Anencéphalie, cardiopathie, trisomie… Que faire quand bébé présente une sévère anomalie dans le ventre de maman ? Le mettre au monde ou pas ? Une décision lourde de conséquences, surtout quand la grossesse est avancée.
On ne s’y attend jamais. Une grossesse qui vire au drame à l’échographie parce que bébé souffre d’un sérieux défaut de fabrication. Sera-t-il normal, docteur ? Pourra-t-il parler ? Marcher ? Aller à l’école ? De nombreux futurs parents composent avec ces questions.
La faute (!) aux progrès de la médecine. Les tests prénataux sont devenus si performants qu’ils permettent de détecter avec précision un large éventail d’anomalies fœtales aux noms rébarbatifs : hydronéphrose, hygroma kystique, anencéphalie, cardiopathie, syndrome de Turner, agénésie du corps calleux, spina bifida, trisomie 13, 18 ou 21…
La plupart sont visibles au deuxième trimestre de grossesse, parfois même au premier. Mais certains se révèlent uniquement au troisième.
L’embêtant, c’est qu’il est impossible de prédire avec justesse quels seront les handicaps de bébé à la naissance – dans le cas d’un hygroma kystique (une masse qui se forme au cou), par exemple, la moitié des enfants naîtront normaux. Mais compte tenu de la liste interminable de pathologies génétiques qui y sont associées, la plupart des femmes ne prennent pas le risque de mettre l’enfant au monde. Seulement au CHU Sainte-Justine, quelque 200 interruptions médicales de grossesse sont pratiquées annuellement, dont une vingtaine au troisième trimestre, pour toutes sortes d’anomalies.
L’obstétricien François Audibert traite plusieurs de ces cas. « Il est beaucoup plus traumatisant pour une femme d’interrompre sa grossesse à 22 semaines qu’à 12. Nous déployons d’importants efforts pour rendre le diagnostic prénatal plus précoce », dit-il.
Tout juste avant de me recevoir dans son bureau de Sainte-Justine, le spécialiste en diagnostic prénatal venait de passer deux heures à discuter avec une patiente enceinte de 23 semaines et demie dont le bébé était porteur d’une malformation cardiaque grave. « Je rencontre des gens qui souffrent. On a parlé des possibilités d’interruption de grossesse. Je fais ça tous les jours… »
Qu’importe la décision – garder bébé ou pas –, elle change la vie des parents. Deux couples racontent comment la leur a basculé. Pour le meilleur et pour le pire.
Garder bébé
Ne pas garder bébé
Adoucir la vie et la mort
Le diagnostic est tombé comme un couperet : trisomie 21. Pour Dominique et Loïc, c’est comme si le ciel leur était tombé sur la tête. « L’hôpital nous a appelés à 17 h 30. Je me suis effondrée par terre et j’ai pleuré, se souvient la jeune femme de 29 ans. Loïc essayait de comprendre ce que disait la généticienne au bout du fil. »
Dominique était alors enceinte de 23 semaines. D’une petite fille qui, par un cruel hasard de la nature, avait un chromosome 21 en trop. Une anomalie génétique qui touche environ un fœtus sur 800.
Le lendemain, à l’hôpital, on leur a donné l’heure juste. L’enfant pourrait accomplir plein de choses, mais aurait une déficience intellectuelle. Son apprentissage serait plus long.
Le couple pouvait aussi choisir de mettre un point final à la grossesse.
Ils avaient quelques jours pour décider. Après mûre réflexion, ils ont tranché. Élia verrait le jour. « À cinq mois, elle était déjà très présente. Je la sentais bouger, son nom était choisi et sa chambre toute meublée, dit Dominique. Dès que j’évoquais la possibilité de l’avortement, elle me donnait des coups, comme pour dire : “Maman, je suis là, je veux vivre !” »
L’idée de couper court à la grossesse a pourtant effleuré l’esprit de Loïc. « Ma tête me répétait : prends la décision facile, ça ne te tente pas de t’embarquer là-dedans. Mais dans mon cœur, je savais que ce n’était pas la meilleure solution. »
À la seconde où ils ont vu la petite frimousse de leur fille, ils l’ont trouvée belle. [adspot]
Aujourd’hui, Élia a trois ans et deux lulus. Une petite boule d’amour haute comme trois pommes qui distribue des câlins et sourit tout le temps. Pour se faire comprendre, elle gazouille et utilise le langage des signes.
