Couple et sexualité

Le couple est un sport d’équipe

C’est quoi, un couple ? Une équipe qui apprend à jouer sur le même terrain. Le danger : se marcher sur les pieds. Faut-il revoir les règles du jeu ?


 

Dans son cabinet de Québec, Yvon Dallaire a placé un échiquier. D’un côté, il a aligné la tour, le cavalier, le fou et, de l’autre, les pièces du jeu de dames. « Ça, c’est la réalité du couple. S’ils veulent être heureux ensemble, les hommes et les femmes doivent apprendre à maîtriser le jeu du partenaire. »

Des couples, le thérapeute conjugal Yvon Dallaire en a vu des milliers depuis 30 ans, et des deux côtés de l’Atlantique. Malheureux, pour la plupart – ce sont eux qui consultent ! (En fait, seulement 15 % à 20 % des unions seraient véritablement heureuses à long terme, selon plusieurs études.) À force de les observer, et en se basant sur les recherches scientifiques, il a fini par comprendre pourquoi le bonheur leur échappait. « La conception traditionnelle du mariage selon laquelle on met tout en commun et on se met d’accord sur tout est une illusion », dit-il.

À l’époque de mes grands-parents, c’était pourtant LA façon de faire : grand-maman se faisait appeler Madame Charles-Édouard Tremblay et régnait sans partage sur sa marmaille, sa cuisine et sa lingerie. Grand-papa, directeur des achats d’une entreprise de bois de construction, était toujours parti aux quatre vents, tenait les cordons de la bourse et les destinées de la famille. Deux vies tricotées serré… mais parallèles. L’homme portait la culotte.

L’arrivée des femmes sur le marché du travail et la naissance du mouvement féministe sont venues brouiller les cartes. Nos mères ont enfilé elles aussi la culotte. « Les femmes ont révolutionné la vie à deux, résume Yvon Dallaire, qui a signé une dizaine de livres traitant de ce sujet. Aujourd’hui, un couple se compose de deux personnes responsables de leur propre vie comme individus, partenaires, parents et professionnels. » Il s’agit d’une équipe dont les membres doivent apprendre à partager le pouvoir, le ménage, l’éducation des enfants… et où tout doit être égal ou presque.

Ce souci d’égalité est tellement présent chez les jeunes couples que Marie-Ève Surprenant, 31 ans, y a consacré son mémoire de maîtrise, paru sous le titre Jeunes couples en quête d’égalité (Les éditions Sisyphe). Elle a interviewé huit femmes et autant d’hommes de 20 à 30 ans, vivant en couple ou ayant déjà cohabité. Tous des diplômés universitaires. « C’était la première fois qu’ils prenaient le temps de réfléchir à la notion d’égalité dans leur foyer », raconte cette chercheuse dont l’union dure depuis 13 ans, mère d’un petit garçon et enceinte d’un deuxième enfant.

En théorie, note-t-elle, tous sont en faveur de l’égalité : les filles veulent être autonomes, les gars ne veulent pas paraître machos. Elles n’aspirent plus à devenir des superwomen pour concilier carrière et responsabilités domestiques ; ils ont envie de s’investir dans leur famille et d’exercer à fond leur rôle de père. Mais de là à dire qu’ils forment tous une équipe égalitaire, il y a un sacré pas ! « L’arrivée d’un bébé marque un tournant important, indique Marie-Ève Surprenant. Même chez ceux qui se croient égaux, c’est souvent la femme qui va mettre un frein à sa carrière afin de s’occuper de l’enfant et d’organiser le quotidien. » Et les hommes ? « Ils sont prêts à faire leur bout de chemin, mais se considèrent la plupart du temps comme des aidants : ils font l’épicerie, une liste à la main, et demandent ce qu’on va manger pour souper ! »

N’empêche, c’est la première génération qui récolte les fruits du féminisme. « On ne pouvait quand même pas s’attendre à ce que tout se règle en 30 ans… » reconnaît la chercheuse. Déjà, ces adultes peuvent se réjouir d’avoir fait éclater l’ancien modèle, celui de leurs grands-parents. Il ne leur reste qu’à en inventer un nouveau !

Première piste : égal ne veut pas dire pareil. Bien sûr, les rôles sont devenus interchangeables – aujourd’hui, un homme sait changer une couche et une femme, conduire un camion. Mais chaque sexe conserve sa propre façon de faire, d’agir, de penser, de rêver, de communiquer, d’entrevoir la vie. « On doit se permettre d’être différent. C’est bon pour le couple et les enfants », dit Rose-Marie Charest, spécialiste des relations amoureuses depuis 30 ans et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. Partager les tâches en fonction des intérêts et du savoir-faire ? Pourquoi pas ! À l’un les devoirs, la cuisine, les rénos, à l’autre les cours de natation, la lessive, l’histoire avant le dodo. Et si ça veut dire que, par souci d’affinité et d’efficacité, Madame s’occupe du ménage et Monsieur du garage, libre à eux.

Deuxième piste : l’égalité n’implique pas qu’on paie tout moitié-moitié. Quand on emménage, on met beaucoup de choses en commun – maison, meubles, casseroles, compte bancaire –, mais on ne gagne pas souvent le même salaire. Le mode 50-50 risque d’entraîner des injustices : l’un s’enrichit pendant que l’autre s’appauvrit. Solution possible : établir un budget familial. On évalue les dépenses annuelles (hypo­thèque, épicerie, droits de scolarité des enfants, voyage) et on les règle au prorata des revenus de chacun.

