Société

Conciliation travail-famille : de l’espoir !

Il est question de conciliation travail-famille depuis 20 ans et, pourtant, les mères courent toujours. Bonne nouvelle : ça commence à changer. Les hommes et les entreprises montent dans le train.

Nous avons deux vies. Vie numéro 1  : lunchs, bains, devoirs, épicerie, lessive, soccer, chicanes d’enfants…

Vie numéro 2 : réunions, rapports à rédiger, dates de livraison à respecter, horaires de jour et de soir.

Le problème, c’est que ces deux vies sont supposées en faire une seule… C’est même devenu la norme. Aujourd’hui, dans la majorité des familles québécoises, les deux parents travaillent – 3  mères sur 4 et 9  pères sur 10 chez les 25 à 44 ans. Une fois au boulot, après avoir laissé fiston à la garderie et l’aînée à l’école, ils ont déjà fait leur quart de journée. Et la course folle reprend à l’heure du souper. C’est comme ça jour après jour.

Voilà bien 20 ans qu’on parle de con­ciliation. Bien sûr, il y a eu des améliorations. Importantes, même. Le Québec est d’ailleurs cité dans le monde comme un chef de file en matière de soutien aux familles  : congés parentaux, garderies à sept dollars, allocations familiales, crédits d’impôt…

Comment se fait-il alors que tout ce beau monde court toujours  ? Tous les experts vous le diront  : les efforts du gouvernement, c’est bien beau, mais ça ne suffit pas. Au tour des entreprises, maintenant, de passer en mode conciliation.

«  Au Québec, le débat a pris de l’ampleur ces dernières années, soutient Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à la Téluq-UQAM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du savoir. Les gens demandent clairement à leur employeur de reconnaître l’importance de leur vie personnelle. La balle est dans leur camp.  »

Cette balle, nombre d’entreprises savent déjà jongler avec  : elles proposent à leurs employés flexibilité d’horaire, télétravail, temps partiel… Certaines leur offrent la possibilité de réduire leurs heures de travail ou de prendre temporairement en charge moins de mandats sans être pénalisés, ce qu’on appelle dans le jargon un cheminement de carrière adapté. Des sociétés ont même mis sur pied des «  services aux salariés »  : ainsi un petit ange s’occupe de leurs courses pendant les heures de travail.

À l’heure actuelle, ces mesures nova­trices sont surtout appliquées dans le secteur public et par de grandes entreprises, celles qui comptent dans leurs rangs du personnel spécialisé – cadres, gestion­naires, professionnels. Car on s’en doute  : changer ainsi les façons d’organiser le travail représente un coût pour les employeurs. Et s’ils investissent dans l’exercice, ce n’est pas par gentillesse. Le but est d’attirer une main-d’œuvre de qualité… et de la garder.

«  Avec le déclin démographique, beaucoup d’employeurs craignent une pénurie de main-d’œuvre, explique Diane- Gabrielle Tremblay. Un des moyens d’y remédier, c’est d’offrir de bonnes conditions. »

À 41 ans, Chantal Dagenais, mère de quatre enfants et directrice de projets de sécurité routière, arbore un air radieux. «  Oui, j’ai l’impression de toujours courir, mais j’y arrive, dit-elle en riant. Pour moi, la conciliation travail-famille, c’est trouver l’équilibre. Donner mon maximum au bureau et à la maison, sans qu’il y ait de frictions.  » Son employeur, Cima +, à Laval, lui accorde d’excellentes conditions  : semaine de quatre jours et demi (le vendredi, tout le monde termine à midi  !), banque de temps pour les heures supplémentaires, fermeture des bureaux entre Noël et le jour de l’An, minimum de trois semaines de vacances, possibilité de faire du télétravail. Ne manque que la garderie. Et ça s’en vient.

Cette firme de génie-conseil compte 300 employés dont le tiers sont des femmes et près de la moitié ont des enfants. Moyenne d’âge  : 39 ans. L’an dernier, Cima + a remporté l’un des trois prix Reconnaissance «  Conciliation travail-famille  » offerts par le gouvernement du Québec (la remise des prix 2010, au nombre de six cette année, aura lieu ce printemps).

