Le titre : Le royaume des femmes : voyage au cœur du matriarcat
L’auteur : Ricardo Coler (56 ans)
L’exergue : « Dans une société matriarcale, ce sont les femmes qui sont aux commandes et marquent de leur sceau les us et coutumes de la communauté. Pendant mon séjour en Chine, au sein de la minorité ethnique des Mosuo, riche d’environ trente-cinq mille âmes, j’ai vu comment l’autorité sans faille des matriarches se traduisait au quotidien, et quelle était son influence sur la répartition des rôles entre les sexes, sur la famille, le travail, l’amour, la sexualité, la politique et la paix sociale. »
L’histoire : En 2006, le médecin, journaliste et photographe argentin Ricardo Coler séjourne plusieurs mois chez les Mosuo, l’une des dernières sociétés matriarcales au monde. Il souhaite ainsi observer cette communauté dans laquelle les femmes ont le pouvoir et où les hommes et les femmes ne vivent jamais en couple. Une société où les enfants ne savent pas ce qu’est un père. Un monde à l’opposé du nôtre, mais où tout semble fonctionner à merveille.
L’univers : À mille lieues de nos vieilles sociétés patriarcales.
La voix : Ce récit de voyage au « je », accompagné de photos légendées, ne raflera peut-être pas de grand prix d’écriture, mais sa traduction limpide sert très bien les propos de ce curieux médecin voyageur.
Les premières phrases : « Au bout de six heures de voyage couronnées par le passage laborieux d’un col de montagne, Dorje arrête la Jeep. Nous nous trouvons à plus de trois mille mètres d’altitude. La route est barrée par des rochers et, sur notre gauche, c’est le précipice. Dorje, un Tibétain rondouillard d’une trentaine d’années à l’épaisse chevelure noire, descend pour voir si nous pouvons contourner l’avalanche de pierres, et par quel moyen. Il fait quelques pas dans un sens, puis dans l’autre, s’accroupit, tâte la boue d’un air critique, baisse la tête et s’immobilise un instant devant l’éboulis… Cet homme n’a vraiment rien d’un moine tibétain, comme je l’avais imaginé avant de faire sa connaissance. Finalement, il revient vers la voiture d’un pas décidé. Et hop! Démarre et appuie sur le champignon. Une roue reste suspendue au-dessus de la chaussée. Je retiens mon souffle et je me colle à mon siège, cramponné à mon sac à dos, en transférant tout mon poids sur l’autre côté. Je ne sais pas comment nous faisons, mais ça marche, et nous franchissons victorieusement l’obstacle. Le village où nous nous rendons s’appelle Luoshui et n’est pas indiqué sur ma carte. Bizarre de se retrouver dans ce véhicule tout-terrain, secoué comme un prunier, en route vers un endroit qui n’a pas l’air d’exister… Alors qu’en réalité, je me souviens très bien de Luoshui, ce petit patelin pittoresque des bords du Lugu, l’un des plus grands lacs de montagne de l’Asie. C’est là que subsiste l’un des derniers matriarcats au monde. Là que vivent les Mosuo. Et chez les Mosuo, on est au royaume des femmes. »
La raison de le lire : Parce qu’il s’agit d’un témoignage étonnant, qui chamboule les idées préconçues. Pour découvrir comment fonctionne une société où les femmes règnent… en maîtres.
En un mot : Féminisant.
Éditeur : Presses de la Cité – 154 pages.
Le titre : Beauté fatale : les nouveaux visages d’une aliénation féminine
L’auteure : Mona Chollet (39 ans)
L’histoire : Dans ce pamphlet contre « la tyrannie de la beauté », l’auteure, journaliste au Monde diplomatique, dénonce « la dictature » de la beauté et démontre les mécanismes de l’aliénation féminine reliés au culte de la beauté et à l’obsession des apparences.
L’univers : Certains regretteront un ton parfois sec ou agressif, tandis que d’autres seront requinqués par cette verve polémique à souhait.
La voix : « Nous vivons une période assez sombre : les crises économiques et écologistes, l’effondrement des espoirs humanistes et politiques, le règne de l’argent, tout cela fait qu’il est très difficile de se projeter dans l’avenir, individuellement et collectivement. La construction de notre image est le dernier idéal à notre portée, sur lequel nous ayons encore prise. La mode et la beauté représentent donc une échappatoire fantasmée », déclarait l’auteure au Nouvel Observateur, lors de la parution de son livre, en mars dernier.
