Société

Être mère mènerait-il au burnout?

Jongler avec les enfants, le boulot et la maison peut mener à l’épuisement, prévient la psychanalyste française Liliane Holstein, qui nous explique comment y échapper.

Parents-enfants

Photo: Noel Hendrickson / Masterfile

La maternité a bien changé depuis 50 ans. Surtout pour le mieux. Les bébés n’arrivent plus à l’improviste, ils sont planifiés. Notre opinion (comme nos obligations) compte autant que celle du papa et tout est là pour nous faciliter la vie – la techno, les maisons tout équipées, la médecine de pointe, les bonnes écoles, l’alimentation variée, les vacances à la plage. Alors pourquoi cette désagréable sensation d’essoufflement ? Parce qu’on court tout le temps, pardi ! Et qu’on s’en veut de ne plus trouver le temps, justement, de s’émerveiller devant les enfants. « Les mères culpabilisent en permanence, déplore Liliane Holstein, jointe à Paris. Certaines finissent par vider leurs réserves d’énergie. » Dans son livre Le burn out parental, paru récemment en France, la psychanalyste démonte les rouages de la mécanique infernale de l’épuisement. Pour aider à mieux le surmonter.

Le problème de la fatigue existe depuis que les mères sont mères. Pourquoi est-ce pire aujourd’hui ? La vie professionnelle est devenue angoissante. Les entreprises ont des exigences croissantes, les effectifs sont réduits et les tâches décuplées. Ça crée une pression énorme sur les travailleurs. De leur côté, les enfants souffrent de voir leurs parents si agités et mal dans leur peau. De passer si peu de temps avec eux. Ils sont avides de tendresse, d’attention et de tranquillité. Mais il faut tout faire vite. Ça les épuise. Il y a aussi le fait que les nouveaux parents ne savent plus se montrer autoritaires ni se positionner en tant qu’adultes. Beaucoup ont été élevés par des parents laxistes, happés par la frénésie de consommation et de travail propre aux années 1980. Ils ont laissé leurs jeunes livrés à eux-mêmes, scotchés à la télé. Ces derniers n’ont pas appris à être adultes. Or les enfants ont besoin de limites et de modèles. J’en vois qui piquent une colère dès qu’on leur refuse quoi que ce soit.

C’est le fameux enfant-roi ? L’enfant-empereur ! Il a absolument tous les droits. Vous le voyez dans la rue, en avion, au resto. Il adopte ce comportement très tôt, vers l’âge de deux ou trois ans, à la « première adolescence ». Si on loupe cette période-là, on est parti pour 10 ans de galère… avant la vraie adolescence.

Comment s’introduit le désordre dans la famille ? La plupart des couples ont une vision idéalisée de la famille. Lorsque bébé arrive, ils sont dépourvus devant sa totale dépendance. Il faut faire preuve de beaucoup de maturité et d’équilibre mental. Sinon, c’est la panique. Les parents peuvent aussi avoir tendance à s’éloigner l’un de l’autre si la mère, par exemple, se replie sur son enfant en reléguant le père aux secondes loges. Inévitablement, ça génère de la frustration. Sans parler de la pression qu’exerce l’entourage avec ses « bons conseils ». Tout ça fait boule de neige.

Quand la boule est trop grosse, on risque le burnout ? Oui. C’est comme si les parents – très souvent, la mère en premier – menaçaient de s’effondrer. Ils se sentent impuissants à accomplir les tâches les plus élémentaires et à gérer l’éducation. Ils sont hébétés de fatigue et de désespoir. Les enfants le leur rendent bien : en réponse au malaise de papa et maman, ils deviennent capricieux, de mauvaise humeur ou hyperactifs.

