Une leçon de géographie, d’abord. La ville de Palm Beach est située sur une île étroite, bordée à l’est par l’immensité turquoise de l’océan Atlantique. À l’ouest, trois ponts levants la relient à la municipalité de West Palm Beach, sur le continent. Si c’est à Palm Beach qu’on retrouve les chics villas et les enseignes haut de gamme qui attirent l’élite américaine, West Palm Beach constitue un port d’attache plus que convenable pour le visiteur – qui appréciera sûrement de réduire de moitié la facture de son hébergement. Passer d’une rive à l’autre n’est l’affaire que de quelques minutes de marche – mais mieux vaut vérifier l’horaire de l’ouverture des ponts (levants, on le rappelle !) avant de quitter son hôtel. À intervalles réguliers, la route s’élève vers le ciel, atteignant une verticalité presque parfaite pour laisser passer d’imposants yachts – un singulier spectacle.
Tout près du Flagler Memorial Bridge, côté West Palm Beach, s’élève sur huit étages l’hôtel boutique The Ben. Inauguré en 2020, l’endroit vaut à lui seul le détour. The Ben rend hommage à une autrice américaine du 19e siècle, Byrd Spillman Dewey, qui s’est fait bâtir un domaine – le Ben Trovato, comme dans l’expression italienne « se non è vero, è ben trovato » (ce n’est peut-être pas vrai, mais c’est une bonne histoire) – dans une Floride encore à l’état sauvage, par goût pour l’aventure. « C’était une véritable pionnière, en plus d’être la pourvoyeuse de la famille », souligne Thom Stewart, le directeur des ventes et du marketing de l’hôtel.
Partout, des éléments de décoration insolites rappellent l’imaginaire de la muse: une tête d’alligator cuivrée émergeant du mur, des balançoires en rotin jouxtant une bibliothèque et quantité de plantes luxuriantes, dans un raffinement exotique qui ne dépayserait pas les personnages de la série The White Lotus.
À l’heure de l’apéro, touristes et gens du coin se retrouvent sur le toit, pour piquer une tête dans la piscine à l’eau salée ou siroter un cocktail au Spruzzo, un bar-restaurant très branché. Attention de ne pas oublier ses verres fumés. Pas que les rayons du soleil soient vraiment ardents, puisqu’un superbe ouvrage rappelant un nénuphar protège les clients. C’est plutôt en raison du panorama: la marina en contrebas et, à perte de vue, ses yachts, étincelants de blancheur. Pas de doute: la richesse est bien plus brillante au soleil, n’en déplaise à Aznavour.
Soyons honnêtes, pareille abondance suscite la curiosité. Comment la satisfaire? S’il est de notoriété publique que l’acteur Sylvester Stallone a fait l’acquisition d’une propriété de 35 millions de dollars US à Palm Beach, on se voit mal cogner à la porte de Rocky en personne.
Quant à Mar-a-Lago, le palace de 128 pièces de Donald Trump, il ne faut même pas y penser. En roulant (pas de trottoir ici) le long du club de golf ultrasélect, on aperçoit bien le bâtiment rococo et quelques drapeaux étoilés flottant au vent. Mais pas question de s’arrêter pour tenter d'apercevoir le propriétaire par-dessus le muret. « Les services secrets photographient chaque véhicule qui passe. Se stationner entraîne immédiatement un interrogatoire », me sermonne mon chauffeur Uber en pointant un mirador.
Soit. Il faudra donc trouver d’autres façons d’examiner de près la vie des gens riches et célèbres.
Direction le Flagler Museum. Ce musée (26 $ US par adulte) est en fait l’ancienne résidence hiverale du richissime industriel Henry Flagler, né en 1830. Fils d’un humble pasteur, il fera fortune dans les céréales, deviendra l’associé du milliardaire John D. Rockefeller et se hissera à la tête d’un empire ferroviaire qui lui permettra de défricher la péninsule floridienne. C’est « l’homme à qui l’on doit la Floride moderne », insiste David Carson, directeur des relations publiques du musée.
De cette maison de Palm Beach, cadeau de noces de Flagler à sa troisième épouse, le New York Herald dira en 1902 qu’elle est « plus merveilleuse que n’importe quel palais d’Europe ». En d’autres mots: elle en jette. Enfilade de salons somptueux, colonnes et dorures à qui mieux mieux, salle de bal évoquant la galerie des Glaces de Versailles, chandeliers de cristal Baccarat… tout est opulence. Et dire que l’épouse ne désirait qu’un « cottage blanc au bord de l’eau » ! La visite guidée de ce joyau magnifiquement préservé est fascinante et permet d’en apprendre plus sur le Gilded Age, cette époque bénie des États-Unis de la fin du 19e siècle.