«  Je pense que la conciliation dépend aussi beaucoup des patrons, précise Chantal. Chez Cima +, ils sont assez jeunes et ont des enfants. La réalité des parents, ils la vivent aussi.  » Ses collègues également. Ils s’amusent quand ils l’entendent régler au téléphone les chicanes de ses rejetons…

Jusqu’à récemment, concilier bébé et boulot reposait sur les épaules des femmes. Mais la nouvelle génération de pères, qu’ils soient employés ou patrons, prend de plus en plus part à ces responsabilités. Les papas d’aujourd’hui veulent eux aussi voir les premiers sourires de bébé et ils s’absentent parfois du bureau pour accompagner la cadette chez le dentiste ou prendre soin du benjamin grippé. Afin d’être plus présents à la maison, ils refusent de travailler 70 heures par semaine. «  Souvent, dans les entretiens de sélection, les jeunes pères vont poser leurs conditions  », affirme Diane-Gabrielle Tremblay. Il y a seulement 10 ou 20 ans, c’était impensable.

Les mères ne sont plus les seules à dire bye-bye à leur boss pour quelques mois à l’arrivée de bébé. Depuis l’entrée en vigueur du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) en 2006, les pères peuvent profiter d’un congé à la naissance de leur poupon. En 2008, selon l’Institut de la statistique du Québec, 45 % des nouveaux prestataires étaient des hommes. «  Un chiffre magique, se réjouit le ministre de la Famille, Tony Tomassi, qui a lui-même cinq enfants. On voit que les pères prennent leurs responsabilités et participent activement à la vie familiale.  » Une réalité qui s’impose encore davantage avec la popularité de la garde partagée – au Québec, un mariage sur deux se termine par un divorce.

Pour accommoder tout ce beau monde, les entreprises ont fort à faire. Même avec les meilleures intentions, les PME n’ont malheureusement pas toujours les ressources dont disposent les grandes boîtes et le secteur public pour relever ce défi. Sans compter que, depuis 10 ans, productivité oblige, la cadence de travail s’accélère, et on demande aux employés de consacrer plus de temps à leur boulot. Dans ce contexte, comment les travailleurs essoufflés peuvent-ils réclamer plus de temps pour leur famille ?

Il y a quelques mois, 320 personnes, dont 64 hommes, se sont réunies pour réfléchir à la question au cours d’un colloque sur la conciliation travail-vie personnelle qu’organisait la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) à Montréal. Conclusion des participants : le gouvernement doit obliger les entreprises à respecter l’équilibre entre le travail et la vie personnelle (un concept qui englobe la famille, mais aussi les activités sociales, les études, le sport, le bénévolat…).

L’État prône plutôt « l’accompagnement ». « Quand les employés et les employeurs s’entendent sur des mesures, ça donne de meilleurs résultats », estime le ministre Tomassi. La dernière trouvaille de son ministère : une norme conciliation travail-famille, lancée ces jours-ci. Une sorte de guide ISO-famille qui suggère de bonnes pratiques dans les organisations (congés pour raisons familiales, horaires de travail adaptés, rotation d’emploi, mise en place d’un comité de conciliation). Aux entreprises de voir si elles les suivent ou non. Plus elles mettent en place des formules qui facilitent la vie de leurs employés, meilleure est leur certification. Ce qui n’est pas mauvais pour leur image non plus… Malgré l’enthousiasme du ministre, Diane-Gabrielle Tremblay, de l’UQAM, se montre sceptique : « Il ne faut pas que ça reste seulement des idées sur papier. Ce qui fait la différence, c’est le soutien de l’organisation, la confiance entre les patrons et les employés. »

