Psychologie

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Cessons de réprimer nos sautes d’humeur avec des petites pilules. Voilà le message de la psychiatre et psychopharmacologue américaine Julie Holland dans son dernier ouvrage, Assumons nos humeurs!

La Dre Julie Holland | Photo: Jessica Hills

La Dre Julie Holland | Photo: Jessica Hills

Les antidépresseurs figurent parmi les médicaments les plus consommés par les femmes. Pourquoi ? En Amérique du Nord, une femme sur quatre en prend, contre un homme sur sept. Or, 80 % des ordonnances d’antidépresseurs sont rédigées non par des psychiatres, mais par des médecins généralistes. Et, le plus souvent, sans qu’un diagnostic de dépression soit posé !

Au bout d’un certain temps, on ne peut pratiquement plus s’en passer. La dépression peut même devenir résistante au traitement. Des études démontrent que de nombreux patients finissent par éprouver un état dépressif chronique que l’on appelle « dysphorie tardive ». À moins de souffrir d’une grave dépression ou d’être vulnérable aux rechutes, il ne faut pas prendre ces médicaments sur une longue période.

Dans votre livre, on apprend que des médecins prescrivent à des femmes déprimées ou anxieuses des pilules destinées aux schizophrènes. Comment est-ce possible ? Les laboratoires dépen­sent des milliards de dollars pour transformer des sentiments normaux, comme la peur ou la tristesse, en états pathologiques. Aujourd’hui, le médicament le plus vendu en Amérique est Abilify, un neuroleptique conçu à l’origine pour traiter la schizophrénie. Or, à peine 1 % de la population est atteinte de cette maladie ! Prescrire des antipsychotiques à des patients déprimés est insensé : ces médicaments peuvent provoquer le diabète de type 2 et des troubles de la motricité irréversibles.

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Serions-nous plus sensibles que les hommes ? L’émotivité des femmes est normale. Sous l’influence des hormones, notre cerveau s’est développé de manière à avoir de l’intuition et à éprouver de l’empathie pour nos enfants, notre conjoint, notre entourage. Or, les antidépresseurs nous empêchent de ressentir pleinement ces émotions, d’atteindre l’orgasme, de tomber amoureuse, de pleurer…

Alors pourquoi refusons-nous les émotions ressenties ? Dans une lettre ouverte au New York Times, je raconte l’histoire d’une de mes patientes qui m’avait appelée de son bureau, en pleurs. Elle me demandait d’augmenter la dose de ses médicaments parce qu’elle ne voulait pas être vue en train de sangloter au travail. Quand je lui ai demandé la cause de ses larmes, elle m’a répondu que son patron l’avait humiliée devant les autres employés ! Elle n’avait pas besoin d’ingurgiter plus de pilules, mais de faire face à son boss…

D’un autre côté, les émotions des femmes effraient parfois les hommes… Pour certains, cela leur rappelle que, enfants, ils étaient à la merci des humeurs de leur mère. Si une femme pleure ou se met en colère, ils s’empressent de lui dire : « Tu deviens hystérique et on ne peut pas te parler. » Alors, les femmes font beaucoup d’efforts pour se contrôler, afin de maintenir le contact. Et les médecins – souvent des hommes – se hâtent d’étouffer tout débordement émotif en sortant leur carnet d’ordonnances.

Depuis des siècles, on conseille fortement aux hommes de réprimer leur sensibilité. Maintenant, on envoie le même message aux femmes, surtout sur le marché du travail. Et cela est nocif non seulement pour ces dernières, mais pour toute l’humanité : nous avons besoin de plus d’énergie féminine dans le monde pour contrebalancer l’omniprésence des armes, la destruction, l’appât du gain…

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Comment l’anxiété et la tristesse peuvent-elles être utiles, comme vous l’avancez ? On ne doit pas mettre son alarme interne à mute ! Les pilules du bonheur neutralisent nos émotions, ce qui nous incite à pousser nos problèmes sous le tapis. Or, être triste ou anxieuse peut nous mener à réexaminer notre vie et à effectuer les changements qui s’imposent. Nous signaler, par exemple, qu’il est temps de quitter un emploi qui nous ennuie ou un mari qui nous rend malheureuse…

On peut s’aider des antidépresseurs le temps de bénéficier d’une psychothérapie ou d’apporter des changements dans sa vie. Mais une fois qu’on a trouvé des solutions, le sevrage doit commencer, peu à peu, sous la supervision d’un médecin. On ne parle pas ici de ceux qui devront continuer à prendre des psychotropes toute leur vie parce qu’ils souffrent d’un trouble bipolaire ou de dépression récurrente.

Comment se sentir mieux sans médicaments ? On peut fermer son téléphone, aller dehors profiter du soleil, se rapprocher de la nature. Multiplier les contacts visuels avec les autres. Nous sommes des primates sociaux, et les échanges de phéromones, d’odeurs ou de vibrations – ­appelons ça comme on voudra – ne peuvent s’établir par courriels ou textos!

Les femmes sont fatiguées. Vous dites qu’elles ont vraiment besoin de repos. Le sommeil est l’une des activités les plus vitales de l’organisme. Sa qualité influence la longévité, encore plus que le régime alimentaire ou l’exercice. Des nuits trop courtes provoquent une inflammation dans l’organisme, diminuent la résistance au stress et augmentent les risques de cancer et de maladie cardiaque ! Sans compter que dormir peu fait grossir. Je recommande à mes patientes des nuits d’au moins huit heures.

Selon vous, beaucoup de femmes « se droguent à la bouffe » pour échapper à leur vie stressée. Elles font alors de mauvais choix alimentaires. Que devraient-elles manger pour se sentir mieux ? La plupart des maux, même ceux d’ordre mental – y compris la dépression et l’anxiété –, ont des causes inflammatoires. Du moins en partie. Je suggère à mes patientes d’éviter tout ce qui est blanc : farine, sucre, laitages, de même que les aliments transformés, qui entraînent de l’inflammation dans l’organisme. Je les encourage à consommer plus de fruits et de légumes colorés. [NDLR : Une salade chaque jour, écrit-elle dans son livre. « Il est important de consommer des légumes crus. Les gens qui en mangent sept portions par jour risquent moins de tomber malades, ou de mourir du cancer ou d’un infarctus », précise-t-elle.] Un régime riche en végétaux stimule les neurotransmetteurs cérébraux du bien-être.

Vous nous conseillez d’ailleurs de ne pas perdre contact avec notre corps… Chaque fois que l’on se prend pour un pur esprit, on s’expose à des ennuis de santé. Nous devons écouter nos malaises, pas les réprimer. Et consommer des médicaments est loin d’être la solution…

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Assumons nos humeurs !, par la Dre Julie Holland, Éditions Robert Laffont, 411 pages.

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