L'édito

Égalité des sexes : pas avant 286 ans !

Nous attendons trop sagement qu’on appose une étoile dans notre cahier de « bonne élève ». Mais l’égalité entre les sexes, ce n’est pas une question de récompenses. Il s’agit d’une lutte de tous les instants pour obtenir ce qui nous revient.

Pas question de quémander un cadeau. Passons plutôt à Go et prenons notre dû, comme au Monopoly.

« Il faudra encore des siècles pour parvenir à l’égalité des sexes. » Le communiqué de presse de l’Organisation des Nations Unies (ONU) est tombé comme une tonne de briques dans ma boîte de courriels. Avec un titre pareil, il m’a arraché un grand soupir d’exaspération.

Comme nous sommes patientes, nous, les femmes ! Au rythme où les choses évoluent, soit à la cadence d’un escargot sur le Valium, il faudra attendre 286 ans pour parvenir à l’égalité des sexes. Les enfants de nos arrière-petits-enfants n’en bénéficieront même pas.

Des reculs sont bel et bien perceptibles, selon ce rapport d’ONU Femmes et du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies dévoilé en septembre dernier. La pandémie de COVID-19, les changements climatiques, les conflits armés (en Ukraine et ailleurs) affectent davantage les femmes que les hommes. Et que dire des droits reproductifs et sexuels de celles-ci ? Ils sont bafoués en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient. Aux États-Unis, aussi. Après la décision historique de la Cour suprême américaine, 21 millions de femmes peuvent maintenant se voir interdire ou restreindre l’accès à l’avortement dans au moins 13 États, révélait récemment le Washington Post.

Ces régressions nous épargnent-elles ? Bien sûr que non. Les violences envers les femmes s’accroissent ou, au mieux, perdurent – malgré les dénonciations sur les réseaux sociaux.

La précarité nous touche aussi davantage. Les Canadiennes ont un revenu plus faible que celui des hommes et cette tendance n’est pas près de changer. En 2019, le revenu moyen des femmes s’élevait à 43 010 $ contre 60 680 $ pour les hommes, selon Statistique Canada.

Dès notre entrée sur le marché du travail, nous partons perdantes. Parce que cette disparité s’installe avec le premier emploi, démontre une étude de l’Institut du Québec et du laboratoire de recherche Future Skills de l’Université de Toronto, publiée il y a peu. L’écart de revenu est en moyenne de 9 % un an après l’obtention du diplôme collégial ou universitaire. Il bondit à 16 % cinq ans après.

On a longtemps parlé du plafond de verre qu’il fallait fracasser. Alors qu’en réalité, dès le départ, c’est la porte d’entrée que les travailleuses devraient mettre en pièces. Serions-nous enfermées dans un solarium sans le savoir ?

Jeune journaliste, j’ai appris par hasard que deux collègues masculins nouvellement embauchés gagnaient plus que moi, alors que je bossais pour ce média depuis plus d’un an ! Je voulais qu’on me rembourse le manque à gagner, mais le chef du syndicat m’a plutôt encouragée à enterrer ça pour ne pas nuire à mes chances de décrocher un poste permanent. Poste que je n’ai pas obtenu, évidemment. Bien d’autres anecdotes du genre ont émaillé mon parcours professionnel.

Une colère sourde m’envahit. Les avancées me semblent si dérisoires. Et la patience me fait défaut.

Mais voilà qu’une entrevue avec Janette Bertrand dans Le Devoir me calme un peu. L’autrice et l’animatrice de 97 ans, qui a ouvert la voie aux Québécoises, a le recul qui me manque. Elle milite encore aujourd’hui avec un optimisme à tout crin : « On est peut-être trop ambitieuses à vouloir changer les mentalités en 100 ans, alors que le patriarcat existe depuis 8 000 ans. Ça va prendre plus de temps, mais on réussira un jour à atteindre cette égalité. »

Alors soyons patientes, comme toujours… mais réclamons tout de même notre dû.

Johanne Lauzon, rédactrice en chef

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