Ouf, que ça a failli. C’est passé proche. Amazon, l’indétrônable leader de la vente en ligne, a rasé la révolution dans le département des jouets. La nouvelle courait sur Internet, partagée par des parents extatiques: «Amazon a éliminé ses critères de recherche en fonction du sexe des enfants! Fini les jouets «pour filles» et «pour garçons»! Un petit pas pour le magasinage, un grand pas pour l’abolition des stéréotypes! Liberté! NEUTRALITÉÉÉ!»
J’avoue avoir regardé la nouvelle se propager avec le doute au fond de l’œil. D’abord, Amazon n’a fait aucune annonce officielle à ce sujet. C’est un tweet qui a mis la puce à l’oreille des internautes. De plus, si Amazon effaçait deux petites boites à cocher, il n’allait certainement pas retirer des jouets de son site web. Jamais il n’a été question d’effectuer un ménage de l’inventaire pour mettre au rancart les jouets sexistes. Un coup d’éclat certes, mais anti-business et anti-branding s’il en est un. Voyez-vous, la corporation est reconnue pour son catalogue titanesque et se targue d’offrir «Earth’s biggest selection».
Comme de fait, les jouets en vente n’ont pas changé, ni la façon de les classer ou de les identifier. Pire, la page Toys and Games présente deux fois plutôt qu’une des raccourcis pour les sections toujours existantes pour les Boys et les Girls.
Visiblement, cette mise à jour du menu de recherche n’était pas supposée devenir virale. Pourquoi l’est-elle devenue, alors?
J’ai quatre hypothèses.
1. Parce que les questions féministes sont à la mode.
Grâce à Beyoncé et Emma Watson, on discute d’égalité des sexes dans les médias de masse et dans la culture populaire. Nous sommes aussi plus conscients des stéréotypes de genre qui enferment petits et grands dans des rôles peu nuancés et réducteurs. Cela se manifeste dans les jouets, les vêtements et les livres où on valorise les fillettes pour leur beauté et les garçons pour leurs capacités physiques. Le contexte est donc favorable pour célébrer une nouvelle qui fait «disparaître» ces étiquettes arbitraires. C’est un tout petit pas, mais dans la bonne direction.
2. Parce qu’on est pu’ capables du rose et du bleu.
Si vous vous êtes récemment aventurés dans les rayons pour enfants d’une grande chaîne de magasins, peut-être avez-vous cru souffrir d’un trouble de vision. Tout, tout, tout est décliné en deux versions: rose pour les filles et bleue pour les garçons. Il est de plus en plus difficile de trouver des jouets aux couleurs neutres ou qui ne sont pas des produits dérivés de princesses ou de superhéros. L’offre est peut-être doublée, mais les parents ont le sentiment de ne pas avoir vraiment le choix, d’être coincés. Tant pis pour la variété, les goûts personnels de vos enfants et vos valeurs, il y a deux camps, that’s it.
3. Parce qu’on sait maintenant que c’est une stratégie marketing.
La division des jouets selon les sexes poursuit un but bien précis: nous faire dépenser plus. «Au lieu de refiler le jeu de poche de Barbie de votre aînée à son petit frère, vous lui en achèterez un nouveau à l’image de Spiderman!» explique-t-on dans ce dossier du magazine Protégez-vous. Réduire l’offre de jouets neutres, ça fait rouler l’économie! On capitalise à fond sur les stéréotypes et les malaises! Vous savez comme moi que rien n’empêche Fiston de jouer au jeu de poche de Barbie, sauf peut-être le regard des autres. Sortons le portefeuille pour l’en épargner. #cerclevicieux
4. Parce qu’Amazon a un pouvoir que nous n’avons pas.
On aurait souhaité qu’un géant comme Amazon mette de la pression sur les fabricants de jouets pour qu’ils diversifient leurs produits. Des campagnes de sensibilisation, une couple de livres, une poignée de billets de blogues et quelques milliers de parents qui boycottent, ce n’est pas menaçant pour des giga corporations comme Mattel et Lego. Amazon aurait-il eu le poids nécessaire pour les faire plier? J’ose croire que oui. Eh que ça a failli.
La révolution des jouets n’aura donc pas lieu. Pas chez Amazon, en tout cas. Aura-t-elle lieu chez vous?
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