Couple et sexualité

L’amour a besoin de patience

Dans nos horaires surchargés, nos émotions sont noyées. Or, pour s’épanouir, amour et plaisir ont besoin de prendre leur temps.


 

La vitesse tue l’amour
« Je n’ai jamais vu une société aussi obsédée par le couple et par l’amour ! Partout où notre regard se pose, on parle de couple, de sexe, de gestion de la vie affective, s’exclame Diane Pacom, professeure au Département de sociologie de l’Université d’Ottawa. On n’a plus le temps d’investir dans sa vie amoureuse et affective, alors on fait de la compensation, et même de la surcompensation. » Comment ? En accordant aux relations amoureuses, au couple, un intérêt qui n’a pas son pareil dans toute l’histoire de l’humanité. On le scrute, le dissèque, en cherchant des formules, des solutions. On le gère comme un portefeuille de placements. Et à force d’en entendre parler, on s’imagine que ça nous la prend absolument, cette vie à deux ! Tout de suite ! Comme le dernier ordinateur ou le nouveau lecteur DVD. Trop vite ?

En Occident, le couple traverse une zone de turbulences. Il change, se cherche, se perd. « On vit mal en ce moment, dit Diane Pacom, tout simplement parce qu’on est suspendu entre deux modèles de société : celui de la période des années 1950-1960 et la réalité de ce début de troisième millénaire. » Des images de stabilité et de normes opposées à une réalité mouvementée qui bouscule les anciennes conventions.

Dans ce monde qui nous déboussole, nous pensons que vivre en couple nous permettra de trouver le nord, que « l’autre » va nous stabiliser. « Le célibat ? qui, en passant, n’est pas synonyme de manque d’amour ? est encore mal vu, soutient Diane Pacom, bien que, dans les faits, de plus en plus de gens vivent seuls. »

Bref, cette phase de transition nous laisse sans repères, sans exemples à suivre, avec l’obligation de tout réinventer, couple et amour compris. Un peu affolant. Surtout dans une société obsédée par la performance et la peur de rater le bateau, qui demande de foncer et de réussir à tout coup, tant sur le plan personnel que professionnel.

Dans ce contexte, le temps, ou plutôt le manque de temps, ne nous aide pas. Le stress causé par le manque de temps atteint son pic chez plus du tiers des femmes de 35 à 44 ans qui travaillent à temps plein et ont de jeunes enfants à la maison, révèle un rapport de Statistique Canada publié en 2000.

Vivons-nous trop vite ? Cette pression de la vitesse en tout et à tout prix nous empêche-t-elle de profiter de l’amour et du plaisir ? Aurions-nous intérêt à ralentir ? Peut-être. En tout cas, nous aurions avantage à y réfléchir.

La vive cadence de nos existences nous force à vivre dans notre tête au détriment de notre cœur. Le docteur Stephan Rechtschaffen, médecin et auteur de Timeshifting : Creating More Time To Enjoy Your Life (chez Doubleday, uniquement en anglais) explique que notre rythme de vie effréné crée un fossé entre ce que nous pensons et ce que nous ressentons, entre les pensées et les émotions. Dans notre culture, la gestion efficace du temps est devenu un art, une obligation. Par conséquent, nous devons constamment penser ? à ce qu’il faut faire, à ce que nous faisons, à ce que nous ferons. Les pensées empruntent les circuits électriques de notre système nerveux, très rapides, tandis que nos émotions sont véhiculées par le réseau hormonal et chimique, nettement plus lent. Ces dernières restent donc en plan, loin derrière toutes les préoccupations qui nous accaparent. Le fait de remplir notre agenda à ras bord nous pousse à l’action et ne nous laisse plus le loisir de ressentir nos émotions. Or, l’amour et la sexualité comportent une part importante d’émotions. Pour les savourer, il faudrait, oui, ralentir.

L’amour haute vitesse

En quelques années, les rencontres sur Internet sont devenues une industrie de 313 millions de dollars. Au Québec, plus du tiers des femmes ont déjà flirté dans Internet et près des deux tiers d’entre elles ont fini par avoir une relation sexuelle avec leur correspondant. Mais l’engouement semble se refroidir. En effet, bien qu’on prévoie que ce marché atteindra 642 millions de dollars en 2008, on perçoit déjà des signes de ralentissement, indique la firme Research and Markets dans son rapport Dating and Personals : Looking for Love, and New Growth.

On peut courir après une promotion, mais pas après l’amour. Cupidon est l’être le plus indépendant du monde et de l’histoire ! On ne le fait pas apparaître d’un claquement de doigts ni à coups de speed dating. « Un constat s’impose : pendant que nos moyens de communication ? d’Internet au cellulaire ? se développent, les couples n’ont jamais eu autant de problèmes de communication », affirme Yvon Dallaire, psychologue, sexologue et auteur, qui scrute la vie de couple depuis un quart de siècle.

