Terpsichore, muse grecque de la danse et de la musique, veille sur la Plaza Mayor.
Depuis une dizaine d’années, le gouvernement cubain relâche progressivement les règles de l’industrie touristique et permet aux habitants d’y participer. Trinidad de Cuba, autrefois petite ville coloniale peu visitée, est ainsi devenue la capitale caraïbéenne de la danse. Sa monnaie d’échange? La salsa!
Un taxi de fabrication russe datant des années 60.
Lorsque l’U.R.S.S. a retiré son soutien financier à Cuba, au début des années 90, le gouvernement cubain s’est tourné vers le tourisme pour générer de nouvelles sources de revenus. Aujourd’hui, seuls quelques hôtels et taxis soviétiques témoignent de l’époque de la guerre froide.
Un homme joue de la guitare devant un club en attendant que le reste de son groupe arrive.
Pendant l’âge d’or des 18e et 19e siècles, alors que la ville de Trinidad était un important lieu commercial, les propriétaires coloniaux accumulaient des fortunes avec la production de sucre et l’exploitation d’Africains réduits à l’esclavage. C’est à cette période que le mélange des cultures ouest-africaine et espagnole a donné naissance à la salsa, léguant ainsi à Trinidad un héritage musical unique.
Un cours à la Casa de la Cultura, en vue d’une représentation prévue pour la fin de semaine.
À Cuba, on commence l’apprentissage de la danse vers 10 ans. Les meilleurs élèves se voient offrir la possibilité de poursuivre leurs études dans des écoles subventionnées par l’État. Une place au sein d’un des ballets nationaux et régionaux garantit un salaire plus élevé que la norme nationale et la chance de voyager à l’étranger. Accéder à ce statut a toutefois un prix, car il faut des années de travail acharné pour atteindre des niveaux toujours plus difficiles et compétitifs.
Des danseurs répètent à La Plaza pour une représentation qui aura lieu le soir même.
La Casa de la Musica est le centre culturel et géographique de Trinidad. Située à côté de la cathédrale, sur la Plaza Mayor, au milieu des ruines d’une vieille demeure, la Casa organise des concerts et de grandes fêtes pour les habitants, deux fois par mois.
Tard dans la nuit, un couple rentre de la Plaza de la Musica.
Des pavés, une lumière solitaire… le bonheur après la salsa. Trinidad offre nombre de moments sublimes à ses habitants et visiteurs. Les voitures personnelles n’étant pas autorisées dans les rues anciennes de la ville, seul le bruit d’un taxi, d’une conversation ou du cliquetis des sabots d’un âne vient briser le silence de la nuit.
Le piano est un instrument populaire dans les maisons de l’ancienne partie de Trinidad.
Maria, 12 ans, rêve de pouvoir intégrer la prestigieuse École nationale de ballet à La Havane, le plus grand établissement du genre au monde. Il y a cinq ans, Mercedes, sa mère, a ainsi quitté son poste de chef de médecine interne à l’hôpital régional pour ouvrir une Casa Particular. Avec les deux chambres qu’elle loue aux touristes pendant la haute saison, elle gagne jusqu’à 500 $ par mois, soit plus de 30 fois son salaire de médecin.
Un coq se pavane dans une rue de la ville.
Dans cette région, le rythme de vie est assez lent en raison du taux de chômage élevé. Ceux qui ont la chance de travailler évoluent dans les domaines du tourisme, de la danse, de la musique ou encore de l’industrie de transformation du tabac. Les autres tentent de passer le temps en s’assoyant sur les trottoirs ou aux fenêtres de leur maison pour discuter avec les passants. Certains s’occupent aussi en faisant des paris sur les combats de coqs, une activité courante, même si le jeu est illégal depuis la chute de Batista et l’exode de la mafia.
La salsa est un mode d’expression fondamental de la culture cubaine.
Les esclaves, à qui l’on interdisait de pratiquer leur religion, trouvèrent dans la musique et la danse le moyen de conserver leur culte à l’insu des colons espagnols. Les rythmes transformèrent la musique locale pour donner naissance à la tradition afro-cubaine. Les Cubains disent que la salsa est comme une sauce, un mélange de cultures diverses, tout comme la culture cubaine.
Le groupe Aché Curé donne une représentation à la Plaza de la Musica.
Yudel Paredes Vasquez est professeur de danse et organise les cours du soir à la Casa de la Musica : « La salsa cubaine laisse plus de place à l’improvisation de la musique et des percussions, ce qui permet aux danseurs de suivre leur inspiration et d’être plus libres dans leurs pas. »
« Quand vous dansez la salsa, vous n’êtes pas un couple, explique Yudel. Juste deux danseurs. »
À la Casa de la Musica, lorsque le concert commence, vers 23 heures, le ciel de Trinidad est parsemé d’étoiles et le square est rempli de danseurs, de serveurs et d’invités. La danse prend le pas sur tout le reste. On ne s’interrompt que pour siroter un verre du puissant rhum local, Anejo Blanco ou Negro. Intense, expressive et sensuelle, la danse n’est pas érotique, malgré la proximité des danseurs.
Freddy et Nocheli, deux amis d’enfance, montrent un pas de salsa à leur élève, Antonio, un Madrilène âgé de 76 ans.
À La Havane, le ministère de la Culture vend des forfaits de salsa dans des studios de danse contrôlés par l’État. Mais à Trinidad, les habitants sont parvenus à créer leurs propres petites entreprises grâce aux cours de danse qu’ils offrent aux touristes.
En plus de donner des cours privés, Freddy se produit régulièrement dans les clubs de la ville avec une troupe de musiciens et de danseurs.
Freddy, 23 ans, se dit satisfait de la tournure que prend sa carrière. « Un danseur en veut toujours plus. Je veux être important, je veux être danseur professionnel, mais je compte aussi sur la danse pour manger et survivre. » Nocheli, elle, vise la gloire : « En tant qu’artiste, on peut voyager dans le monde entier pour danser, c’est ce que je veux faire », explique-t-elle.
Carlos joue des percussions depuis l'âge de trois ans.
Carlos a été formé pour être un fundamento, un percussionniste dans les Santerias, des cérémonies religieuses. « Jouer dans un groupe, c’est un art, dit-il. Mais jouer pour un Orisha (saint), c’est différent. C’est la même technique, mais avec une intensité différente. Ça demande beaucoup plus d’efforts. »
Honorant une tradition vieille de quatre générations, Eduardo joue des percussions dans des groupes de salsa classique.
Eduardo joue chaque jour dans les clubs de la ville. Selon les soirs, il lui arrive de ne gagner qu’un dollar pour sa prestation. Puriste, il considère le reggaeton, une danse à la mode, comme anti-cubain. Né à Trinidad, Eduardo a une femme, trois enfants et peu d’argent. « Au bout du compte, c’est une passion, sinon on ne le ferait pas », dit-il.
Alejandro danse avec des touristes pour gagner des pourboires au restaurant La Trova.
Alejandro, après avoir dansé toute sa vie, est maintenant retraité. Il passe désormais ses soirées dans l’un des plus importants lieux de rencontre de Trinidad : La Trova. Toute personne venant à Trinidad pour apprendre à danser finit inévitablement par s’y retrouver. Plus intime que la Plaza de la Musica, l’endroit privilégie également les traditions musicales locales.
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