ce n’est pas la raison première de la consultation. » Je lui ai demandé si, selon elle, les effets du divorce étaient pires sur une personne de 25 ans que de 5 ans – ce que je croyais ferme. « L’impact n’est pas aussi grand, a-t-elle répondu. La vraie différence, c’est qu’un enfant va vivre la situation de façon égoïste, alors qu’un adulte va davantage penser à l’impact sur les autres. »
Étrangement, au cours des cinq dernières années, j’ai souvent souhaité que mes parents se réconcilient. Le jour de mes noces, entre autres, j’aurais voulu les voir marcher main dans la main. Une tante m’a déjà dit que, peu importe notre âge, on espère toujours que nos parents reviennent ensemble.
Elle n’a pas tout à fait tort, je crois…
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