Aux États-Unis, la nouvelle mode, c’est la forme silencieuse du speed dating : au lieu de débiter son petit laïus de présentation, on se tait et on se regarde dans les yeux dans l’attente de l’étincelle. Du coup de foudre.

Le coup de foudre n’est toutefois pas de l’amour. Il peut se révéler, parfois, le point de départ d’une belle relation, mais en attendant, il n’est qu’une réaction biologique. Joann Ellison Rodgers, du Johns Hopkins Medical Institutions et auteure de Sex ? A Natural History (uniquement en anglais, chez Times Books), explique ce qui se passe pendant cette phase si exaltante de l’attirance et du flirt. En gros, nous perdons la tête ! Notre corps, notre esprit, nos sens sont pris en otages par le cerveau limbique, la partie de notre cerveau qui génère les émotions. Pendant ce temps, le néocortex, le centre de la raison, est réduit au silence. Pour un temps. Assez longtemps pour que, malheureusement, certains confondent l’attirance, le plaisir charnel et la passion avec l’amour. Puis, au fur et à mesure que la passion perd son sel, que la relation se développe, notre intellect (ou devrait-on dire notre intelligence ?) ose montrer l’oreille, commence à peser et à jauger les choses. Il vaut donc mieux attendre que le limbique se calme un peu avant de s’investir totalement. Prendre son temps.

Malheureusement, de nos jours, on associe beaucoup l’amour à la passion. Il faut vivre vite et intensément. Les débuts d’une relation sont riches en sensations fortes dont on espère qu’elles vont durer toute la vie. Illusion. La passion ne peut se prolonger indéfiniment. Les difficultés, la routine et l’évolution normale de la relation vont la refroidir. Si la passion n’évolue pas vers l’amour, le couple se séparera et les partenaires iront répéter leur échec avec quelqu’un d’autre. En phase passionnelle, on n’est pas amoureuse de la personne mais bien d’un fantasme, d’un être idéalisé, celui de nos rêves.

« L’amour, c’est l’objectif du couple. Ce n’est pas ce qui existe au début, explique Yvon Dallaire. Les couples qui durent sont ceux qui réussissent à transformer leur amour-passion en amour-amitié. » Pour aimer, il faut non seulement se désirer mais aussi se connaître, et ça, ça prend le temps que ça prend. On ne peut pas accélérer les choses. Aller plus vite que le violon risque de fausser la donne et de déboucher sur une déception. « Tiens, je ne savais pas qu’il était comme ça… » Si on est engagé, ça peut faire mal.

Qu’est-ce que le speed dating ?

Le speed dating, issu de la culture américaine à la fin des années 1990, peut prendre plusieurs formes, mais le principe de base est immuable : se fier à la première impression. Des promoteurs réunissent une brochette de célibataires, gars et filles. Chaque gars défile à tour de rôle devant chaque fille (ou vice versa) et le duo dispose d’environ cinq minutes pour faire connaissance. Puis, on passe au suivant ou à la suivante. Les entrevues terminées, on peut aller retrouver ceux ou celles qui ont retenu notre attention pour « approfondir » le contact.

De nos jours, les couples cohabitent tôt (mariage ou union de fait), en moyenne moins d’un an après la première rencontre. Et divorcent plus rapidement qu’avant. Il n’y a pas si longtemps, la septième année d’union était considérée comme la plus « fragile », la plus propice aux ruptures. Selon les données de 2003 de Statistique Canada, c’est désormais la quatrième. De plus, 15,7 % des femmes et 16,2 % des hommes qui ont déjà divorcé divorceront une seconde fois, soit trois fois plus qu’il y a 30 ans.

Impatience, intolérance, stress ? Difficile à dire. Une chose est certaine, notre société exige tellement en matière de vie de couple — il faut être des amoureux romantiques, des amants passionnés, des partenaires, des amis, parfois même des thérapeutes — que la déception est inévitable.

Avant de nous engager, il est bon de vérifier si nous sommes compatibles. « Soixante-dix pour cent des problèmes de couple sont insolubles », précise Yvon Dallaire. Aller trop vite, c’est courir le risque de s’embarquer dans une galère. Pourtant, selon Diane Pacom, notre époque se prête mieux que celle de nos parents à la découverte de l’autre. « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les hommes et les femmes d’aujourd’hui ont beaucoup plus qu’avant la chance de se connaître. Ils peuvent se rencontrer sur une base assez égalitaire. Par exemple, on ne s’épouse pas sans savoir si on fait bien l’amour ensemble — une chose impensable avant ! Le problème résulte peut-être du fait que, pour la première fois de l’histoire, on peut faire des choix. »

Ainsi, à la première crise, c’est-à-dire la première fois que le prince charmant tombe en bas du piédestal, on est portée à choisir de tout jeter par-dessus bord. Pourtant, l’amour a besoin de patience. Hélas, notre culture ne pratique guère cette vertu ! Notre société de consommation encourage le « prêt-à-jeter ».

