Santé

Mammographie : toute la vérité

Chaque année, des milliers de femmes se rongent les sangs après avoir passé cet examen. Stress inutile ou geste nécessaire ?

C’est mon médecin de famille qui m’a annoncé la nouvelle par téléphone : « Votre mammographie n’est pas claire, il faudrait en refaire une nouvelle.
– Comment ça, pas claire ?
– Le radiologiste a noté une densité asymétrique dans un de vos seins. »

Sur le coup, je n’ai pas réagi, puis, lentement, le sens de ces mots a cheminé dans les profondeurs de mon cerveau. « Densité », comme dans « masse », et « asymétrique », comme dans « vous avez une bosse dans un sein et pas dans l’autre ».

Insouciante la minute d’avant, j’étais maintenant en sursis. Je n’aurais jamais dû passer cette fichue mammographie…

Mon histoire est loin d’être unique. Chaque année, nous sommes des milliers de femmes à nous ronger les sangs après avoir passé cet examen. Sur dix femmes qui subissent une mammographie, une aura un résultat anormal.

 

Un examen inutile ?
Et je n’étais pas au bout de mes peines. Lorsque j’ai communiqué avec la clinique afin de prendre un rendez-vous pour les clichés complémentaires, on m’a répondu qu’il n’y avait pas de place avant deux mois. Voyons, ça n’a pas de sens ! La secrétaire restait inflexible. Non, ça ne pouvait pas aller plus vite. Non, il n’était pas possible de parler à la radiologiste. On me rappellerait…

C’est Véronique Robert, ma collègue à Châtelaine, qui m’a conseillé d’appeler au Centre du sein Ville-Marie, où j’ai obtenu un rendez-vous sept jours plus tard. « Ce sont des kystes, madame », me dira le médecin après avoir effectué un nouveau cliché et une échographie de la zone suspecte, en moins de deux heures. Je suis sauvée !

Mais le docteur John Keyserlingk, le chirurgien oncologue qui a fondé le Centre pour réduire les délais entre la première mammographie et le diagnostic final, me rappelle à l’ordre. « Une mammographie, c’est comme un cliché du ciel, dit-il. En ce moment, aucune tempête ne pointe à l’horizon. Ça ne signifie pas qu’il n’y en aura pas l’année prochaine. » Selon le médecin, de petites tumeurs apparaissent tous les jours dans l’organisme, mais sont détruites aussitôt par le système immunitaire. Par contre et on ignore pourquoi, des cellules malignes réussissent parfois à déjouer la vigilance du corps.

 

Et si c’était ma vie ?
Une fois remise de mes émotions, je me demande si j’aurais le courage de revivre une expérience aussi angoissante. Des médecins ont déjà déclaré que la mammographie provoque beaucoup de stress sans être vraiment utile. D’après une étude publiée en 2001 dans le journal médical britannique The Lancet, rien ne prouve que cet examen sauve des vies. « Il faut que 1 000 femmes subissent une mammographie annuelle pendant 10 ans pour sauver la vie d’une seule d’entre elles », affirme le médecin britannique Michael Baum, un détracteur acharné de la mammographie. Mais si cette vie-là, c’était la mienne ?

« On ne peut obtenir de statistiques spectaculaires en matière de survie tout simplement parce que le cancer du sein tue moins qu’auparavant, réplique la docteure Diane Provencher, chef du service de gynéco-oncologie du CHUM. Aujourd’hui, seulement de 3 % à 5 % des femmes atteintes vont en mourir. »

Surprenant ? En fait, nous avons tort de croire qu’une tumeur équivaut à une sentence de mort. « Notre salle d’attente est remplie de femmes qui ont déjà eu un cancer et qui se portent à merveille », dit la radiologiste Lucie Lalonde de la Clinique Léger et associés.