« Son développement est plus lent, observe Dominique. On le voit déjà, à la garderie. Elle fait partie du groupe des plus jeunes. Mais chaque chose qu’elle accomplit est une grande victoire. »
Physiothérapie, ergothérapie, orthophonie, hyppothérapie (de l’ergo avec un cheval)… Les rendez-vous pour stimuler la petite se multiplient – parfois jusqu’à six par semaine. Bonjour la conciliation travail-famille ! « On s’organise. Presque toutes nos journées de congé y passent, reconnaît Dominique. J’ai toujours peur qu’au travail on me dise que ça ne marche plus. »
En fait, ce n’est pas la trisomie de Élia qui pose problème aux jeunes parents. C’est toute la logistique autour. Et la méconnaissance de la population.
« La trisomie, on en entend très peu parler. Ça peut faire peur, dit Loïc. Avoir su que Léa serait en aussi bonne santé, je ne me serais jamais posé de questions. Mais on ne peut pas prédire si on aura affaire à un cas lourd ou léger. »
C’est ce qui explique pourquoi, dans 90 % des cas, devant un diagnostic de trisomie 21, les gens optent pour l’interruption de grossesse. Au Regroupement pour la trisomie 21, parmi les six familles présentes à la rencontre des nouveaux parents, Dominique et Loïc étaient les seuls à avoir reçu le résultat avant la naissance.
Le couple compte bien lui faire des frères et sœurs. « Avant Élia, on voulait plusieurs enfants. Ça n’a rien changé, affirme Dominique. Grâce à elle, on a appris beaucoup sur nous. On vit dans le présent, on apprécie chaque instant. « Ça nous a rapprochés en tant que couple, ajoute Loïc. Ça nous a rendus plus forts. »
C’est le lendemain de l’anniversaire d’Antoine, son conjoint, que Michèle a appris qu’elle serait de nouveau maman. Les enfants allaient avoir deux ans d’intervalle. La grossesse allait bon train et le test de dépistage prénatal semblait normal.
C’est à l’échographie de 20 semaines que tout a déraillé.
La technicienne n’en finissait plus d’analyser les résultats. Michèle sentait la peur l’envahir. « J’étais très nerveuse, je n’arrêtais pas de lui demander ce qu’elle voyait. Je sentais bien que ça n’allait pas », se souvient la maman de 32 ans. Puis la gynéco est arrivée. Le fœtus, lui dit-elle, avait des problèmes aux reins, les mains fermées, l’arche du pied concave et une malformation au cervelet. Quatre marqueurs de la trisomie 18. Michèle s’est mise à paniquer. Elle en avait déjà discuté avec son mari : advenant le cas où le fœtus serait atteint de trisomie, ils ne le garderaient pas. « C’est facile à dire avant de le vivre », reconnaît aujourd’hui Michèle, en s’essuyant les yeux. La médecin a suggéré une amniocentèse sur-le-champ. « On était complètement anéantis. Je pensais à ma mère et à ma sœur aînée lourdement handicapée. »
Le couple a dû attendre cinq jours avant d’avoir les résultats. « Ç’a été abominable, dit Antoine. On se faisait un paquet de scénarios. On se demandait comment ça allait se passer. » Michèle gardait l’espoir que les médecins se soient trompés.
Étonnamment, le test F.I.S.H. (Fluorescent In Situ Hybridization), qui permet de détecter rapidement les trisomies 13, 18 et 21, était normal… La pire chose que le couple pouvait entendre ! « Si on nous avait dit : c’est une trisomie 13 ou 18, on aurait été fixés. Mais là, le fœtus présentait des anomalies, sans qu’on sache trop bien lesquelles, ni ce qui les causait. »
À 22 semaines, nouvelle échographie. Nouveaux résultats. Nouvelles malformations à l’écran : nanisme, tête en forme de fraise, phalanges trop courtes. Puis, la phrase qui tue : « Votre enfant ne sera jamais normal. »
Il fallait réagir vite. « Après 24 semaines, peu d’hôpitaux acceptent de faire l’interruption de grossesse, observe Antoine. Il aurait alors fallu se présenter devant un comité d’éthique, ce qu’on ne voulait pas. »
Le jour même, Michèle a rappelé la spécialiste en génétique. Son rendez-vous a été pris pour le lendemain, à 16 h. Elle a préparé sa petite valise. « Tout ce que je savais, c’est qu’il ne s’agissait ni d’une césarienne ni d’un curetage. J’allais accoucher, comme pour un bébé normal. Je pourrais le voir et le prendre si je voulais. On allait me donner un médicament pour déclencher mes contractions. »
L’intervention a eu lieu à l’Hôpital général juif, dans une chambre connue de l’ensemble du personnel. « On aurait dit une chambre de motel, située dans un no man’s land, entre la salle des naissances et celle des post-partum, lâche Antoine. La symbolique m’a frappé. » Et le manque de compassion aussi. « Les nouvelles infirmières ne savaient pas trop quoi faire. Le pire, c’est le médecin résident qui est entré en disant : “Bonjour, qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui ?” »
À la première dose de médicament, Michèle a ressenti une grosse crampe interminable. « J’avais mal, je ne savais plus comment me placer. » Au bout de 48 heures, le fœtus sortait enfin dans son placenta.