Selon un sondage de Léger Marketing mené en 2005 auprès des Québécoises, 30 % se déclarent très satisfaites de leur vie sexuelle. Seulement 18 % des 35-44 ans et 13 % des 45-54 ans disent que le sexe représente un aspect important de leur vie. Ce n’est pas énorme. On comprend mieux ces chiffres quand on sait que la fatigue et le manque de temps arrivent en tête de liste des grands ennemis de la libido.

Que peut-on ajouter ? Qu’il faudrait, pour mieux goûter aux plaisirs sexuels, prendre le temps de se reposer et se donner le temps de faire l’amour ? C’est l’évidence même. Et il faudrait aussi prendre le temps de se retrouver. « Si on n’a pas de “vision” pour son couple, s’il ne constitue pas une priorité, on se laisse emporter par un tourbillon d’activités », dit le docteur Michel Robillard, omnipraticien et fondateur du mouvement Chasteté-Québec, qui prône l’abstinence sexuelle hors mariage. « Je pense que bien des couples se détruisent parce que le travail et tous les à-côtés deviennent une échappatoire, une fuite de l’intimité. »

Or, l’intimité est l’une des composantes essentielles de la sexualité. Dans le sondage, 48 % des répondantes avaient soif de tendresse, et 63 % désiraient plus d’attention et de caresses. Si, au début de la relation, on mise tout sur la séduction et le désir, avec le temps, ça s’effiloche drôlement ! « Donner du temps au désir, cela fait partie du plaisir », dit Yvon Dallaire.

Bien sûr, on peut faire l’amour à la sauvette, se payer « une p’tite vite » et en retirer beaucoup de satisfaction. On ne peut toutefois pas se nourrir exclusivement de fast-food. Faire l’amour, « la gastronomie érotique qui commence avant le souper et finit après le déjeuner », comme dit Yvon Dallaire, mérite bien qu’on lui accorde autant de temps qu’une sortie au resto, une séance au cinéma ou une soirée devant la télé.

Alors, devrions-nous ralentir pour retrouver le plaisir et l’amour ? Si ralentir devient une énième obligation s’ajoutant aux nombreuses autres qui nous stressent, alors non, on laisse tomber. Mais si ralentir signifie réfléchir et reprendre la maîtrise de sa vie, refuser de se laisser imposer un rythme qui n’est pas le sien et refuser des devoirs factices, alors, oui, ralentissons. Mais ça, c’est presque une révolution.

Le sexe basse vitesse

Le tantrisme des Tibétains (aussi appelé yoga de l’amour) et la sexualité taoïste des Chinois enseignent une façon lente, très lente, de faire l’amour. Une approche qui fait fi de la performance et où l’atteinte de l’orgasme n’est pas le but ultime. Elle valorise le partage de la jouissance, la communion, la détente. Faire l’amour tient plus de la danse sensuelle que de la frénésie sexuelle. Le petit livre La Sexualité taoïste de Bing Xiang et Marie-Josée Tardif (éd. Un monde différent), accompagné d’un CD, permet de découvrir cette technique et ses rituels.

Gilles Pronovost, directeur du Conseil de développement de la recherche sur la famille du Québec, a effectué maints travaux sur le manque de temps. Sa conclusion : 50 % de la population québécoise dit manquer de temps. Mais ce n’est qu’une impression, affirme le chercheur. « En réalité, grâce à des méthodes de mesure objectives, on a pu constater que les gens surévaluent systématiquement le temps consacré au travail et sous-évaluent leur temps libre. » Paradoxalement, ceux qui disent manquer de temps sont ceux qui sortent le plus, vont souvent au cinéma, au restaurant, au théâtre et font régulièrement du sport. « Cela fait partie de notre conception de la vie au XXI e siècle, soutient Gilles Pronovost. Nous ne nous sentons pas “normaux” si nous ne faisons pas tout ça. » Mais pendant qu’on accomplit toute cette liste de choses tellement essentielles, ne néglige-t-on pas des réalités plus profondes, comme l’amour ?

À lire :

• Jean-Louis Servan-Schreiber, Le nouvel art du temps, Albin Michel.

• Yvon Dallaire, Qui sont ces couples heureux ?, éditions Option Santé.

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