La stupéfiante accélération du rythme de vie qui s’est enclenchée à partir du siècle dernier use un paquet de monde. Au Québec, environ une travailleuse sur trois âgée de 35 à 54 ans estime que ses journées sont « assez ou extrêmement stressantes ». À peu près la même proportion dit ressentir un niveau élevé de détresse psychologique. À cause des exigences familiales qui se heurtent à celles du bureau, de la liste de tâches jamais cochée en entier, de la pression de performance. Du sentiment de passer à côté de la vie, aussi. Désencombrer son quotidien n’est pas simple.
Châtelaine propose ici des conseils éprouvés par des philosophes, des psychologues, des sociologues. Il faudra du temps pour les intégrer. Mais ce sera un temps bien investi.
« Il faut couper des branches pour permettre à d’autres de mieux pousser », illustre le sociologue Jean-François Dortier dans un numéro spécial du magazine Sciences humaines ayant pour thème « Peut-on ralentir le temps ? ». Ainsi, il a fait plus de place aux occupations chères à son cœur en renonçant à certaines activités. Et il a repensé sa façon de travailler. Il bosse moins d’heures, mais elles sont plus productives. Pour ce faire, il a renversé la règle du 20/80, selon laquelle on ne consacre que 20 % de ses efforts à accomplir le boulot essentiel, et 80 % à des broutilles. Les réunions en sont un bon exemple : le message principal est souvent livré en quelques minutes, le reste n’est que parlotte. Afin d’abattre plus de besogne, le sociologue suggère de cibler la période de la journée où la concentration est au zénith, puis de protéger cette plage horaire de toute distraction – courriels, Facebook… Ce qui n’est pas une mince affaire, admet-il, puisque le « premier perturbateur, c’est soi-même » !
Réaliser un projet prend souvent (beaucoup) plus de temps que ce qui avait été anticipé. Parlez-en aux artisans de l’Opéra de Sydney, du tunnel sous la Manche, de l’autoroute 30… Moult études le démontrent : au moment d’évaluer la durée d’une corvée, les gens oublient de prendre en considération les imprévus et les difficultés qui les ont ralentis lors d’expériences similaires. Par excès d’optimisme, peut-être. Étrangement, c’est pire quand il s’agit d’une tâche qu’on a l’habitude de faire ! Établir des délais plus réalistes, en tenant compte des contraintes extérieures et de ses propres limites, enlève une tonne de pression psychologique.
Les femmes effectuent plus de tâches domestiques que les hommes, peu importe leur âge : en moyenne, 3,7 heures par jour pour elles, contre 2,5 heures pour eux. Parfois, hélas, à cause de stéréotypes sexuels. Mais soyons honnêtes : certaines en font plus parce qu’elles préfèrent que ce soit fait à leur façon. « La manie de tout contrôler exige une énergie folle », observe Francine Ferland, ergothérapeute, et auteure de Simplifier sa vie de parent (Éditions du CHU Sainte-Justine). Laisser les autres s’exécuter dans la maison, même si le résultat ne correspond pas à ses normes ISO, c’est avoir davantage de temps libre. Certes. Mais comment motiver les enfants à passer le balai dans l’allégresse ? « Initiez tôt les petits aux travaux ménagers, d’abord en leur présentant la chose comme un jeu. Avec le temps, aider fera partie de leur routine. » Quant au désastre sanitaire dans la chambre de l’ado, Francine Ferland ne propose qu’une solution : le déni. « Fermer la porte en attendant que jeunesse se passe. Mieux vaut choisir ses batailles ! »
Viser l’excellence en tout garantit moins la réussite que l’épuisement, assure Marie-Claude Pélissier, psychologue spécialisée dans le traitement du perfectionnisme. Parce que, oui, ça se traite. En réalisant d’abord ce qu’il en coûte d’être si pointilleux : nuits écourtées, anxiété, insatisfaction perpétuelle, loisirs et vie affective hypothéqués. « Tout ça pour quelques louanges à propos de son travail ou de l’allure de sa maison. C’est cher payé. » Surtout quand on compare le temps alloué au fignolage de détails à celui investi dans les activités qui nous rendent vraiment heureux… Au moment de se fixer des objectifs, Marie-Claude Pélissier suggère d’être curieux de la façon dont on les atteindra, plutôt que de s’enfermer dans des méthodes rigides. « On y mettra peut-être plus de temps, on commettra des erreurs. Mais il suffit de lire les biographies de gens exceptionnels pour comprendre que le chemin vers le succès est rarement une ligne droite ! »
C’est en partie la faute des employeurs si les gens courent après leur queue. Les horaires flexibles et le télétravail, qui font le bonheur des Européens du Nord, gagneraient à être plus répandus au Québec, estime la sociologue du travail Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à la TÉLUQ. « Beaucoup d’employés de la fonction publique pourraient travailler de la maison, par exemple. Mais les cadres ici sont plutôt de type contrôlant, comme dans bien des pays latins. Voir les gens assis à leur bureau leur donne l’impression qu’ils sont très productifs, alors qu’on peut accomplir autant chez soi, sinon plus. » Elle préconise la gestion par objectifs, où le travailleur est libre de son horaire, pour autant que les dates de tombée et les standards de qualité soient respectés. Cette souplesse génère d’ailleurs plus d’engagement et de loyauté vis-à-vis de l’entreprise, et moins d’épuisement professionnel.
Les « moments de résonance » permettent de faire contrepoids à notre mode de vie frénétique, avance le philosophe allemand Hartmut Rosa, auteur de Accélération – Une critique sociale du temps (La Découverte). Il entend par « résonance » ces instants où l’on est remué au fond de l’âme par une musique, une conversation, le spectacle de l’océan. « Dans l’accélération, vous n’avez que des relations froides, utilitaires, ultrarapides avec les choses et les êtres. Se plonger vraiment dans un paysage, entretenir une familiarité sensible avec les objets, échanger des paroles authentiques, ressenties, et non des messages pratiques brefs : voilà autant d’occasions de renouer les contacts que l’accélération tend à sectionner », écrit-il dans l’édition de juin 2011 de Philosophie Magazine.
On a plus de pouvoir sur son horaire qu’on ne le croit. Première étape pour reprendre le contrôle : déterminer les trois choses qui comptent le plus pour soi, en faisant le test de la petite vieille sur sa véranda. À quoi songera-t-on en souriant au crépuscule de sa vie ? Après avoir établi cette triade, on s’y colle. Ce qui implique de dire non. À des activités, des relations, de l’argent, des biens matériels. Avant de se réincarner en gourou de la simplicité, l’Américaine Elaine St. James, auteure de La vie simple, mode d’emploi. Vivre ou courir ? À vous de choisir (Éditions First), menait une carrière aussi prospère qu’éreintante dans l’immobilier. Elle et son mari ont retrouvé chacun 30 heures de « lousse » par semaine en tirant un trait sur ce qui ne servait pas leurs priorités. Ils ont vendu leur maison de campagne parce qu’elle exigeait de l’entretien et se situait loin du bureau. Ils ont aussi fait un tri dans leur vie sociale, pour ne se consacrer qu’à des liens significatifs. « L’homme vraiment libre est celui qui sait refuser une invitation à dîner, sans donner de prétexte », dit-elle, citant un passage du Journal de l’écrivain français Jules Renard, publié en 1925.
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