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Société

Aidantes naturelles: des mères prises en sandwich entre leurs enfants à élever et leurs parents qui vieillissent

Culpabilité. Avec un grand ou un petit c, ce mot fait partie du quotidien des «mères sandwichs». Si certaines s’en veulent de délaisser leurs enfants pour s’occuper de leurs parents malades, d’autres se sentent coupables de ne pas en faire assez pour accompagner ceux qui les ont élevées. Mais toutes expérimentent à divers degrés la lourdeur, la charge émotive, l’impuissance engendrées par le déclin de leurs parents.
Par Julie Lemieux
Aidantes naturelles: des mères prises en sandwich entre leurs enfants à élever et leurs parents qui vieillissent Photo: Getty Images/Jasmin Merdan

Nous ne sommes pas toutes égales devant la souffrance. Nous n’avons pas la même façon de l’aborder ni le même besoin de nous investir dans l’accompagnement d’un proche. Cette évidence m’a frappée pendant la préparation de ce reportage, lors de mes rencontres avec des mères coincées entre leurs enfants et leurs parents malades – toutes se sont oubliées jusqu’à mettre en péril leur propre santé.

Mon vécu est différent du leur, mais en fin de compte, il est aussi semblable.

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Ma mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Le déclin s’opère lentement, mais irrémédiablement. Cette personne si intelligente, forte et fière, cette femme d’affaires chevronnée qui ne craignait rien, cette confidente à la sagesse infinie qui répandait du soleil partout sur son passage disparaît peu à peu sous mes yeux. Sa force s’est transformée en peur et en vulnérabilité, sa douceur, en frustration et en tristesse de perdre le fil, la mémoire, les mots et les souvenirs. Il lui reste encore le rire et le sourire par contre, ce sourire qui fait tant de bien à l’âme, et aussi cette capacité inébranlable de se satisfaire de son sort malgré le mal qui la ronge. Un bel exemple de résilience.

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Je m’étais promis de m’occuper d’elle chaque jour, de l’accompagner dans son déclin, d’être présente comme jamais. Mais j’avoue que la tâche me pèse, que le cœur n’y est pas toujours, que j’appréhende les appels et les visites, car j’ai beaucoup de difficulté à la regarder ainsi dépérir.

Je ne reconnais plus ma mère, je m’ennuie de celle qu’elle a été, je redoute nos discussions décousues et je souffre de la voir souffrir. Je peux gérer des montagnes de responsabilités, mais devant ma mère diminuée, je redeviens une petite fille qui cherche la douceur maternelle. Et je sais que je ne suis pas la seule à vivre ces déchirements. Bien d’autres femmes m’ont confié se sentir impuissantes face à la maladie d’un de leurs parents.

S’épuiser pour aider

Caroline Fournier et Chantal Émond ont elles aussi été en proie à la culpabilité. Ces deux femmes se sont investies au maximum dans leur rôle de proche aidante, parfois jusqu’à l’épuisement.

Caroline a du mal à retenir ses larmes. Cette chef de famille monoparentale de 50 ans a refusé de placer son père dans un CHSLD et a choisi de l’accompagner dans la maladie et la mort. «Je ne pouvais pas me résigner à l’envoyer dans un foyer. Il s’est occupé de nous toute sa vie… C’était à mon tour de lui rendre la pareille», relate-t-elle, les yeux dans l’eau.

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Deux ans après les événements, on sent encore la douleur qui l’habite.

Caroline vivait dans le même immeuble que son père avec son fils Justin, adolescent. Pendant des années, elle a réussi à prendre soin de tout son monde en conservant son emploi dans une entreprise de Montmagny. Mais quand l’état de santé de son père s’est détérioré, elle a dû cesser de travailler pour se consacrer à lui jour et nuit.

Justin a aussi joué le rôle d’aidant naturel, bien malgré lui. «Il a trouvé ça difficile. Quand je sortais pour faire les commissions, je lui disais que son grand-père allait le garder. Mais il me répondait que c’était plutôt lui qui gardait grand-papa! Ça l’a fait vieillir plus vite, je crois.»

Caroline a eu de l’aide du CLSC pour les bains, elle a eu droit à quelques moments de répit, mais sans plus. Elle n’a jamais pensé en réclamer davantage et n’aurait d’ailleurs pas su à quelle porte frapper. «Pour moi, c’était normal d’aider mon père. Je ne me suis jamais perçue comme une proche aidante même si, souvent, je passais des nuits blanches à le surveiller. Mais avec le recul, je constate que j’aurais eu besoin d’aide et, surtout, d’écoute. Je suis sortie épuisée de ces années», concède-t-elle.

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Aidantes naturelles: des mères prises en sandwich entre leurs enfants à élever et leurs parents qui vieillissent Photo: Getty Images/Maskot
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SOS mère en détresse

Pour éviter de sombrer, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, d’abord aux gens qui nous entourent, ensuite aux regroupements de proches aidants. Notre vie ne doit pas s’arrêter, juge la chercheuse Mélanie Gagnon, professeure titulaire en relations industrielles à l’Université du Québec à Rimouski. «Si on n’est plus en mesure de s’occuper de soi-même, on ne sera pas capable de prendre soin de la personne malade», dit-elle.