Même ceux qui, dans un premier temps, étaient réticents finissent par faire quelques aménagements pour le bénéfice de leurs équipes. Yves-Thomas Dorval, président du très sérieux Conseil du patronat du Québec, est de ceux-là. « Une de mes employées m’a demandé récemment de travailler quatre jours au lieu de cinq. Première réaction : mon Dieu, qu’est-ce que je vais faire ? Puis je me suis assis avec elle pour évaluer ses tâches. On a conclu que c’était faisable et elle est beaucoup plus heureuse… »

Autre avenue possible : devenir son propre patron. De plus en plus de mères, et de pères, font ce choix pour harmoniser leurs deux vies. Au Canada, en 2008, trois entreprises sur cinq ont été fondées par des femmes, dont 80 % sont mères ! Comme Marie-Hélène Grenier. À la veille d’accoucher de son troisième enfant, cette chiropraticienne de 34 ans, copropriétaire d’une clinique à Québec, peut compter sur ses collègues – dont plusieurs sont eux-mêmes parents – pour la remplacer. Ce solide travail d’équipe facilite la conciliation pour tous, selon elle. « Je m’estime privilégiée de jouir d’autant de souplesse et de pouvoir gérer mon horaire en fonction de mes besoins. »

Au Québec comme ailleurs, ces mamans entrepreneures ont senti le besoin de se regrouper. Lancé l’an dernier, le réseau d’affaires Mamentrepreneures compte déjà 70 membres, dont la chiropraticienne Marie-Hélène Grenier. « C’est très motivant, dit-elle. Nous avons toutes à cœur le succès de notre entreprise, les mêmes réalités financières et familiales. Le réseau nous donne des outils, par exemple comment nous servir des médias sociaux pour nous faciliter la vie… »

À 37 ans, Nicolas Saint-Cyr a choisi de voler de ses propres ailes comme directeur de création Web et nouveaux médias. Il voulait ainsi mieux conjuguer vies professionnelle et familiale. Son amoureuse, Isabelle Marjorie Tremblay, animatrice et comédienne, est sur le point d’accoucher de leur deuxième enfant. « La beauté d’être travailleur autonome, c’est de pouvoir jongler avec son horaire », dit Nicolas, qui prendra un congé de paternité. C’est bien vu, pour un papa, de prendre quelques semaines ? « Quand j’étais en entreprise, je sentais que ça dérangeait encore. »

Bref, on avance, mais une autre marche – et pas la moindre – reste à monter : l’égal partage des tâches à la maison entre les parents. Sortir les poubelles, pelleter l’entrée, piloter le BBQ et tondre la pelouse, les boys, ce n’est pas assez ! « Les pères ont fait du progrès, surtout du côté du jeu et des activités éducatives auprès des enfants, note Diane-Gabrielle Tremblay. Mais ils doivent faire plus. En 2005, les mères consacraient aux travaux domestiques 17,9 heures par semaine contre 11,5 pour les hommes. De plus, elles continuent à veiller à tout le reste : prendre rendez-vous chez le médecin, penser à acheter le matériel scolaire, planifier les rencontres avec les professeurs… »

Raymond Villeneuve, directeur du Regroupement pour la valorisation de la paternité, n’est pas d’accord avec cette façon de comptabiliser l’apport des uns et des autres. « Les gars, plaide-t-il, effectuent souvent des tâches dont on ne tient pas compte dans les calculs, comme magasiner une voiture ou un ordi pour la famille. » Il souligne qu’il existe un décalage entre l’évolution de la société et celle du gouvernement et des entreprises. La présence des pères au bercail est requise, mais l’État ne les mentionne à peu près pas dans ses politiques sociales. « Dans le plan d’action 2008-2012 du ministère de la Famille, le mot père est absent. On ne prend pas leurs compétences en considération. »

Devant une demande de conciliation travail-famille, les employeurs n’ont pas toujours la même attitude selon qu’elle vient d’un homme ou d’une femme. « Il y a plus de résistance quand c’est un père qui s’absente. Certains employeurs pensent encore que c’est aux femmes de s’occuper des enfants et aux hommes de rentrer au bureau ! »

Alors, les boss, qu’attendez-vous ?

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