Les résultats d’une étude publiée en octobre dernier dans le New England Journal of Medicine vont probablement mettre fin au débat : entre 1990 et 2000, malgré une augmentation de 30 % du nombre de nouveaux cas, le taux de mortalité lié au cancer du sein a diminué de 24 %. Cette baisse serait attribuable au dépistage, dans une proportion de 46 %, et à l’efficacité des nouveaux traitements, dans une proportion de 54 %. En fait, plus un cancer est détecté tôt, plus il est facile à traiter et meilleurs sont les résultats.

« Lorsque la mammographie n’était pas utilisée à grande échelle, bien des femmes développaient des bosses de six ou sept centimètres, raconte le docteur Pierre Audet-Lapointe, médecin-conseil du Programme québécois de dépistage du cancer du sein, à Montréal. Or, pour des tumeurs de cette taille, les traitements sont beaucoup plus éprouvants : fortes doses de chimiothérapie, ablation partielle ou complète du sein et des ganglions ainsi que, dans certains cas, des muscles de la cage thoracique. »

« Plus un cancer grossit, plus il risque de se répandre, explique le docteur Keyserlingk. Quand la tumeur fait plus d’un centimètre et demi de diamètre, on doit prescrire de la chimiothérapie. Mais, avec la mammographie, la plupart sont découvertes quand elles mesurent moins d’un centimètre, et même à quatre ou cinq millimètres. On les retire et on prescrit parfois de la radiothérapie ou des bloqueurs d’œstrogènes. » Le taux de survie atteint 98 %.

« Des femmes qui reçoivent un diagnostic de cancer vont nous dire : “Ce n’est pas possible ! Je mange bio, je ne bois pas d’alcool et je fais du jogging !”, me raconte Isabelle Trop, de la Clinique de radiologie Léger et associés. Mais on ne connaît pas les causes du cancer du sein. Le dépistage reste la seule façon de se protéger. »

 

Des seins scrutés à la loupe…
Dans une des salles de la clinique, des photos de seins sont accrochées sur des écrans lumineux. À l’aide d’une énorme loupe, les radiologistes Isabelle Trop, Lucie Lalonde et Julie David scrutent chaque cliché. C’est un vrai travail de moine : une bonne partie de la journée des trois femmes se déroule dans le noir, le nez collé sur des négatifs. « Regardez, me disent-elles. Ici, le sein est trop dense pour qu’on puisse voir quoi que ce soit. Là, nous apercevons une masse suspecte. Ici, le cancer s’est répandu… »

Qu’est-ce qu’une mammographie anormale ? Pour quelle raison un radiologiste demande-t-il des examens complémentaires ? « Parfois, on aperçoit une distorsion dans l’image, explique Isabelle Trop. Une mauvaise photo peut être en cause, mais il peut aussi s’agir d’une tumeur qui adhère aux tissus avoisinants et les déforme. »

Sur un cliché, la radiologiste montre du doigt de petits points blancs de la grosseur d’un grain de sel : des calcifications. Ce sont des cellules qui se sont développées de façon anormale et se sont ensuite calcifiées. Tantôt, elles sont bénignes, tantôt il s’agit d’un cancer in situ : les cellules cancéreuses se sont multipliées dans un des canaux du sein, sans se propager à l’extérieur. Les détracteurs de la mammographie se demandent si ces minuscules lésions se seraient répandues et si on a raison de les enlever. « On ignore lesquelles vont se multiplier et lesquelles demeureront stables, réplique le docteur Pierre Audet-Lapointe. Allons-nous dire aux femmes d’attendre pour voir si le cancer va se propager ? »

Finalement, la mammographie peut détecter une masse. Ce peut être un kyste, une tumeur bénigne ou un cancer. Pour en avoir le cœur net, le radiologiste prendra une mammographie ciblée de la zone suspecte. Si un doute persiste, on fera ensuite une échographie, pour visualiser sa forme et son contenu : les contours d’un kyste sont réguliers et il contient du liquide, ce qui n’est pas le cas d’un cancer.