On l’a lavé et emmailloté, puis les parents l’ont pris dans leurs bras. « Il était tout petit, mais déjà tout formé. Ses yeux étaient fermés », dit Michèle dans un sanglot. Doucement, ils l’ont déshabillé. « Pendant une heure, on l’a bercé, embrassé, on lui a chanté des chansons. On l’a appelé Olivier… »
« Ça nous a permis de clore le chapitre », soutient Antoine.
Le plus dur, affirme Michèle, c’est d’arriver à l’hôpital avec une bedaine et de repartir avec une petite boîte… « Avant l’intervention, je savais que j’allais avoir de la peine, mais jamais je n’ai pensé que ce serait aussi souffrant. Quand je songe à mon bébé, je ressens un vide, je m’ennuie de lui, je l’aime. J’arrive à rationaliser avec le temps, mais je reste très émotive. »
À quelques reprises, Michèle a participé à un groupe de soutien en deuil périnatal. Pour la plupart, c’était leur première grossesse. « Certaines disaient : “Je ne sais pas si je suis vraiment une maman…” »
Heureusement, le couple a eu beaucoup d’appui de la part de la famille et des amis. Ils leur envoyaient des fleurs et des mots de sympathie. « Mais c’est dur de voir que la vie continue », soupire Michèle.
« Les gens ne savent pas trop quoi dire. Et pour certains, c’est complètement occulté », remarque Antoine.
Juste avant l’enterrement d’Olivier, les parents ont reçu les résultats de son caryotype : tétrasomie 9p. Toutes ses cellules étaient atteintes. L’enfant n’aurait probablement pas survécu.
« L’enterrement a été le dernier geste qu’on a pu faire pour notre bébé, la dernière grosse décision, conclut Michèle. On a accompagné notre petit poussin jusqu’à la fin. »
Chanson pour Olivier, sur un air de Céline Dion,
Les petits pieds de Léa
Couché au creux de mes mains
Un petit être si léger
Mais tellement, tellement pesant
Dans mon cœur de maman
Une nouvelle approche se fraie un chemin dans des hôpitaux d’ici et d’ailleurs : les soins palliatifs néonataux. Certains couples décident d’aller au bout de la grossesse, malgré la pathologie de l’enfant. À sa venue au monde, celui-ci reçoit des soins d’accompagnement et de confort pour adoucir sa vie. Et sa mort.
Au CHU Sainte-Justine, une équipe a mis en place tout un protocole – diagnostic, médicaments, ordonnance. Après un diagnostic in utero, c’est elle qu’on appelle en premier. « La mort d’un enfant c’est toujours atroce, mais ça peut l’être encore plus si ça se passe mal », soutient Nago Humbert, qui dirige depuis 13 ans l’Unité de soins palliatifs au CHU Sainte-Justine. « On chemine avec les parents, sans jamais juger leur choix. On leur montre qu’il existe une autre voie : donner quelques heures, quelques jours, voire quelques mois au petit patient. Mais on ne fait pas d’acharnement thérapeutique. Il s’agit de soulager l’enfant », ajoute le spécialiste en psychologie médicale.
Ni meilleure ni pire, cette possibilité ne s’applique cependant pas dans tous les cas. « Tout dépend du couple et de la pathologie du bébé, précise le Dr François Audibert, spécialiste en diagnostic prénatal. Cette voie reste marginale pour le moment. »