Les premières phrases : « Écrire un livre pour critiquer le désir de beauté? “Il n’y a pas de mal à vouloir être belle!”, m’a-t-on parfois objecté lorsque j’évoquais autour de moi le projet de cet essai. Non, en effet : ce désir, je souhaite même le défendre. Le problème, c’est que dire cela à une femme aujourd’hui revient un peu à dire à un alcoolique au bord du coma éthylique qu’un petit verre de temps en temps n’a jamais fait de mal à personne. Autant l’admettre : dans une société où compte avant tout l’écoulement des produits, où la logique consumériste s’étend à tous les domaines de la vie, où l’évanouissement des idéaux laisse le champ libre à toutes les névroses, où règnent à la fois les fantasmes de toute-puissance et une très vieille haine du corps, surtout lorsqu’il est féminin, nous n’avons quasiment aucune chance de vivre les soins de beauté dans le climat de sérénité idyllique que nous vend l’illusion publicitaire. Pourtant, même si l’on soupire de temps à autre contre des normes tyranniques, la réalité de ce que recouvrent les préoccupations esthétiques chez les femmes fait l’objet d’un déni stupéfiant. L’image de la femme équilibrée, épanouie et à la fois active et séductrice, se démenant pour ne rater aucune des opportunités que lui offre notre monde moderne et égalitaire, constitue une sorte de vérité officielle à laquelle personne ne semble vouloir renoncer. »
La raison de le lire : Parce qu’il ne faut pas sous-estimer les injonctions faites aux femmes dans notre monde de surconsommation. Parce que l’image de la femme parfaite véhiculée dans les médias est un leurre dangereux.
En un mot : Profitable.
Éditeur : Zones – 240 pages.
Le titre : Rien ne s’oppose à la nuit
L’auteure : Delphine de Vigan (46 ans)
L’exergue : « Un jour, je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile, sans formes, sans contrastes, sans transparences. Dans cet extrême j’ai vu en quelque sorte la négation du noir. Les différences de textures réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre émanait une clarté, une lumière picturale, dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre. Mon instrument n’était plus le noir, mais cette lumière secrète venue du noir. » Pierre Soulages
L’histoire : C’est après avoir découvert le corps de Lucille, sa mère, que l’auteure décide d’écrire sur elle pour lui rendre justice et réhabiliter sa mémoire de suicidée. Dans ce roman de nature autobiographique, Delphine de Vigan nous raconte, avec grande pudeur, l’histoire de sa famille et nous amène, par effet miroir, à faire une plongée dans nos propres histoires familiales.
L’univers : Il y a beaucoup de joie et de tristesse dans cet hommage à cette mère bipolaire, qui alterne délires, hôpitaux psychiatriques, médicaments et alcool.
La voix : Doux et violent à la fois, ce livre vous remue jusqu’à sa dernière page. Un récit sensible et fascinant, qui fait écho aux blessures de chacun…
Les premières phrases : « Ma mère était bleue, d’un bleu pâle mêlé de cendres, les mains étrangement plus foncées que le visage, lorsque je l’ai trouvée chez elle, ce matin de janvier. Les mains comme tachées d’encre, au pli des phalanges. Ma mère était morte depuis plusieurs jours. J’ignore combien de secondes, voire minutes, il me fallut pour le comprendre, malgré l’évidence de la situation (ma mère était allongée sur son lit et ne répondait à aucune sollicitation), un temps très long, maladroit et fébrile, jusqu’au cri qui est sorti de mes poumons, comme après plusieurs minutes d’apnée. Encore aujourd’hui, plus de deux ans après, cela reste pour moi un mystère, par quel mécanisme mon cerveau a-t-il pu tenir si loin de lui la perception du corps de ma mère, et surtout de son odeur, comment a-t-il pu mettre tant de temps à accepter l’information qui gisait devant lui? Ce n’est pas la seule interrogation que sa mort m’a laissée. Quatre ou cinq semaines plus tard, dans un état d’hébétude d’une rare opacité, je recevais le prix Libraires pour un roman dont l’un des personnages était une mère murée et retirée de tout qui, après des années de silence, retrouvait l’usage des mots. À la mienne j’avais donné le livre avant sa parution, fière sans doute d’être venue à bout d’un nouveau roman, consciente, cependant, même à travers la fiction, d’agiter le couteau dans la plaie. Je n’ai aucun souvenir du lieu où se passait la remise de prix ni de la cérémonie elle-même. La terreur, je crois, ne m’avait pas quittée; je souriais pourtant. Quelques années plus tôt, au père de mes enfants qui me reprochait d’être dans la fuite en avant (il évoquait cette capacité exaspérante à faire bonne figure en toute circonstance), j’avais répondu pompeusement que j’étais dans la vie. »
La raison de le lire : Parce que c’est un roman extraordinaire. Parce qu’il évoque avec tendresse ce lien si particulier qui nous unit à notre mère. Et cela, même lorsqu’elle n’est pas à la hauteur.