À quel moment cet épuisement prend-il racine ? En fait, à l’arrivée de l’enfant, tous les désordres larvés dans le couple se multiplient, et les blessures de chacun remontent comme un geyser. Le petit capte ces tensions et les amplifie. Comme s’il avait un système wifi connecté à l’inconscient de ses parents. Il perçoit la moindre fragilité, le manque d’amour et de respect. Il voit tout, entend tout. Et ça l’angoisse. Il va tirer la sonnette d’alarme pour forcer ses parents à se redresser et à le remettre dans le cadre. Et utiliser soit la voie psychosomatique (otites, maux de ventre, manque d’appétit, sommeil agité, urticaire, asthme), soit la voie comportementale (apathie, tristesse, repli, ou hyperactivité, irritabilité, agressivité, insolence). S’ils comprenaient ces messages, les parents régleraient une bonne partie de leur fatigue.

Comment rétablir l’équilibre ? Il suffit de doser en fonction de la situation. Se montrer souple sur des points et intraitable sur d’autres. Par exemple, le soir, les enfants sont exténués. On peut se contenter d’un repas tout simple. Et s’ils n’ont pas faim, ils se reprendront au petit-déjeuner. Pas besoin d’user d’autorité. En revanche, pour des choses fondamentales, comme la politesse, la gentillesse, la bienveillance, on ne laisse pas passer. Du côté du couple, il faut se parler –  de soi, de ses besoins, de ses envies, de ses doutes, de ses peurs. Demander au conjoint de prendre la relève ou solliciter la famille, les amis, les voisins. Ne pas se refermer sur soi en pensant qu’on est la seule à pouvoir tout faire. Lâcher prise. Ralentir le rythme. Alléger l’agenda (pas nécessaire de faire 10 activités le week-end et 5 lessives les soirs de semaine). Se serrer les uns contre les autres. Les enfants ne désirent que ça. Autrement, ils voient des parents courir du matin au soir, sans comprendre à quoi rime ce marathon ! Se demander quel sens on veut donner à sa vie, pourquoi on a fait des enfants. Réaliser qu’on s’est trompé de chemin. Reprendre le fil.

Que pensez-vous des études qui soutiennent qu’avoir des enfants ne rend pas plus heureux ? C’est un débat intéressant qui alimente la tendance chez les jeunes couples à choisir de ne pas en avoir. Comme s’ils avaient perçu la difficulté que leurs parents ont eue à les élever. L’enfant n’est plus synonyme de bonheur. Personnellement, je crois que les enfants demandent une énergie colossale, nous épuisent à certains moments, nous déstabilisent comme jamais. De la même manière, ils nous font grandir et nous amènent au dépassement. Le défi, c’est de trouver le temps de savourer le bonheur pur qu’ils nous procurent.
Liliane-Holstein

Qui est Liliane Holstein ?
Cette psychanalyste française pratique depuis 30 ans auprès des enfants et des adultes par amour du genre humain. « Quand je vois des gens malheureux, j’ai envie de rallumer l’étincelle dans leurs yeux », dit-elle. Mais ce qui l’émeut le plus, c’est l’extrême perspicacité des enfants. Leur façon de regarder avec intensité pour capter ce qui se dit. « Leur clairvoyance est bien plus fine que la nôtre. Je sers d’intermédiaire entre eux et leurs parents. » À la fin des années 1990, elle a importé la psychanalyse à Tahiti, où elle s’est installée avec sa famille pendant 11 ans. « Je voulais que mes enfants grandissent dans la lumière et la beauté de ce pays, qui, paradoxalement, était aux prises avec des problèmes d’alcool, de violence et de maltraitance. » En 2012, elle publie Le syndrome de la mouche contre la vitre (Josette Lyon) sur les blocages et les échecs qu’on répète inconsciemment. Elle est la première à avoir mis le doigt sur le burnout parental, en 2014, en se basant sur ses observations. « Depuis deux ans, le nombre de parents à bout de nerfs que je reçois est exponentiel. »

 

Livre-parents

Le burn out parental – surmonter l’épuisement et retrouver la joie d’être parents, Josette Lyon, 323 pages.

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