Des cadres supérieurs et des dirigeants d’une trentaine de pays font maintenant appel à un nouvel outil pour améliorer le fonctionnement de leur entreprise : les blocs Lego. Dans des séminaires, on distribue aux participants des sachets de Lego avec lesquels ils doivent d’abord construire des choses simples : la plus haute tour possible, par exemple. Puis ils sont peu à peu amenés à assembler les blocs de façon à représenter leur entreprise et ses rouages.
Le pari du concept Serious Play de Lego est le suivant : une fois que les mains jouent, l’esprit est libéré et de nombreuses vérités fusent. On se parle, on diagnostique les soucis, les verrous sautent et on finit par créer une vision idyllique de l’entreprise, version Lego. Cette nouvelle maquette devient alors le symbole des changements à entreprendre, des buts à atteindre après le séminaire.
Josée Blondin-Joly, psychologue du travail à Montréal, a choisi elle aussi d’utiliser le jeu pour insuffler une nouvelle énergie aux séminaires d’entreprise qu’elle organise. « L’être humain a le goût de s’amuser. Quoi de mieux pour amener un apprentissage ? Mais je préfère toujours utiliser le mot expérimentation plutôt que jeu, car les séminaires s’adressent à des dirigeants et il n’est pas question de leur faire peur. »
Pour qu’un jeu soit réussi et utile, dit-elle, trois paramètres se révèlent essentiels : « Il doit avoir du punch, avoir un lien direct avec le sujet et être applicable dans la vraie vie. »
Ainsi, pour faire comprendre à une équipe la nécessité d’être plus créative, on commence par rapporter des études édifiantes. « Un enfant de 5 ans a un taux de créativité de 75 % ; à 7 ans, ce taux tombe à 25 % ; passé 18 ans, il est de 5 % », illustre la psychologue. Puis les participants sont invités à relier neuf points par quatre lignes continues sans lever le crayon. « C’est absolument impossible si on ne dépasse pas le cadre des neuf points. Le message devient évident : Pour être créatif, dépassez le cadre ! » Lorsqu’ils retournent au travail, les participants savent s’en souvenir au moment opportun.
Josée Blondin-Joly adapte ses jeux aux participants mais, à l’instar des séances de Lego, elle remarque que dans tous les cas les masques finissent par tomber. En jouant, les collègues se parlent sans faux-semblant. De quoi souder l’entreprise et la faire évoluer. Ainsi que le rapport de chacun à l’autre.
Si les bénéfices du jeu sont fascinants chez les adultes, ils ne le sont pas moins chez les enfants. Les jeux leur permettent de mieux appréhender les règles de vie en société, les notions de loi, mais aussi de développer leur mémoire et leur logique, tout en canalisant leurs émotions. Les psychologues y font d’ailleurs appel depuis un moment.
Parmi eux, Florence Marcil-Denault, psychologue clinicienne à Montréal, pour qui le jeu est une base de travail incontournable. « Dans notre métier, quand on pense enfant, on pense automatiquement jeu ou dessin. Avant 12 ans, un enfant a du mal à mettre des mots sur ce qu’il ressent ou ce qu’il vit. Il est intuitif et pris avec une quantité d’émotions qui le poussent à avoir des attitudes que, nous, adultes, ne comprenons pas forcément. Et c’est là que le jeu est très utile. »
Florence Marcil-Denault travaille avec de grandes maisons de poupées et des personnages en bois qui représentent la famille. « Tout naturellement, l’enfant se met à inventer des histoires. Le psychologue l’accompagnera alors pas à pas, avec beaucoup de prudence et sans la moindre suggestion. Grâce au jeu, l’enfant peut reporter toutes ses angoisses sur les personnages, en toute sérénité. Pour lui, ce qu’il raconte ne le concerne pas… alors qu’en fait, bien sûr, il s’agit de son vécu. »
Une thérapie qui fonctionne plus difficilement à l’adolescence, sauf si on utilise non plus la maison de poupées, mais le jeu vidéo. C’est ainsi que le psychologue français Michael Stora s’apprête à ouvrir à Paris la première Clinique du virtuel, où vont se côtoyer thérapie par le jeu et… traitement contre la dépendance aux jeux vidéo.
Chez les enfants, le jeu ne sert pas seulement à traiter. Il sert aussi à apprendre. Chantal Barthélémy-Ruiz, qui enseigne à Paris les sciences du jeu, le considère comme un des meilleurs vecteurs d’apprentissage. À condition de le choisir avec soin et d’éviter les jeux bêtement compétitifs du genre Serpents et échelles. « Bien mené, c’est une méthode “gagnant-gagnant”. L’élève se sent acteur, impliqué et souvent séduit par la forme du jeu. Il fait des efforts tout en s’amusant, sans en ressentir la difficulté. Le professeur se rend compte qu’un plus grand nombre d’élèves comprennent les notions enseignées, en particulier chez ceux qui, auparavant, suivaient avec peine les cours magistraux. »
Les initiatives dans le domaine suscitent pourtant parfois la polémique. C’est le cas de cet instituteur français qui faisait jouer ses élèves de 10 ans au poker. Il y a quelques mois, submergé par la tempête médiatique, il a essayé tant bien que mal d’expliquer qu’il souhaitait leur apprendre la concentration, l’analyse psychologique et, même, pourquoi pas, quelques notions de mathématiques. La réputation sulfureuse du poker a finalement eu raison de sa démarche, dont la discipline était certes peu appropriée à des enfants, mais qui avait au moins le mérite d’élargir leur champ d’apprentissage.
Au même moment, toujours en France, le ministère de l’Éducation nationale signait un accord avec la Fédération française des échecs afin d’officialiser l’entrée de ce jeu dans les écoles. Stéphane Aborde, créateur d’une société spécialisée dans les événements autour des échecs, s’en réjouit. Selon lui, ce jeu permet de comprendre des notions complexes de tactique (technique à court terme) et de stratégie (réflexion à plus long terme). « Les enfants qui jouent aux échecs ont une capacité de concentration supérieure de 50 % à celle de leurs camarades. C’est-à-dire que si un enfant est capable de rester concentré 20 minutes, celui qui pratique les échecs en tiendra 10 de plus. »
Par ailleurs, le fait de jouer aux échecs augmente de 30 % la capacité à mémoriser et à résoudre les problèmes. « Mieux : quand les enfants voient qu’ils peuvent battre un adulte, c’est excellent pour leur estime de soi, ajoute Stéphane Aborde. C’est donc parfait pour ceux qui ont des difficultés scolaires. Très souvent, grâce aux échecs, ils recommencent à avoir des résultats corrects. »