Chroniques

Familles: quand les mères tiennent le fort

Bien souvent, les mères sont les gardiennes des liens familiaux. Or, on l’oublie, il s’agit là d’un travail.

 

Photo: kaboompics.com

À l’approche du temps des fêtes, il m’apparaît important de souligner le fait que les mères ont de tout temps été principalement celles qui ont cimenté le noyau familial, sorte de pivot servant à maintenir les liens entre leurs enfants, même une fois ceux-ci devenus adultes. Ce sont généralement elles qui les réunissent, les reçoivent autour d’une grande table et les nourrissent pour les grandes et petites occasions. Et, bien souvent, ce sont aussi les femmes qui maintiennent les liens avec la parenté étendue.

Micaela di Leonardo, professeure au département d’anthropologie de l’Université Yale, a beaucoup planché sur ce concept de labeur de «parenté» (et non de parentalité!), soit le travail nécessaire pour maintenir les fréquentations au sein de la famille immédiate et élargie. Outre les coups de téléphone ou l’envoi de cartes de voeux, cette notion inclut également l’organisation de rencontres et le maintien de rituels familiaux.

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Selon la chercheuse, avoir le sens de la famille et entretenir des liens nécessite du temps, de la volonté et des compétences. «Nous considérons le labeur de parenté comme faisant partie des loisirs, mais la création et l’entretien du réseau familial dans nos sociétés industrielles avancées constituent un travail, et il est principalement effectué par les femmes», écrivait déjà la chercheuse… en 1987. Comme quoi les blogueuses qui nous parlent ces jours-ci de la charge émotionnelle n’ont rien inventé…

Dans ses travaux, Micaela di Leonardo rappelle que le «travail de parenté» s’effectue dans un contexte alliant la coopération et la compétition puisqu’il peut aléatoirement générer de la culpabilité ou de la gratification et, bien souvent, les deux à la fois. Selon elle, tout comme le travail domestique et le soin des enfants, ce labeur effectué par les femmes vient avec la même absence de règles et de balises claires quant à sa réalisation.

Les fêtes: source de stress

Les femmes qui vivent de la pression en lien avec leur volonté de garder la parenté unie et d’organiser des réceptions parfaitement réussies sont nombreuses. Elles négocient entre elles l’alternance des rencontres, la préparation des repas et la responsabilité de l’achat des cadeaux. Or le fait d’accepter ou de déléguer des tâches est directement lié, selon l’anthropologue américaine, au fait d’acquérir ou de céder du pouvoir en lien avec le travail de parenté.

Évidemment, l’interprétation de ce «pouvoir» peut varier. Pendant que beaucoup de femmes s’échinent dans la sphère familiale et domestique, «leurs» hommes sont davantage occupés à l’extérieur et s’en lavent parfois les mains. Surtout, comme c’est toujours le cas du travail invisible – largement effectué par les femmes –, ce labeur vient avec une absence flagrante de reconnaissance sociale. Si dans notre société soi-disant égalitaire la parentalité est encore considérée comme une responsabilité principalement féminine, il semble en aller de même du travail de parenté…

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Différence marquée entre les genres

Professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et chercheuse au sein du partenariat de recherche Familles en mouvance et dynamiques intergénérationnelles, Denise Lemieux se passionne pour les questions liées aux rituels familiaux, la mémoire, les histoires de familles et les souvenirs d’enfance.

Elle aussi a observé que le maintien des liens entre les membres d’une parenté et rencontres entre ces derniers découlent principalement d’une volonté féminine. «Ça passe davantage par les femmes. Même si un homme qui se met en couple ne se coupe pas complètement de son passé familial, les femmes vont s’approprier les rites de parenté et, souvent, transmettre la mémoire familiale de l’homme en plus de la leur», m’a-t-elle expliqué.

Les femmes accorderaient ainsi davantage d’importance au fait de conserver un lien entre les enfants adultes d’une même fratrie, tandis que les hommes se fieraient beaucoup sur elles pour organiser les rencontres familiales (et même, bien souvent, pour la planification de la vie sociale en général). Selon Denise Lemieux, l’explication réside dans le fait que les femmes accordent généralement beaucoup d’importance au facteur relationnel. Voilà qui expliquerait peut-être aussi pourquoi les mères se donnent à fond dans la création et le maintien de rituels familiaux. Elles œuvreraient pour préserver l’harmonie dans les relations familiales.

Et d’ailleurs, puisque j’ai beaucoup à dire sur ces fameux rituels familiaux – bien souvent fruits du labeur des mères et dont la simple évocation nous replonge dans la magie de notre enfance – j’en ferai l’objet de mon prochain et dernier billet pré-temps des fêtes. À très bientôt!

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Marilyse Hamelin est journaliste indépendante, chroniqueuse et conférencière. Elle est aussi l’animatrice à la barre du magazine culturel Nous sommes la ville à l’antenne de MAtv. Elleblogueégalement pour la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et est l’auteure de l’essai Maternité, la face cachée du sexisme (Leméac éditeur), dont la version anglaise – MOTHERHOOD, The Mother of All Sexism (Baraka Books) – vient d’être publiée.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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