Entrevues

Marie-Josée Croze, comédienne

De passage à Montréal pour des vacances, l’actrice qui vit en France depuis des années nous a parlé de son nouveau film, Je l’aimais, d’après le roman d’Anna Gavalda. Elle en a profité pour faire le point sur sa relation d’amour-haine avec le Québec.

Marie-Josée Croze est une star, et son temps est d’or. J’aurai 30 minutes pour l’interviewer. C’était à prendre ou à laisser. On a pris. Parce qu’elle donne peu d’entrevues. Parce que, avant elle, aucune Québécoise – ni Carole Laure ni Geneviève Bujold – n’avait connu une ascension aussi fulgurante en France, où elle cumule les rôles et compte parmi les cinq actrices les plus en vue. Parce qu’il y a une ombre sur ce triomphe : un mouvement « anti-Marie-Josée Croze » qui part d’ici et se propage dans le monde par le Web et sur lequel la principale intéressée s’est peu prononcée.

En 2004, quand elle a été élue Femme de l’année par Châtelaine, je l’avais rencontrée pendant deux heures dans une salle de réunion moche chez son agente. Aujourd’hui, sa courte audience, elle me l’accorde dans la suite sur deux étages d’un grand hôtel. Oui, les années ont passé, les lieux ont changé. Et Marie-Josée aussi.

Primo, la brune naturelle est blonde comme les blés. Non par coquetterie, mais pour les besoins du film Un balcon sur la mer, tourné en partie au Maroc avec Jean Dujardin, l’acteur de l’heure en France. Sortira aussi là-bas cet automne Mères et filles, dans lequel l’actrice québécoise côtoie Catherine Deneuve. Mais avant, il y a Je l’aimais, d’après le roman éponyme et bouleversant d’Anna Gavalda, en salle en octobre au Québec. En Europe, le film a séduit la critique, surtout emballée par Marie-Josée : « lumineuse et mystérieuse », « magnifique », « jamais été aussi belle, ni aussi juste, au cinéma »…

« Mathilde, c’est un rôle payant », dit-elle, dans le sens de gratifiant. « C’est la maîtresse, celle qui va briser un couple. Je l’ai jouée dans la lumière et dans la légèreté. Je savais que je devais faire ressortir son humour, sa joie de vivre, pour que tout le monde l’aime et comprenne cet homme (interprété par Daniel Auteuil) qui pense quitter sa femme, ses enfants, pour aller vers cette lumière-là. Sinon, Mathilde, c’est juste une pétasse, entre guillemets. »

Je l’aimais parle de regrets, ceux d’un architecte dans la soixantaine qui, 20 ans plus tôt et pour diverses raisons, n’a pas eu le courage d’écouter son cœur, perdant du même coup la femme de sa vie. « On peut tous passer à côté de plein de choses tout le temps, résume Marie-Josée, qui a réfléchi là-dessus. Le problème, c’est qu’on ne peut pas tout faire. » Ni tout avoir.

On la voit sur les photos “pipole”, comme disent les Français, souriant sur les tapis rouges, sublime dans ses robes Chanel. On l’imagine claquer des doigts pour obtenir ce qu’elle veut. Mirage, assure-t-elle : « Les gens trouvent que j’ai beaucoup de chance parce que j’ai joué avec Spielberg dans Munich, parce que j’ai fait ci, parce que j’ai fait ça. En revanche, je peux te dresser la liste de tout ce que j’ai raté, et c’est impressionnant ! »

Des voyages éclair Paris-Los Angeles pour rencontrer de grands réalisateurs américains, des espoirs sans lendemain. « Par ma faute des fois, parce que j’étais pas assez préparée, parce que j’ai “choké”, parce que l’anglais, c’est dur, parce qu’il y en a toujours une qui est plus grande, plus belle, plus jeune, qui parle mieux anglais… »

Sa carrière hollywoodienne peut attendre. Et si elle ne décolle jamais, tant pis. « J’ai des envies, des désirs, mais je ne suis pas boulimique de projets, je suis assez modeste dans mes envies. » La jeune femme fébrile d’hier a fait place à une autre, plus calme et plus sûre d’elle. L’actrice a prouvé, moins à elle-même qu’aux autres, que le Prix d’interprétation décroché à Cannes pour Les invasions barbares n’était pas le fruit du hasard. C’était une étape cruciale dans son étonnante destinée : née d’une mère trop jeune incapable de s’occuper d’un bébé, ballottée d’un foyer d’accueil à l’autre, adoptée à trois ans, élevée à Longueuil dans un milieu pauvre, adolescente rebelle, étudiante en arts plastiques qui découvre un jour le théâtre puis se fait connaître dans un téléroman à TVA…

De Chambres en ville à Catherine Deneuve, de ses succès, elle est fière, à juste titre. Des commentaires très durs qui circulent à son sujet, par contre, elle en a soupé. « Je ne comprends pas pourquoi tant de haine. On me reproche l’accent, d’être partie, de n’être jamais revenue. Je suis partie parce que j’en avais envie, chacun fait ce qu’il veut de ses fesses. Je peux parler avec l’accent que je veux, ça ne regarde personne. S’il y a quelqu’un dans cette histoire qui pourrait se plaindre, ce sont les Français, qui pourraient dire : “Mais c’est qui cette actrice qui vient voler nos jobs ?” J’ai de la peine pour ceux qui ne m’aiment pas, qui répètent : “Elle va faire un film, après elle va ΄reviendre΄ parce que ça va pu marcher.” Ça ne m’atteint plus. Je leur dis : “Arrêtez, vous avez l’air d’une bande de cons, parce que je réussis. Maintenant taisez-vous. Il faut que j’en fasse combien de films, 150 ?, pour que vous arrêtiez de médire sur moi ?” » A-t-elle raison de « pogner les nerfs », comme on dit au Québec ? J’aimerais en discuter un peu plus avec elle, mais je dois la quitter : ma demi-heure est écoulée.

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