« Ma fille m’a sauvé la vie. » – Josée
Maïka est née le 14 mars 2001. « Lorsque les médecins ont prononcé le mot trisomie, j’ai eu l’impression de tomber en bas du 40e étage, raconte la maman, Josée Lemay. Nous étions tous là, figés autour du berceau, mes parents, mon conjoint et moi. L’obstétricien a fini par dire : « Est-ce que quelqu’un veut prendre le bébé dans ses bras ? »
« Personne n’a bougé, se souvient Josée. Alors, je l’ai prise. Quoi qu’il arrive, elle était ma petite fille. »
Josée Lemay, qui avait seulement 20 ans, n’avait pas passé d’amniocentèse. Peu de temps après la naissance de Maïka, le père, perturbé par le diagnostic, sombre dans la dépression. « Pour lui, la déficience intellectuelle était très difficile à accepter », confie Josée. Comme 80 % des parents d’enfants trisomiques, ils finissent par se séparer. « Heureusement, depuis que nous partageons la garde de l’enfant, il a développé des liens très forts avec sa fille. Il l’adore. »
Mais la vie quotidienne demande des nerfs d’acier. Atteinte d’une malformation cardiaque – un problème de santé fréquent chez les trisomiques –, Maïka est opérée avec succès à cinq mois. Ce n’était que le début d’une longue course à obstacles… « Les petits trisomiques apprennent plus lentement, dit Josée en soupirant. Je passe mon temps à répéter les mêmes choses. » À neuf ans, Maïka sort graduellement de la phase du « non », étape que les enfants traversent normalement vers deux ans. « Elle ne veut toujours pas se laver et, lorsque c’est l’heure de partir, il faut encore lui courir après ! » s’exclame Josée, mi-rieuse, mi-découragée.
Maïka, qui l’entend, vient se blottir contre sa mère et la serre dans ses bras. Menue pour son âge, elle a un joli visage aux traits délicats et de longs cheveux blonds. Elle n’articule pas clairement, mais semble dotée d’une volonté de fer. « Ma fille m’a en quelque sorte sauvé la vie, avouera plus tard Josée. Il y a cinq ans, ma mère s’est suicidée. J’ai failli sombrer, moi aussi, mais… la petite était là. »
Maïka m’entraîne à l’autre bout de la maison pour me présenter ses chats. « Flatte-les », m’ordonne-t-elle, lorsque nous les découvrons, bien cachés au fond d’un placard. « Toutes les éducatrices le disent, elle a une forte personnalité et un sale caractère, ajoute sa mère en riant. Elle ne suit pas les consignes à l’école. Le plus difficile, ce sont ses problèmes de comportement. Je redoute l’adolescence… »
Josée croit que sa fille deviendra un jour suffisamment autonome pour vivre en appartement. « Nous resterons toujours très proches, mais je veux qu’elle ait une vie à elle. »
« Nous avons décidé de la garder. » – Julie
Julie a 35 ans à sa deuxième grossesse. Son médecin lui suggère d’investir dans un test de dépistage sanguin et une échographie de clarté nucale, tous deux sans danger pour le bébé (voir encadré À propos des tests…). Si l’analyse du sang ne révèle rien d’anormal, l’échographie, elle, n’arrive malheureusement pas aux mêmes conclusions.
Pour tirer cela au clair, Julie passe une amniocentèse, un test fiable à 99 % mais qui comporte un faible risque de provoquer un avortement. Cette fois, plus de doute possible : l’enfant à naître est trisomique. « J’imaginais un ado, la bouche ouverte, la langue pendante, raconte Julie. Il n’était pas question que je poursuive cette grossesse. Le médecin nous a néanmoins suggéré de prendre quelques jours pour y penser. »
Survient alors un deuxième choc : son conjoint n’est pas certain de souhaiter un avortement. « Quoi ! s’exclame Julie, stupéfaite. Eh bien, moi, je ne veux pas d’un enfant trisomique ! »
Constatant l’impasse, le médecin leur propose une nouvelle échographie pour voir si le fœtus ne souffrirait pas d’une malformation cardiaque. Chez certains bébés, celle-ci compromet les chances de survie. Mais le fœtus a un bon petit cœur. « Pas de chance », pense Julie, amèrement.
Plus les jours passent, plus elle se demande si son couple va survivre à cette épreuve. « Comble de malheur, j’ai commencé à sentir mon bébé bouger. Ensuite, on a appris que c’était une fille. J’en avais toujours voulu une… »
Julie est de plus en plus confuse. On lui conseille de rencontrer d’autres parents. Une conversation avec le père d’une enfant trisomique sera déterminante. « Pendant la grossesse, dit-elle, il était, lui aussi, hanté par l’image d’une ado à l’air débile. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Aujourd’hui, sa fille a 14 ans. Même si elle a un problème de langage, elle pratique des sports, va à l’école, fait ses devoirs. Son frère aîné, qui n’est pas trisomique, leur cause beaucoup plus de soucis. »
Silence. « J’ai compris que même les enfants “normaux” ne viennent pas au monde avec une garantie, poursuit Julie. C’est peut-être mon autre, qui n’est pas trisomique, qui aura des problèmes plus tard. » Finalement, Sofia est née le 19 août 2008. Elle est adorable avec sa robe bleu marine et sa petite couette blonde retenue par une barrette en forme de papillon. Elle sourit et babille comme pour se mêler à la conversation. « On est fous d’elle, conclut Julie. Quand je pense qu’on aurait pu ne pas la garder… »
Situation actuelle. Un seul test gratuit : l’amniocentèse, réservé aux plus de 35 ans. Avant cet âge, le risque de porter un enfant trisomique est plus faible que celui de faire une fausse couche à cause du test. Nouveauté. Un programme pilote de dépistage gratuit sera offert à toutes les Québécoises dès ce printemps. Débat. Le Regroupement pour la trisomie 21 craint qu’un diagnostic ne mène automatiquement à l’avortement. « C’est vrai dans 9 cas sur 10 », dit Corinne Leclercq, présidente de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec. « Souvent, celles qui veulent garder leur bébé quoi qu’il arrive ne passent pas ce test. » Celui-ci n’est prescrit que sur demande.
