À 52 ans, Nathalie Ducharme fait partie des milliers de femmes de 50 à 69 ans invitées à passer une mammographie tous les deux ans dans le cadre du Programme québécois de dépistage du cancer du sein (PQDCS).
Mais la résidante de Lanaudière, mère de cinq filles, s’y refuse. «Je ne veux pas subir cet examen douloureux, stressant, que l’on doit souvent refaire à cause de doutes non fondés concernant de potentielles masses cancéreuses», explique-t-elle. Elle pratique plutôt l’auto-examen des seins et fait part de ses observations à son médecin.
Sa décision a été influencée par un reportage affirmant que la mammographie révèle souvent des tumeurs bénignes qui, par précaution, sont tout de même traitées. Nathalie ne veut pas se soumettre à des «traitements inutiles».
Depuis son implantation dans les années 1950, la mammographie, une radiographie des seins visant à détecter la présence de cancer, soulève bien des questions. Partout dans le monde, médecins et chercheurs ont tenté de prouver son efficacité à réduire le nombre de décès liés au cancer du sein.
Résultat : après de nombreuses études, aux méthodologies variées et aux conclusions disparates, les spécialistes ne s’entendent toujours pas. Certains prétendent que la mammographie sauve des vies, surtout dans le cas de cancers détectés à un stade précoce. D’autres soutiennent que la baisse du nombre de décès serait plutôt attribuable à l’amélioration des traitements au fil des ans.
Une étude qui fait jaser
Le Dr Anthony B. Miller, épidémiologiste et professeur émérite de l’Université de Toronto, est l’un des détracteurs de cet examen. En février 2014, le British Medical Journal a publié les résultats d’une étude qu’il a menée auprès de quelque 90 000 Canadiennes sur 25 ans. Il a comparé l’efficacité de la mammographie avec celle de l’examen clinique des seins pour réduire la mortalité due au cancer du sein.
Lui et son équipe sont arrivés à une conclusion étonnante : il y a eu autant de décès par cancer chez les femmes qui avaient subi régulièrement une mammographie (une par année pendant cinq ans) que chez celles qui avaient fait examiner leurs seins par un professionnel de la santé. Autrement dit : la mammographie est inutile. «Les résultats ont consterné le milieu médical, surtout les tenants de la mammographie», admet le Dr Miller, dans un courriel.
Consternés? «Nous sommes désespérés!» lâche la Dre Dominique Synnott, chirurgienne oncologue et responsable de la Clinique du sein de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. « Les conclusions de cette étude sont monstrueuses, et les spécialistes en cancer du sein tentent depuis de réparer les dégâts auprès des femmes qui se posent des questions.»
La Dre Synnott et de nombreux confrères critiquent la façon dont on a mené cette étude qui remonte aux années 1980, alors que les mammographies étaient moins performantes qu’aujourd’hui. De plus, il serait faux de dire que les femmes ont été suivies pendant 25 ans, souligne l’oncologue. «C’est plutôt de quatre à six ans.»
Selon elle, la méthodologie est «odieuse». «Par exemple, les femmes de moins de 50 ans et celles de plus de 50 ans ont été mises dans le même panier. Or, aucune autre étude ne les mélange parce que, entre autres, les femmes en préménopause et les femmes ménopausées ne développent pas les mêmes sortes de cancers!»
Ces critiques n’émeuvent pas le Dr Miller, qui a défendu son étude sur plusieurs tribunes, notamment aux États-Unis, où d’éminents spécialistes l’ont qualifiée de «choquante», voire de «malhonnête». En mars 2014, lors d’un congrès sur le cancer du sein tenu en Floride, on a décidé d’inclure l’étude à l’ordre du jour dans le but de rectifier les faits sur l’utilité de la mammographie. Car, selon nombre d’experts, elle sauve des vies.
Dépistage précoce, vies sauvées ?
Plus un cancer du sein est repéré petit, plus il est guérissable et plus les chances d’y survivre augmentent, s’entendent pour dire une majorité de spécialistes du monde entier. C’est pourquoi plusieurs pays et gouvernements ont mis en place des programmes de dépistage systématique du cancer du sein basés sur des mammographies régulières. (La Suisse, elle, déconseille ce type de programme parce qu’elle juge que les inconvénients surpasseraient les avantages.) Au Québec, le PQDCS vise à réduire d’au moins 25 % la mortalité chez les femmes de 50 à 69 ans.
Pour la Dre Synnott, aussi coauteure du livre Le cancer du sein – Tout et même plus… (Éditions La Semaine), la pertinence de la mammographie ne peut être remise en question. «En 2014, je ne veux pas découvrir un cancer, mais un précancer, afin qu’il ne devienne jamais un cancer, dit-elle. Seule la mammographie peut détecter les cancers précoces de stade 1 ou 2, dont les lésions ne mesurent que de 5 à 7 mm et sont perdues dans le tissu mammaire, autant dire une aiguille dans une botte de foin!»
Les femmes de 50 ans et plus devraient donc passer leurs mammographies, dit-elle. Les plus jeunes devraient aussi être attentives à leurs seins (auto-examen et examen clinique), car «on découvre des cancers de plus en plus agressifs chez des femmes de plus en plus jeunes. Mais elles survivent aussi de plus en plus», poursuit-elle.
Des pour et des contre
Lucie Linteau, 60 ans, de Québec, a vu deux proches se faire dépister un cancer du sein. «Heureusement, ils ont été attrapés à temps», dit-elle. C’est pourquoi elle suit les recommandations du Programme de dépistage et passe sa mammographie tous les deux ans, un examen dont elle juge le désagrément «tolérable». Une fois, cependant, sa clinique lui a demandé de revenir pour des radiographies supplémentaires. On avait
un doute. «Pendant 10 jours, je me suis attendue au pire… Mais finalement, tout était correct.» Ouf! L’anxiété est d’ailleurs un argument des adversaires de la mammo. «C’est normal d’être nerveuse en attendant des résultats médicaux », dit la Dre Synnott, qui affirme en «avoir soupé» d’entendre (surtout des hommes) parler du stress causé par l’examen. «Mais les femmes sont capables de l’assumer!» s’insurge-t-elle.
La spécialiste reconnaît toutefois que l’inquiétude va de pair avec les nombreux cas de surdiagnostic, c’est-à-dire le fait de découvrir et de traiter des cancers qui ne se seraient jamais manifestés en l’absence de dépistage. Ces cancers, sans conséquences sur la vie de la personne, sont tout de même traités parce que, dans l’état actuel des connaissances médicales, on est incapable de distinguer les cancers inoffensifs de ceux qui sont mortels.
Dans 85 % des cas opérés, il s’agit de cellules précancéreuses qui ne deviendront jamais un cancer. Et dans les 15 % qui restent, on trouve un cancer. «Quand on sait qu’on utilise la chimiothérapie pour obtenir 3 % de chances de survie supplémentaires, un taux de 15 %, c’est énorme!» s’exclame la Dre Synnott.
L’exposition aux radiations, qui, à forte dose, peuvent causer des cancers, est un autre inconvénient de la mammographie. Mais, pour les tests de dépistage, on n’utilise que le minimum nécessaire pour obtenir une belle image, assure la Dre Synnott. De plus, les mammographies numériques réduisent désormais d’au moins 20 % les doses de radiations émises, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).
Stress, surdiagnostic, radiations… Malgré les voix qui s’élèvent, le MSSS considère que la mammographie constitue toujours le seul examen de dépistage reconnu qui peut réduire la mortalité par cancer du sein. L’Organisation mondiale de la santé aussi.