L'édito

Ne touchez pas à mes week-ends !

«Le vendredi soir, mes week-ends sont remplis de promesses. Ils se présentent comme une longue plage de possibles», écrit notre rédactrice en chef Johanne Lauzon. Mais entre le vendredi et le dimanche, la banalité prend trop souvent le dessus, constate-t-elle.

Le vendredi soir, mes week-ends sont remplis de promesses. Ils se présentent comme une longue plage de possibles. De soupers complices, de sorties nourrissantes… et de petites victoires de nature domestique (le robinet qui coule sera enfin réparé, les fleurs qui attendent d’être transplantées depuis mai seront en terre…).

 

Photo: iStock

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Seulement, je me retrouve souvent déçue le dimanche soir. Et le fichu robinet de la cuisine qui coule toujours.

Entre le vendredi et le dimanche, la banalité a pris le dessus. L’épicerie, la lessive, le ménage, les corvées autour de la maison et les rides de taxi gratis à mes enfants. Et c’est sans compter les courriels-en-attente-d’une-réponse qui me font sortir du lit aux aurores le samedi.

Tout ce que je peux échafauder comme rêves, des plus fous aux plus accessibles, s’écroule comme un château de cartes. On ne parle pas ici d’un aller-retour à Londres, mais d’une promenade au Jardin botanique ou de la visite d’une expo. Je cherche à rendre ces deux jours de congé mémorables pour ma famille – bonjour la pression! Une confidence: je ne suis pas à la hauteur. Ou rarement.

C’est que mes fins de semaine ne m’appartiennent plus. Et je ne suis pas la seule, ai-je constaté à la lecture du bouquin de l’auteure et journaliste torontoise Katrina Onstad, The Weekend Effect (HarperCollins).

«Travailler plus qu’il y a une décennie est la norme pour la plupart des employés, et ces appareils conçus pour nous faire gagner du temps ne font que nous en arracher davantage. Le week-end est devenu une extension de la semaine de travail, ce qui par définition signifie qu’il n’est plus un week-end», écrit-elle.

Les frontières entre boulot et «temps libre» s’effritent. La déception nous attend donc au tournant du samedi soir: la maison est un tel bazar qu’on n’a pas invité les amis…

Bien sûr, nous manions encore la moppe et le plumeau plus souvent que nos chums. Mais ce n’est pas tant une question de partage des tâches que d’attentes démesurées qu’on a envers nous-mêmes. Nous cherchons à distiller du merveilleux dans nos week-ends, à nous rendre tout entières disponibles à nos rejetons. Nous voulons ainsi nous excuser de notre manque de présence, émotionnelle ou physique, tout au long de la semaine, juge Katrina Onstad.

Quand les parents ont l’impression de ne pas passer assez de temps avec leurs enfants, ils sont plus anxieux ou plus tendus, avance le sociologue Scott Schieman de l’Université de Toronto, qui s’intéresse à la conciliation travail-famille dans le cadre d’une étude échelonnée sur plusieurs années. «Il y a une certaine idée nostalgique autour des fins de semaine, qui devraient rester protégées», a-t-il dit à la journaliste.

Pourquoi toujours cette peur de ne pas en faire assez? L’entrée massive des femmes sur le marché du travail au cours des 40 dernières années aurait pu se traduire par une chute du nombre d’heures passées avec les enfants. Or, il n’en est rien, selon de récentes recherches menées à l’Université du Maryland. Les mères d’aujourd’hui sont aussi présentes que celles des années 1970, même si à l’époque seulement une fraction d’entre elles travaillaient à temps plein.

Alors, où trouvons-nous ces heures? Nous grignotons sur le temps de sommeil et de loisir. En d’autres mots, nous négligeons nos propres envies pour donner davantage de temps à nos filles et nos garçons. «Mais pourquoi au juste?» se demande Katrina Onstad, qui fait mention d’études ayant analysé l’agenda de mères. Le temps consacré à leurs enfants de 3 à 11 ans n’a pas eu d’effet sur les succès scolaires ou le bien-être psychologique de ces derniers. La qualité des interactions de la mère avec sa progéniture (chaleur, douceur, sensibilité…) serait d’ailleurs plus importante que le nombre de minutes investies.

Si la cadette a un entraînement de soccer, il n’est peut-être pas nécessaire de rester là à l’attendre. «Quand ils font leurs choses, faites donc les vôtres. Apportez un livre. Faites une promenade. Et répétez cette phrase: “Je te vois dans deux heures”», lance avec humour l’auteure.

La journaliste et maman d’une fille et d’un garçon termine son bouquin par un «manifeste pour un bon week-end». Elle nous invite à nous connecter aux autres – en personne, pas par l’entremise des réseaux sociaux –, à faire du bénévolat, à jouer, à explorer la nature, à partir à la recherche de la beauté et surtout… à en faire moins. Moins de magasinage, moins de ménage, moins de supervision d’enfants.

«Ne faites pas de plan, faites de la place», conclut-elle. Je compte bien mettre tout ça en pratique dès le week-end prochain. Promis, je ne ferai même pas de to do list. En attendant les grandes vacances, je vous souhaite de superbes fins de semaine! Pas trop remplies, de grâce.

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