Si le diagnostic reste incertain, le radiologiste effectuera une ponction à l’aiguille pour prélever du liquide ou procédera à une biopsie : une partie de la tumeur sera retirée pour que soit analysé son contenu. Si des cellules cancéreuses sont finalement découvertes, le médecin choisira un traitement adapté à la grosseur de la lésion et à son stade de développement.

Bref, l’annonce d’un résultat anormal ne signifie pas qu’on a un cancer. « Sur 100 femmes dont la mammographie est anormale, seulement 5 auront une tumeur maligne », dit la radiologiste Isabelle Trop.

Si j’avais su cela avant, je me serais sûrement moins énervée…

 

L’ère du numérique
La mammographie n’en demeure pas moins un examen imparfait. D’abord, parce que plus le sein est dense — moins il contient de gras, ce qu’on observe surtout chez les jeunes — , moins la radiographie est claire. C’est d’ailleurs pourquoi, au Québec, on a choisi de réserver le programme de dépistage systématique du cancer du sein aux femmes de plus de 50 ans. Pour passer une mammographie, les femmes plus jeunes doivent obtenir une ordonnance de leur médecin. Les avis diffèrent sur cette question. La preuve, c’est qu’en Colombie-Britannique, de même qu’aux États-Unis, l’accès aux programmes de dépistage débute à 40 ans.

Ensuite, et il faut le dire aussi, la mammographie rate encore 20 % des tumeurs. « Voilà pourquoi, au moindre doute, nous procédons à des examens plus poussés, explique Lucie Lalonde. Nous ne voulons pas inquiéter inutilement les femmes, mais nous ne voulons pas non plus laisser échapper des cancers. »

Au fil des ans, la technologie a énormément évolué. « Lorsque j’examine les clichés que nous prenions en 1990, je me demande comment nous arrivions à y discerner quelque chose ! » s’exclame Lucie Lalonde. Et au cours des prochaines années, elle évoluera encore. La mammographie est entrée dans l’ère du numérique, qui donnera des clichés encore plus précis, qui seront traités par ordinateur pour permettre de détecter des lésions qui échappent à l’œil humain.

Et les radiations ? On a longtemps craint qu’elles ne soient cancérigènes. Mais un rapport publié en 2004 par les académies des sciences et de médecine, en France, conclut que sous les 10 millisieverts — la dose de radiations utilisée pour une mammographie — , les cellules saines éliminent celles qui auraient pu muter à cause des rayons X. À faible dose, il n’y aurait donc pas d’accumulation dans le corps.

 

Quelqu’un à qui parler
Revenons au stress causé par la mammographie. En 2004, le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes a publié une enquête menée auprès de 950 femmes ayant obtenu un résultat anormal de leur mammographie de dépistage. Les résultats indiquent clairement que cet examen est une source d’anxiété parfois intense, mais que le manque d’information et les délais empirent les choses.

« Des dépliants existent, mais ce que les femmes veulent, c’est un soutien personnalisé », dit Lise Goulet, du Réseau, qui a travaillé à une recherche sur le sujet. Elle se rappelle avoir elle-même reçu un résultat anormal à l’âge de 32 ans. « Comme ma mère était décédée de cette maladie, j’étais certaine d’y passer moi aussi. C’est une infirmière qui a réussi à me calmer en m’expliquant que le cancer ne se transmet pas automatiquement d’une génération à l’autre. »

Quant aux brochures, encore faut-il qu’elles soient disponibles. À la clinique où j’ai passé ma première mammographie, les dépliants n’étaient pas sur le comptoir mais plutôt derrière, hors de portée des patientes !

Les délais représentent une autre partie du problème ; ils varient d’une clinique à l’autre. D’après l’étude menée par le Réseau, certaines pourraient mettre jusqu’à trois mois avant de fixer un rendez-vous pour des examens complémentaires. Ce qui laisse amplement aux patientes le temps de mariner dans leur anxiété… « On manque de radiologistes au Québec, particulièrement de radiologistes qui s’intéressent au sein », explique Lucie Lalonde.

