Société

Sortie de filles !

Par discrétion ou par crainte du rejet, les lesbiennes sont presque invisibles. En voici quelques-unes qui ont décidé de se montrer au grand jour dans l’espoir que leur geste aidera des jeunes à s’accepter.

Sourires, fous rires, cabrioles. Pao Ping s’est amusée comme une gamine pendant la séance photo. Mais elle n’enverra pas d’exemplaire de ce numéro de Châtelaine à Taïwan, où habite sa famille. Car même s’il y a près de 20 ans qu’elle a quitté son pays, elle craint encore un peu les conséquences… Elle ne savait pas qu’elle aimait les filles. Jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse de sa colocataire, il y a 14 ans. Un amour pour la vie. Les deux femmes élèvent leur fillette de cinq ans, conçue par insémination artificielle.

« Aujourd’hui, les gens vivent dans toutes sortes de familles, dit cette éducatrice en garderie. La mienne n’est pas si différente des autres. Comme tout le monde, nous avons des hauts et des bas. Avec, à la base, la même chose : l’amour. » Reste que Pao Ping n’avait jamais dit à sa coiffeuse ou aux parents des enfants qui fréquentent son CPE qu’elle vivait avec une femme. « Maintenant, à cause de cette photo, tout le monde va le savoir, poursuit-elle. Et si ça peut aider les jeunes, tant mieux ! »

C’est le leitmotiv, LA raison qui a amené toutes ces femmes à s’afficher, souvent pour la première fois. Regardez-les. Elles ont entre 19 et 56 ans. Elles sont étudiantes, artistes, professionnelles, employées. Elles viennent de partout au Québec et d’ailleurs. Elles enseignent à nos enfants, nous côtoient tous les jours au bureau ou à l’usine, sont dans les médias, parmi nos amies, nos clientes, nos commerçantes. Bref, les femmes qui préfèrent les femmes sont partout dans nos vies. Pourtant, elles sont presque invisibles. Se cachent-elles ? Pas vraiment… mais un peu quand même. Pourquoi ?

« Jusqu’en 1969, l’homosexualité était un crime au Canada, rappelle la psychologue Françoise Susset, spécialiste du sujet. Et c’était une maladie mentale jusqu’en 1973. Peut-on blâmer les gens, surtout les plus âgés, d’avoir des réticences à s’afficher ? » Et même pour les plus jeunes, les préjugés étant bien vivants, surtout à l’école secondaire, ce n’est pas toujours facile. Quelques heures avant son rendez-vous au studio de photo, Michelle (nom fictif) a téléphoné. En panique. « Je voulais le faire, nous a-t-elle dit. Mais j’angoisse depuis deux jours. Je pense que je ne suis pas capable. Je ne suis pas prête ! »

 

Peu de temps après, Ariane Hovington, qui avait décidé de poser de dos, a changé d’avis. « J’avais peur de perdre ma crédi­bilité auprès de mes clients », explique cette gestionnaire en ressources humaines au gouvernement fédéral.Elle craignait aussi de revivre de la haine. Elle nous a parlé de sa voisine, qui avait hurlé des injures en les voyant s’embrasser, sa copine et elle. Allant jusqu’à lever son chandail en criant : « Vous aimez ça des seins ? Ben, en v’là ! » Après mûre réflexion, Ariane a pourtant conclu que se cacher n’était pas la solution. « Il faut prendre notre place. Car personne ne nous la donnera », a-t-elle affirmé avant d’offrir son plus beau sourire à l’appareil photo.

Dix-huit femmes. Dix-huit histoires. Il y a Vanessa Dorvily, une jolie fille d’origine haïtienne, féminine jusqu’au bout des doigts. Elle a rompu avec son passé pour vivre (enfin) son lesbianisme – elle était jusque-là membre des Témoins de Jéhovah, confession qui condamne l’homosexualité.

Il y a Emma Goyette, 19 ans, qui a attendu d’avoir une blonde pour en parler à sa famille. « J’ai quelque chose à vous dire parce c’est important pour moi et que je vous aime… Je suis lesbienne », a-t-elle dit à ses parents avant de fondre en larmes.

Il y a Lou Lamontagne, qui a fondé Les Amazones, un club de plein air lesbien comptant environ 200 membres. Dix-huit femmes. Dix-huit histoires. Mais, pour chacune, le sentiment de faire quelque chose d’important. Et d’utile. « Je ne le fais pas pour moi. Je le fais pour les jeunes », résume Stéphanie Moffatt. Et elle ajoute, blagueuse : « Petite, j’imaginais mon avenir avec un mari, des enfants, un jeep, un chalet et un chien. Jusqu’au jour où j’ai réalisé que je n’aimais ni les chiens, ni les maris ! » La jeune femme s’est construit une existence que plusieurs lui envient. Elle forme, avec son amoureuse et les enfants de cette dernière, une nouvelle famille heureuse. Avocate de formation et gérante d’artiste de profession, elle pilote, entre Paris et Mont­réal, une carrière palpitante. Bref, « sortir du placard » ne lui apporte rien personnellement.

« Si j’avais eu ça dans mon temps, ça aurait changé beaucoup de choses », dit Nathalie Théorêt en regardant les pre­mières ébauches du magazine. Nathalie est pourtant une femme bien dans sa peau qui ne fait aucun mystère de sa vie privée. Préposée aux bénéficiaires dans une résidence pour personnes âgées le jour, elle mène le soir une brillante carrière de Drag King ! Elle chante des parodies d’airs populaires. Couronne dorée sur la tête, manteau d’hermine et… bouc au menton – sa recette infaillible de barbe : une tresse artificielle émincée et fixée, presque un poil à la fois, avec de la colle à faux cils. Le résultat est saisissant !

Difficile de croire qu’il y a 20 ans cette femme avait décidé qu’elle se suiciderait si ses parents réagissaient mal à son coming out. La discrétion vient de la crainte d’être rejetée. Mais aussi, du fait que, une fois assumée, l’orientation sexuelle des lesbiennes détermine moins leur vie que, par exemple, celle des hommes gais.

« Je ne cours pas les bars du Village gai, raconte l’une d’elles. La fin de semaine, je fais mon épicerie et mon ménage, puis je vais au cinéma, comme tout le monde ! » D’autant qu’une lesbienne sur quatre a des enfants (voir Deux femmes et un couffin, page 58). « Pour moi, dans ma vie de tous les jours, le fait d’être lesbienne n’est pas plus important que le fait d’être mère ou psychiatre, dit Karine Igartua, psychiatre au Centre d’orientation sexuelle de l’Université McGill. Ce n’est qu’une facette parmi d’autres de mon identité. »

L’animatrice Monique Giroux est (avec la politicienne Agnès Maltais) l’une des rares Québécoises à parler ouvertement de son homosexualité. « Je ne suis jamais allée dans le placard. Je ne rentre pas dedans ! » lance-t-elle, moqueuse. En 2006, l’animatrice Christiane Charette lui a posé LA question : elle a répondu la vérité, comme si de rien n’était. Elle est aujourd’hui porte-parole de Gai Écoute, qui faisait des pieds et des mains pour trouver une tête d’affiche lesbienne. « Être lesbienne n’est pas un choix, affirme-t-elle. Le seul choix qu’on a, c’est de le vivre ou non. »

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