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La situation des mères sandwichs est préoccupante, selon elle, surtout que la majorité des mesures offertes par les employeurs pour soulager le fardeau des proches aidants contribuent à les appauvrir davantage – il s’agit souvent de congés sans solde. «Pourtant, il y a des choses qui ne coûtent rien, mais qui font toute la différence: être à l’écoute, favoriser le soutien des pairs, précise-t-elle. En France, il est même possible de partager sa banque de congés de maladie avec un collègue qui a besoin de temps pour aider un proche malade.»

Selon Mélanie Perroux, coordonnatrice générale du Regroupement des aidants naturels du Québec (RANQ), on devrait aussi se soucier davantage des jeunes, comme Justin, qui héritent de tâches de soutien à un âge où l’on aspire plutôt à s’éclater avec ses copains. Les répercussions sur leur développement ne sont pas documentées au Québec. «Pourtant, ils ont besoin d’aide, car ils doivent assumer des responsabilités importantes à un moment où ils se construisent une identité», explique-t-elle.

Un dévouement de tous les instants

Tout comme Caroline, Chantal Émond s’est inquiétée pour son garçon Anthony pendant les cinq années où elle s’est occupée de son père malade. Il a dû partager sa mère, déchirée entre le travail, la maison et les soins prodigués à son grand-père. «Mais je pense qu’il a appris de tout ça. Mon fils de 16 ans a une solide tête sur les épaules et est devenu un jeune homme accompli», dit-elle.

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Cette ingénieure à la Ville de Québec s’est engagée corps et âme dans son rôle de proche aidante sans même demander le soutien de son employeur. Pendant des années, elle a visité son père tous les midis, lui parlait en fin de journée, retournait le voir trois soirs par semaine. En 2015, elle a décidé de prendre un congé sans solde pour passer plus de temps avec lui au CHSLD. Chantal est consciente d’avoir aussi sacrifié ses amours. Entre les visites à l’hôpital et les moments consacrés à son fils, il ne restait pas de place pour les rendez-vous galants. «Ça n’attire pas trop les hommes, ce genre de vie-là», confie-t-elle.

Pourquoi en avoir fait autant? Par reconnaissance envers son père, qui lui a beaucoup donné. Elle ajoute en toute franchise qu’elle aura du mal à s’investir ainsi lorsque sa mère aura besoin d’elle. «Je la vois vieillir et je constate que je n’ai pas la même patience qu’avec mon père. C’est étrange, mais je ne trouve plus l’énergie.»

Rien d’étonnant à cela, estime Charles Viau-Quesnel, professeur en psycho-éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il est tout à fait normal que les proches aidants atteignent une limite dans la capacité du don de soi. «C’est comme un épuisement de la compassion. Quand on sait ce qui nous attend, on peut avoir de la difficulté à s’imaginer recommencer», précise-t-il.

Se sentir utile…

Aidantes naturelles: des mères prises en sandwich entre leurs enfants à élever et leurs parents qui vieillissent Photo: Getty Images/Thomas Tolstrup

Mais tout n’est pas noir dans le portrait des mères sandwichs. Il y a aussi de la lumière, de la beauté et de la satisfaction dans le geste quotidien d’être présent pour l’autre. Même si l’expérience a été difficile, Chantal et Caroline affirment n’avoir aucun regret et se disent fières d’avoir réussi à accompagner leur père jusqu’au bout, tout en prenant soin de leur famille. « Ça m’a donné le goût de retourner aux études et de devenir préposée aux bénéficiaires, lance Caroline. Je ne pensais pas que j’étais capable de faire tout cela, mais j’ai réussi!»

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Chantal renchérit. «C’est valorisant et j’y ai trouvé mon bonheur, dit-elle. Mon père est mort sereinement dans mes bras. J’ai donné tout ce que j’ai pu et ça m’a beaucoup fait grandir comme être humain.»

Une amie me disait récemment qu’il y avait sans doute un peu d’égoïsme dans l’altruisme… On donne parce que ça nous fait du bien de faire plaisir, de soulager, de soutenir. On accompagne, car on a besoin de faire la paix avec l’autre, on souhaite le voir heureux avant la fin ou on veut guérir des blessures du passé. Mais qu’importent les raisons, on ne pourra jamais regretter de l’avoir fait.

Quant à moi, je me rends compte que j’ai de la chance d’être bien entourée. Mes deux frères – qui œuvrent dans le domaine de la santé et qui en ont vu d’autres – sont très présents. Je parle à ma mère régulièrement et je lui rends souvent visite.

Mais je m’en veux toujours d’être absorbée par mes autres responsabilités familiales et, surtout, d’être absente dans mes présences. Ma mère m’a appris si jeune à devenir autonome, à faire mon chemin comme je l’entendais, à vivre et à laisser vivre. Aujourd’hui, on dirait que cette indépendance chèrement acquise se retourne contre moi. Encore cette culpabilité...

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