Psychologie

Avoir des rêves, une question de survie?

Jeunes ou vieux, on a tous des rêves. Certains n’aboutiront jamais, d’autres oui. Des spécialistes expliquent comment se rapprocher de son idéal.

Depuis quelques mois, la psychologue Jocelyne Bisaillon cultive un rêve : celui d’aider les jeunes à réaliser leurs propres rêves. Elle s’intéresse aussi aux membres de la génération X, désormais dans la fleur de l’âge, dont les déconvenues résonnent régulièrement entre les murs blancs de son bureau, à Montréal. Leur difficulté à se tailler une place à la hauteur de leurs désirs la touche tant qu’elle va y consacrer un livre, intitulé provisoirement EXit. Comme dans « Elle est où, la sortie vers mes idéaux ? »

Parfois, ce sont les mauvais coups du sort qui entravent les rêves. Une crise économique, un contexte politique, un accident, une maladie. Des trucs contre lesquels on ne peut pas se battre. « Mais il arrive aussi que le blocage vienne de l’intérieur », observe-t-elle. On s’autocensure, on se résigne, on se rabaisse. On a peur.

Encore les doutes ?

« “Je ne suis pas capable” et “Je n’ai pas assez de talent” sont les phrases que j’ai le plus souvent entendues durant ma carrière d’enseignant à l’université », renchérit le philosophe français Michel Lacroix, auteur de plusieurs ouvrages sur la réalisation de soi, dont Se réaliser – Petite philosophie de l’épanouissement personnel (Éditions Robert Laffont).

Certes, une pincée d’insécurité ne nuit pas à la sauce. « À entretenir une image idyllique de soi, on risque de s’asseoir sur ses lauriers, dit-il. Se poser des questions sur ses compétences pousse à aller de l’avant, histoire de se prouver sa valeur. »

Même que la plupart des grands personnages doutaient énormément d’eux, estime le psychologue montréalais Hubert Van Gijseghem. « On le constate en lisant leurs biographies. L’ambition est -toujours basée davantage sur l’insécurité. Il n’y a rien de pire que ceux qui croient qu’ils l’ont, l’affaire. D’abord, ils sont exécrables. En plus, ils ne s’accomplissent pas ! Être repu supprime le goût de chasser. »

Rêver-survieMais il faut trouver le bon dosage. Car trop de doute démobilise, déprime, paralyse. L’antidote des antidotes contre ces séances d’autoflagellation ? « Les autres », pense Michel Lacroix. En autant qu’ils nous tirent vers le haut. Ça peut être des collègues, des copains, un prof. Un père, une amoureuse, une patronne. « Seul, on patauge. Personne ne se construit par lui-même. Il faut s’entourer de gens stimulants qui nous font confiance. Je crois beaucoup à l’entraînement mutuel des êtres. » (voir plus bas Donnant-donnant)

Et puis, il faut réfléchir à son rêve. Est-ce bien le nôtre, ou celui que nos parents avaient conçu pour nous ? Est-ce qu’on le poursuit parce qu’on veut être aimé, admiré, glorifié ?

« Un rêve, c’est très coûteux, explique Jocelyne Bisaillon. Sur le plan du temps. De l’énergie. Parfois même de l’argent. Pour le réaliser, quelque chose en soi doit se transformer, grandir. Alors, quand l’idéal ne tire pas son origine de l’intimité profonde, qu’il n’est pas porté par un élan naturel, tôt ou tard, les gens perdent le goût de s’y investir. »

Consentir à l’effort

En thérapie, la psychologue demande souvent à ses patients quelle sorte de « p’tits vieux » ils espèrent devenir. La question fait ressurgir les rêves qu’ils avaient fini par enterrer – sans trop s’en rendre compte d’ailleurs, aspirés qu’ils étaient par le vortex des responsabilités quotidiennes.