Selon Patricia Pineault, qui a réalisé l’étude, des améliorations s’en viennent. « Le ministre Philippe Couillard a été sensible aux conclusions de notre rapport », dit-elle. Toutefois, ces changements ne concernent que le programme de dépistage, qui s’adresse aux femmes de 50 à 69 ans. Pour les plus jeunes, c’est au médecin de fournir le soutien adéquat en cas de résultat anormal. Et, comme on le sait, les médecins n’ont pas beaucoup de temps pour répondre aux questions. Il faut donc insister pour obtenir des réponses…

Pour ma part, j’ai rendez-vous dans un an au Centre du sein Ville-Marie. Même si je suis terrorisée, j’irai. « Bien des cancers sont découverts lorsqu’ils sont relativement avancés, me disait le docteur Audet-Lapointe. Mais les cancers du sein et du col de l’utérus figurent parmi ceux qu’on peut détecter à un stade précoce. Alors, pourquoi ne pas en profiter ? »

 

Et l’autoexamen des seins ?
Pendant des années, l’autoexamen des seins a occupé une place importante dans le dépistage du cancer du sein. Pourtant, en 2002, les résultats d’une vaste étude publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne ont démontré que les bienfaits de cette méthode étaient plutôt modestes. « Cet examen n’est pas totalement inutile car il permet aux femmes de mieux connaître leurs seins, ce qui peut les aider à détecter des changements entre deux visites chez le gynécologue, dit le docteur Michel Fortier, de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Toutefois, l’examen clinique fait par le médecin et la mammographie sont nettement plus efficaces. »

La Société canadienne du cancer partage entièrement ce point de vue. Mais pour celles qui désirent toujours pratiquer l’autoexamen des seins, la Société offre dans son site un document sur la façon de procéder.

 

Conseils et ressources

  • Vous avez 50 ans ou plus ? Participez au Programme québécois de dépistage du cancer du sein. Vous bénéficierez d’un encadrement médical, du dépistage aux traitements, le cas échéant, partout au Québec.
  • Si vous avez entre 40 et 50 ans et une histoire familiale de cancer du sein ou des seins kystiques, votre médecin va probablement vous prescrire des mammographies à intervalles réguliers. Si ce n’est pas le cas, discutez-en tout de même avec lui. Même si les données concernant la survie ne sont pas probantes avant l’âge de 50 ans, certains gynécologues sont en faveur de la mammographie entre 40 et 50 ans.
  • Rendez-vous dans une clinique accréditée par l’Association canadienne des radiologistes. Cela garantit que l’équipement utilisé est de qualité et que les radiologistes sont compétents.
  • « Les meilleures cliniques sont celles où on lit beaucoup de mammographies, dit Patricia Pineault du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes. Les radiologistes y développent une expertise de pointe. »
  • Si la clinique où vous obtenez un résultat anormal vous fait trop attendre, demandez vos films et changez de clinique. Dans le cadre du programme de dépistage, on recommande que le début des examens complémentaires ait lieu 12 jours après le premier résultat anormal. Bien sûr, chaque nouvel examen peut entraîner un autre délai. « Si on ne peut vous fixer un rendez-vous dans des délais raisonnables, on devrait vous orienter vers d’autres cliniques », ajoute Patricia Pineault.
  • Si vous avez un résultat de mammographie ou une échographie anormale, vous pouvez obtenir du soutien et de l’information aux endroits suivants :
    • Info-Santé. Des infirmières sont formées pour répondre aux questions concernant le cancer du sein.
    • Le Réseau québécois pour la santé du sein : à Montréal, au (514) 844-9777, ou ailleurs au Québec, au 1 877 844-9777, ou encore : www.rqss.qc.ca.
  • Si jamais vous obtenez un diagnostic de cancer, vous pouvez communiquer avec Cancer J’écoute, au 1-888-939-3333, de la Société canadienne du cancer. On va répondre à toutes vos questions et vous jumeler avec une femme qui est déjà passée par là.

 

 

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