Bref, on n’a pas fini de peaufiner le modèle. La preuve ? Le taux de divorce, qui, au Québec, franchit la barre des 50 %, porte Yvon Dallaire à penser que le couple en est à sa phase d’adolescence, celle du « non » : chacun veut imposer sa façon de voir à son partenaire. Bonjour la compétition ! Cette joute ne produit que des perdants.

Il faut dire qu’on demande beaucoup au conjoint : il est censé être le meilleur ami, le frère, l’amant, le bon père… Le risque d’éprouver une déception est élevé !

Si on exige tant du couple, c’est parce que la société le valorise, plus encore que la famille. Il est devenu un mode de vie : on est ensemble pour son bien-être personnel et non pas dans le but de « servir la famille » comme autrefois, rappelle Rose-Marie Charest. Vivre à deux, c’est vouloir s’investir.

Cet engagement passe par l’amour, bien sûr, la complicité, le plaisir d’être ensemble. On se quitte quand on n’est plus heureux, mais plus pour un oui ou un non. Du moins, c’est la tendance chez la nouvelle génération. Les jeunes adultes ont vu trop de mariages se briser autour d’eux. Ceux qui ont des enfants tentent l’impossible pour sauver leur union. « Et ceux qui ont été témoins d’une “guerre froide” entre leurs propres parents veulent à tout prix éviter ça », dit François St-Père, qui voit défiler des centaines de gens chaque année à sa clinique de psychologie de Saint-Lambert, en banlieue de Montréal.

D’ailleurs, on consulte de plus en plus à ce sujet, seul ou en duo. Même qu’une industrie de la thérapie conjugale est en train de se créer, avec différentes spécialisations – séparation, médiation, discipline des enfants, infertilité, violence conjugale…« Nous avons acquis de la maturité, soutient Rose-Marie Charest. Quand ça ne va pas, nous nous disons que c’est peut-être aussi notre faute. Nous osons nous remettre en question dans le but de ne pas répéter les mêmes erreurs. »

Alors, un modèle idéal existe-t-il ? Si oui, quelles règles doit-il appliquer ? Puisqu’ils se partagent le même échiquier (ou damier) – marché du travail, revenus, enfants –, les parte­naires n’ont pas le choix, estime Yvon Dallaire : ils doivent composer avec les règles de l’autre. Quitte à mêler les pièces et à inventer leur propre jeu. Là, il n’y aura que des gagnants.

Quel genre de couple formez-vous ?

Complémentaire

La répartition des tâches se fait naturellement, selon vos goûts et vos talents. Mais vous êtes portée à en faire plus que votre conjoint. Le désir d’égalité tient ici davantage au bon vouloir de Monsieur qu’à un réel partage. Vous vous chargez de planifier et de gérer, tandis qu’il agit comme un « aidant ». Vous manifestez parfois votre ras-le-bol et piquez une crise, mais vous ne remettez rien en question.

Ambivalent
Vous êtes plus instruite et gagnez davantage d’argent que votre conjoint. Afin de ménager les susceptibilités de votre homme et de le valoriser, vous maintenez les rôles traditionnels. Même si vous avez tout ce qu’il faut pour être autonome et indépendante, vous êtes prête à faire d’importantes concessions, y compris limiter vos ambitions professionnelles.

Associatif
Votre conjoint et vous êtes plus instruits que la moyenne et vous ne vous enfermez pas dans les rôles traditionnels puisque, à vos yeux, ils sont interchangeables. Le partage des tâches a fait l’objet de nombreuses discussions et l’égalité est au cœur de votre relation. Toutes les décisions se prennent à deux. Votre union vous permet de développer votre plein potentiel… mais à chacun son identité, ses projets, ses besoins. C’est le couple qui parvient le mieux à l’équilibre !

Tiré de l’analyse de Marie-Ève Surprenant,
Jeunes couples en quête d’égalité (2009)

L’amour, C’est de l’ouvrage !
Des petites choses à savoir pour vivre en couple… en toute sérénité.

Vous êtes responsable de votre propre bonheur. On le trouve seul et on le partage à deux.
Il y a vous.
Il faut vivre sa vie ! Une vie riche nourrit le couple de façon durable.
Il y a le couple.
Faites des projets ensemble (famille, maison, travail, sport, bénévolat). Ainsi, vous ne deviendrez pas étrangers l’un à l’autre.
Accordez-vous mutuellement de la liberté.
Mais discutez-en d’abord et mettez-vous d’accord.
Recherchez le même degré de proximité.
Certaines sont des « femmes de marin », d’autres préfèrent que leur conjoint rentre tous les soirs à heure fixe. On choisit une personne, mais aussi un mode de relation.
Respectez-vous l’un l’autre malgré les différences.
N’essayez pas de vous changer. Aidez-vous plutôt à rester vous-mêmes, quitte à faire des compromis.
Parlez-vous !
Osez exprimer vos besoins, au lieu d’espérer en silence que l’autre les devine. Ça lui évitera bien des re­proches.
Se chicaner, c’est normal.
La vie à deux génère des crises qui permettent de grandir. Apprenez à vous accommoder de vos désaccords.
Sachez faire des deuils.
Dans une relation à long terme, il arrive que l’intensité sexuelle et amoureuse ne prenne plus toute la place. On doit accepter de diminuer ses attentes.
Reconnaissez les bons coups de l’autre
. Les ménages heureux s’adressent de 5 à 10 fois plus de compliments que de reproches.  


Merci aux psychologues Rose-Marie Charest, Yvon Dallaire
et François St-Père.

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