« J’ai voulu t’abandonner » – Éric
Étienne vient au monde en pleine nuit dans une maison de naissance. Épuisés, ses parents, Éric Deschênes et Annick Girard, ne remarquent rien d’anormal. Le lendemain, la sage-femme vient leur rendre visite. Elle a noté certains détails qui évoquent la trisomie : les petites oreilles rondes, le gros orteil écarté, les doigts courts… « J’étais effondré, avoue Éric. Ma blonde, elle, refusait d’y croire. »
Annick avait subi un test de dépistage sanguin pendant sa grossesse, mais ce test n’est fiable qu’à 70 %. Éric et Annick étaient en quelque sorte passés entre les mailles du filet. Malgré des résultats normaux, leur enfant était trisomique.
En plus du choc, ils éprouvent un sentiment d’échec. « Ma conjointe se demandait pourquoi elle n’avait pas réussi à avoir un enfant normal », confie Éric. Celui-ci, cinéaste, exprime son propre malaise dans un petit film de quatre minutes, Aléa. Un film dédié à son bébé, dans lequel il ose formuler l’indicible : « J’ai pensé à fuir, j’ai voulu t’abandonner. » Lui, qui avait toujours voulu être père, ne ressentait aucun attachement pour son fils. « On a des rêves pour nos enfants, dit-il. Avec la trisomie, on doit faire des deuils. Étienne a commencé à marcher à trois ans et demi. À six ans, il porte encore des couches et ne prononce que quelques mots : papa, maman, pâtes… »
Pour lutter contre les retards de développement, les enfants trisomiques ont besoin de stimulation. C’est donc la ronde perpétuelle des rendez-vous – physiothérapie, ergothérapie, orthophonie – pour qu’ils apprennent à marcher, à parler et à acquérir une certaine autonomie. « Et pour obtenir ces services, il faut se battre », témoigne Éric. Heureusement, sa famille et celle d’Annick soutiennent le couple. Pour être mieux outillés, ils se sont aussi tournés vers des groupes de parents. Annick est devenue présidente du conseil d’administration du Regroupement pour la trisomie 21. Elle a mis sur pied La course trois, 2, 1, go ! qui sert à amasser des fonds afin d’aider les familles des enfants touchés par le syndrome de Down.
« Ce n’est pas vrai que la trisomie, ce n’est rien, dit Éric. Je ne jugerai jamais les parents qui décident de ne pas garder leur bébé trisomique parce que c’est au-dessus de leurs forces. »
Il y a quatre ans, le couple a eu un autre enfant, Milan, qui se développe normalement. « Quand le grand fait des bêtises, c’est le petit qui prend sa défense », confie Éric.
Le film Aléa se termine bien. Sur les dernières images, on voit la frimousse d’Étienne qui sourit à son père. Un sourire lumineux rempli d’amour. Et on entend Éric dire en voix hors-champ : « Je t’ai finalement trouvé. J’ai d’abord cru que tu avais besoin de moi. Mais, finalement, c’est moi qui ai besoin de toi… »
À propos des tests…
Le test de dépistage sanguin, ou test de marqueurs sériques, est inoffensif pour le fœtus ; il n’est fiable qu’à 70 %. Un deuxième test peut être requis.
Le deuxième test de dépistage est la mesure de clarté nucale par échographie, grâce à laquelle on évalue l’épaisseur du pli du cou du fœtus (plus la peau est épaisse, plus le fœtus risque d’être atteint de trisomie). Également sans risque pour le bébé.
Combinés, test sanguin et échographie sont précis à 95 %. S’ils concluent tous deux à la présence d’anomalies génétiques, on procède alors à une amniocentèse, qui demeure la meilleure façon de confirmer un diagnostic de trisomie. Contrairement aux deux premiers tests, l’amniocentèse comporte un risque pour le fœtus car, en insérant une aiguille dans le liquide amniotique pour y prélever des cellules à analyser, on peut provoquer une fausse couche.
Coûts
Actuellement, les frais liés à l’amniocentèse sont assumés par la Régie de l’assurance maladie du Québec.
Le test sanguin est déjà offert sans frais dans plusieurs provinces du Canada. Dans le secteur privé, on peut l’obtenir pour quelque 225 $ alors qu’une échographie de clarté nucale coûte environ 130 $.