Une autre façon de se frotter à la richesse de Palm Beach sans trop de dommages financiers est de monter à bord du Hakuna Matata, le catamaran de l'entreprise locale Visit Palm Beach. Au coucher du soleil, Dylan, jeune capitaine au nez percé, transporte une vingtaine de passagers le long de l’île (45 $ US par adulte, durée: deux heures). L’ambiance est festive et pas du tout guindée. Après tout, la maxime swahilie peinte sur la coque du bateau signifie « pas de soucis» et il y a un bar sur l’embarcation, ce qui ne nuit pas.
Le capitaine Dylan agrémente la croisière d’informations croustillantes. On admire donc de visu la modeste demeure de M. Stallone. Mais le plus impressionnant est à venir… « Je vous laisse, c’est ici que j’ai garé mon yacht », blague notre capitaine en désignant l’Infinity. Plus imposant navire de la marina, ce rutilant mastodonte des mers est évalué à un prix dépassant les 300 millions de dollars US, précise Dylan. De quoi clouer le bec à tous les passagers… avant que l’annonce du last call ne les ramène à la réalité.
Le portefeuille s’affole à proximité de tant de richesse ? C’est signe qu’il est temps de mettre le cap sur la plage. La nature, elle, ne coûte rien (ou presque). Et le choix est vaste. C’est le Sunshine State, après tout ! Eau translucide, palmiers vertigineux… on se croirait dans une carte postale. Voici trois suggestions.
Oui, oui, on a bien annoncé un séjour économique à la prestigieuse Palm Beach. Et il est vrai qu’on y trouve encore quantité d’activités à prix raisonnable. Entre autres, la réserve faunique Arthur R. Marshall Loxahatchee (10 $ US par jour, gratuit si on arrive à pied ou à vélo), qui comprend la partie nord des Everglades. Ou le très respectable musée d’art Norton (18 $ US par adulte, 10 $ US lors des soirées Art After Dark du vendredi), auquel on peut consacrer une journée entière.
Mais un séjour à Palm Beach se doit d’inclure un match de polo. S’il faut déroger à la rigueur budgétaire, que cela soit pour cette expérience, qu’on risque peu de revivre.
Car cette discipline, et plus largement les sports équestres, font partie de l’ADN de la région. Tout se passe à Wellington, ville voisine et mecque américaine de ce sport. Nombre de célébrités (dont Bill Gates, rien de moins) ont emménagé tout près afin de permettre à leur progéniture de s’adonner au « jeu des rois », à cheval (pardon) entre le soccer, le croquet et l’équitation.
Mais le temps est venu de parfaire son éducation ! L’occasion est belle: tous les dimanches de janvier à avril, le National Polo Center présente des matchs. Très courue, la formule brunch permet d’en avoir plein la vue – et l’estomac.
On se présente à 14 heures dans ses plus beaux atours. Bien qu’il n’y ait pas de code vestimentaire officiel, on observe chez les dames une abondance de robes fleuries et de chapeaux de paille. Chez les messieurs, le pantalon beige et la chemise pastel sont de mise.
Et c’est là, entre une gorgée de Veuve Clicquot (commanditaire des brunchs) et une pyramide d’œufs mimosa, qu’on apprendra que la superficie d’un terrain de polo équivaut à celle de neuf terrains de football. Qu’un match comprend six périodes (appelées chukkers) de sept minutes et demie chacune. Et qu’un seul cavalier peut monter huit chevaux dans une seule joute.
On découvrira aussi avec amusement l’étonnante tradition du divot stomping: à la mi-temps, tous les charmants convives envahissent le terrain pour réparer du pied la pelouse malmenée par les sabots. L’exercice est plus ou moins efficace (mes talons aiguilles ont même empiré la situation), mais fait du très bon matériel pour Instagram.
D’accord, ce brunch hors du commun n’est pas donné (à partir de 280 $ US pour une table de deux). Mais le spectacle, sur le terrain comme aux abords du stade, vaut la folle dépense. Durant un après-midi, on goûtera finalement à la vie des privilégiés de ce monde. Promis, voilà qui devrait être la cerise sur le sundae d’un voyage à Palm Beach. Ou plutôt: le caviar sur l’œuf mimosa.
La journaliste était invitée par Discover the Palm Beaches, qui n'a eu aucun droit de regard sur ce reportage.
Marie Bernier est cheffe de pupitre au sein du site d'actualité pour enfants «Les As de l'info». Auparavant, elle a occupé le même poste chez «Châtelaine». Elle ne devait pas être trop désagréable car elle contribue occasionnellement au magazine comme pigiste. Détentrice d'un baccalauréat en sciences politiques, elle se passionne pour les sujets de société et les grands portraits. Certains de ses textes ont été nommés aux Prix du magazine canadien. Fait inusité: elle est déjà apparue (bien malgré elle) dans l'émission «Keeping Up with the Kardashians».