C’est là que le gros de l’ouvrage commence. D’abord en bannissant les fameux : « Bof, je n’ai pas le temps de me remettre à la mécanique automobile. Et puis, ça me donnerait quoi ? C’est trop tard. » Autant de beaux prétextes pour dissimuler la crainte d’échouer, estime Jocelyne Bisaillon. « Il faut pourtant s’y mettre. Faire de la place dans sa routine pour son idéal. Autrement, quelque chose en soi s’éteindra. »

Elle le sait comme thérapeute, mais aussi à titre personnel. Avant d’entreprendre ses études en psycho, elle occupait un poste de documentaliste à Hydro-Québec. « Je m’ennuyais à mourir la bouche ouverte ! » Elle avait 36 ans, aucune garantie d’emploi une fois diplômée, plus de mari, un enfant à charge. Mais elle a fait le saut. Parce qu’elle avait enfin trouvé à quoi elle allait servir.

La route vers un destin qui colle à ses aspirations peut être longue et sinueuse, prévient-elle. Le truc, c’est de faire régulièrement des petits gestes qui nous en rapprochent. « Mettre 10 $ de côté par semaine, ouvrir un dossier, passer un coup de fil à quelqu’un… Je jure que chaque mètre gravi apporte autant de satisfaction que d’arriver au sommet. »

Peut-être même plus, estime le philosophe Michel Lacroix, pour qui vie accomplie rime avec action. De toute façon, il y aura toujours un décalage entre ce qu’on avait rêvé et la réalité. « Même chez les athlètes de la réalisation de soi, il reste une pat d’inachèvement, de regrets. C’est inévitable. »

Et c’est tant mieux. Car si l’on réalisait ses rêves en entier, il ne resterait qu’à mourir, dit le psychologue Hubert Van Gijseghem. « Les humains sont programmés pour courir après quelque chose. Ce sont le sentiment d’incomplétude et l’impression de manque qui font qu’on veut vivre jusqu’à demain. On espère y trouver ce qu’on n’a pas aujourd’hui. Au fond, ce qui rend heureux, ce n’est pas tant la quantité de rêves qu’on a réalisés que la capacité d’accepter qu’on ne les accomplira pas tous. »

À 70 ans, Jocelyne Bisaillon sait qu’elle n’aura jamais de fermette dans Charlevoix. Qu’elle n’aura pas le temps d’apprendre à travailler le bois. Qu’elle ne visitera pas le Portugal à pied, avec ses jambes qui la trahissent. Pas grave. Elle continue de fantasmer pareil. « Je crois que les rêves servent à faire lever qui l’on est. L’ima-gi-naire, la créativité, tout ce qu’on pourrait devenir. C’est une énergie qui, lorsqu’elle est mise au jour, nourrit tout le reste, au quotidien. En fait, c’est l’espoir. »

Donnant-donnant

La vocation d’une société, c’est de permettre au plus grand nombre de rêver, estime le philosophe Michel Lacroix. Et, réciproquement, plus les gens bénéficient de conditions gagnantes pour aller au bout de leurs idéaux – l’accès à l’école, les programmes de soutien à l’entrepreneuriat, une économie stable, par exemple –, plus la société y gagne.

« Même si, au départ, les gens plongent dans leurs projets pour des raisons personnelles, la collectivité s’en ressent positivement. Il y a plus d’inventions, de culture, de travailleurs compétents », précise-t-il.

Le philosophe pense aussi que c’est en donnant qu’on se réalise au maximum : « On s’enrichit surtout de la responsabilité qu’on accepte d’exercer auprès des autres. » Que ce soit à travers l’engagement associatif, l’accompagnement en soins palliatifs, le mentorat en milieu professionnel… Et au quotidien, auprès des enfants. « Sans céder sur les questions d’autorité, les encouragements bienveillants sont les meilleurs outils qu’on puisse leur fournir pour qu’ils réalisent leurs rêves à leur tour. »

À ce titre, d’ailleurs, « et au risque de choquer ! » Michel Lacroix pense que les parents d’aujourd’hui sont de meilleurs éducateurs que ceux d’autrefois. « Ayant profité de notions de psychologie plus évoluées, ils écoutent mieux leurs enfants, sont plus attentifs à leur personnalité. Ce sont des atouts extraordinaires pour s’épanouir. Au bout du compte, c’est toute la société qui y gagnera.

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