Pour un partage équitable du congé parental est le plus récent avis publié par le Conseil du statut de la femme (CSF). Dans cette enquête, pour reprendre les mots de sa présidente, Julie Miville-Dechêne, «On plonge au cœur de l’intimité des familles québécoises». J’ajouterais qu’on navigue dans les eaux tourmentées des stéréotypes de genre et de la division des tâches. On y lit que les mères continuent de ramer en ta’, même avec le soutien des programmes gouvernementaux. En fait, la façon dont les couples se prévalent du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) nous révèle s’ils baignent dans l’égalité conjugale… ou pas. (Fin de la métaphore nautique.)
Le chercheur Olivier Lamalice a interviewé 27 parents québécois et effectué une revue de la littérature scientifique sur le partage du congé parental. Il note que les familles d’aujourd’hui se croient égalitaires, elles le disent haut et fort. Mais il suffit de gratter un peu pour s’apercevoir qu’un bon nombre d’entre elles adoptent inconsciemment des rôles parentaux traditionnels qui poussent l’homme vers le travail et la femme vers la maison. Ainsi, la mère assure très souvent la surcharge des responsabilités familiales et des tâches domestiques qui se multiplient avec l’arrivée d’un bébé.
J’ai été surprise d’apprendre que les femmes interrogées ressentaient peu d’injustice à cet égard. Comme si ça allait de soi, que c’était à elles de le faire, que ça leur revenait. La majorité des participants à l’enquête ont d’ailleurs mentionné que la décision du partage du congé parental s’était faite «naturellement», sans trop de discussion ni de réflexion de leur part. Un naturel qui cristallise les stéréotypes et certaines inégalités, ouais. Ne le cachons pas, le fait que 70% des pères gagnent plus que leur conjointe joue énormément dans l’acceptation de ce statut quo.
Dans les faits, la majorité des papas du Québec (80%) prennent la totalité de leur congé de paternité, soit 3 à 5 semaines qui leur sont réservées par le RQAP. Bravo! Toutefois, seulement le quart d’entre eux se prévalent d’une partie du congé parental de 25 à 32 semaines qui est partageable avec la mère. Et dans la plupart des cas, ce sera pour un congé de moins de 8 semaines (70%) et la mère sera également présente à la maison pendant cette période dans 83% des cas. En clair : les pères veulent passer du temps en famille, mais prennent congé quand ils sont les seuls à pouvoir s’en prévaloir. «Tu ne le prends pas, tu le perds» est un incitatif de taille. Même en Suède, super modèle des politiques familiales égalitaires, les hommes «partagent encore modestement le congé parental». Tout n’est pas parfait dans ce paradis scandinave peut-on lire dans l’avis de la CSF: «En moyenne, l’enfant est gardé pendant 17,8 mois par sa mère et 1,9 mois par son père! Même lorsqu’il s’implique plus, l’homme est avant tout ce que l’on pourrait nommer un parent d’appoint.»
La même chose se reproduit ici, au Québec. La mère est définie comme le premier parent, le parent de référence. Cela se traduit dans le partage inéquitable des tâches domestiques et des soins aux enfants, encore effectué à 70% par les femmes. Mais surtout, dans la «charge mentale» nécessaire pour organiser, planifier et déléguer toutes ces tâches «qui échappent aux mesures statistiques du partage du travail.» L’avis se termine sur huit recommandations, notamment celle d’assurer l’avenir du RQAP (#austérité). On propose aussi de modifier le contenu des cours prénataux et du Mieux vivre avec notre enfant, la bible du bébé remise à tous les nouveaux parents, afin qu’ils présentent de l’information non stéréotypée sur le partage des congés, des tâches et des soins aux enfants. Mais l’idée la plus innovante, c’est celle-ci : «Instaurer un congé de paternité exclusif supplémentaire de trois semaines pris à même le congé parental à condition que le père soit seul avec son enfant.»
Ça me plaît énormément. Surtout lorsqu’on sait que les pères qui prennent un congé en solo avec leur bébé se sentent plus compétents et autonomes comme parents. Ainsi lâchés lousses, ils développent un lien privilégié avec leur enfant et deviennent plus conscients des tâches et responsabilités inhérentes à leur rôle de parent 24/7. Cela se traduit par un partage plus égalitaire du travail domestique (et beaucoup d’envie de ma part). Une situation gagnant-gagnante dont la famille peut profiter bien après le versement de la dernière prestation du RQAP.
À LIRE : Un photographe suédois publie une série de portraits de papas en congé de paternité.
Julie Miville-Dechêne ne s’en cache pas : « On souhaite provoquer un débat de société, un changement de paradigme.» Près de dix après l’apparition du RQAP, il serait à peu près temps qu’on cesse de faire du congé de maternité le congé par défaut. Le congé parental offre une flexibilité dont on ne profite pas assez. «Nous pouvons utiliser ce type de politique publique pour essayer de changer les mentalités, pour aller plus loin et se donner des outils pour atteindre l’égalité» explique la présidente du CSF.
De quelle façon avez-vous partagé votre congé parental? En aviez-vous discuté en couple?
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