En un mot : Touchant.
Éditeur : JC Lattès – 438 pages.
Le titre : Sophie Dean fait ses valises
L’auteure : Alexandra Whitaker (52 ans)
L’histoire : Sophie est la femme qu’Adam rêvait d’avoir : elle cuisine à merveille, est attentive au moindre désir de son époux, élève leurs deux enfants, tout cela avec le sourire. Pourtant, lorsque sa maîtresse lui pose un ultimatum, Adam se laisse convaincre et quitte son foyer douillet. Quand elle l’apprend, Sophie, qui a tout sacrifié pour son mariage, a une révélation : c’est elle qui doit partir.
L’univers : On est en pleine chick lit ou « littérature de poulettes » (comme disent les Français). C’est-à-dire un roman écrit par une femme, pour les femmes, et avec une héroïne féminine. Mais ce qui détonne le plus dans Sophie Dean fait ses valises, c’est la manière dont l’auteure transpose la dynamique habituelle du couple qui se sépare. Parce que c’est la femme, ici, qui prend ses cliques et ses claques et abandonne ses responsabilités parentales. Pas l’homme.
La voix : Désinvolte, un brin désabusée, bourrée d’humour noir.
Les premières phrases : « Agatha Weatherby rêvait d’avoir un rôle important dans le théâtre de la vie, à tout le moins jouer le principal dans la sienne, ce qui n’avait rien d’une aspiration excessive. Or, à trente-cinq ans, elle continuait à se sentir reléguée à celui de copine dévouée, de confidente avisée et de catalyseur dans l’existence d’êtres plus fascinants et plus charismatiques qu’elle, notamment son amie, Valerie Hugues. Si Agatha avait échoué jusqu’à présent dans sa quête de notoriété, ce n’était pas faute d’avoir essayé. Ce but s’était gravé en elle dès l’enfance, époque où elle avait commencé à se raconter des épisodes de sa vie quotidienne et à se mettre en scène comme si elle était filmée par une caméra cachée, s’imaginant en permanence sous les traits de l’héroïne pleine de charme et d’esprit de cette sorte de documentaire. La jeune femme se livrait à cet exercice mental lorsque, un jour de septembre, elle arriva au Back Bay Café, où elle devait déjeuner avec Valerie. Elle était en avance. C’était délibéré; elle tenait à planter le décor. Agatha choisit une table devant la baie vitrée et disposa sa chaise de façon que les passants de Newbury Street et les clients du bistrot la voient. Elle n’avait qu’à pivoter un tout petit peu pour distinguer son reflet de trois quarts dans la vitre. Du coin de l’œil, elle examina son beau nez romain et secoua imperceptiblement la tête pour admirer le mouvement de ses cheveux noirs, coupés au carré. Puis, elle émit un soupir, leva les yeux au ciel, consulta sa montre, pianota sur la table du bout des doigts, mimant l’impatience au profit d’éventuels spectateurs, un homme séduisant, par exemple, qui aurait conclu, après l’avoir repérée, qu’elle déjeunait seule. Qu’on puisse ne serait-ce que le supposer lui aurait été insupportable. »
La raison de le lire : Pour passer un bon moment. Parce que les personnages (même secondaires) sont très bien construits. Parce que leur égoïsme mesquin, qui ne tient aucunement compte des enfants, est tordant.
En un mot : Distrayant.
Éditeur : Presses de la Cité – 390 pages.