Entrevues

Rencontre avec Julie Le Breton

Entrevue avec la jolie Julie!

L’actrice est partout – ciné, télé, théâtre – et excelle dans tout, cette année surtout. Et la femme? On la dit secrète, le genre huître scellée. Alors qu’arrive en salle Le vrai du faux, le film d’Émile Gaudreault, dans lequel elle joue, Jean-Yves Girard a voulu départager l’un et l’autre… 

Photo : Maude Chauvin

Photo : Maude Chauvin

En avril dernier, après moult négociations (chez moi ? chez elle ? une visite de plateau? une promenade dans son quartier? tout sauf une banale rencontre dans un café?), Julie Le Breton m’a donné rendez-vous… dans un salon de thé. Au moins, le Cardinal – décor suranné, vaisselle vintage et personnel hipster anglo – donne l’impression d’être ailleurs, davantage chez une Agatha Christie funky que sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. « C’est mon côté vieille Anglaise », dira une Julie plutôt zen, sourire songeur, œil bleu et cheveu châtain.

Je l’avais déjà interviewée à l’époque de Mauvais karma, j’avais en tête son personnage de Kim, je cherchais donc une blonde tapageuse et je suis passé à côté d’elle – assise dans la pénombre – sans la reconnaître, ce qui ne l’a pas choquée. « Au contraire, en tant que comédienne, je trouve ça flatteur. Ça veut dire que dans la vie je ne ressemble pas aux femmes que j’interprète. J’ai joué avec beaucoup d’humoristes, Martin Matte, Patrick Huard, Stéphane Rousseau, Michel Barrette, et leurs personnages les suivent dans la vie. Ils sont continuellement sous les feux de la rampe, moi, non. Ce n’est pas que je m’efface, mais je regarde par terre… »

« Julie n’est pas encore une star, une grosse vedette – même si le succès des Beaux malaises pourrait changer ça – parce qu’il n’y a pas eu encore LA rencontre entre un rôle et elle, comme pour Pretty Woman et Julia Roberts, par exemple, croit le réalisateur Émile Gaudreault (Mambo Italiano, De père en flic). Pourtant, elle a tout pour en devenir une, comme pour faire carrière à l’étranger. » En attendant de lui écrire un film sur mesure (il y pense), Émile lui a offert sans audition un beau rôle dans Le vrai du faux, sa nouvelle comédie dramatique avec Stéphane Rousseau (et Mathieu Quesnel, l’acteur qui monte). « Je n’avais jamais travaillé avec elle, et j’avoue avoir eu un minidoute : serait-elle crédible dans la peau d’une psy qui soigne des soldats souffrant de stress post-traumatique et qui vit elle-même un moment difficile? » Réponse : « Elle peut tout jouer! »

L’étendue de son registre dépeignerait un caméléon. L’hiver dernier, pendant que triomphaient à la télé Les beaux malaises, une comédie pseudo-réaliste très 21e siècle avec Julie en conjointe de Martin Matte, la même Julie ne faisait qu’une bouchée du Théâtre Denise-Pelletier en Marie Tudor, une reine du 16e siècle déchirée entre l’amour et le pouvoir. « La performance de la comédienne vaut à elle seule le déplacement », écrira Le Devoir dans un concert d’éloges. Au printemps, autre coup de théâtre et nouvelle métamorphose acclamée, cette fois dans Les liaisons dangereuses, chez Duceppe : une Julie en fringues griffées machiavélique jusqu’au bout des ongles en Madame de Merteuil. « Oui, l’actrice est en forme, mais la fille est fatiguée », avouera-t-elle, savourant moins son thé noir que l’imminence d’une pause méritée : dans trois jours, une fois Les liaisons bouclées, elle s’envolera pour Hawaï avec l’homme de sa vie.

Il avait été entendu qu’on jaserait surtout carrière, et je n’ai pas insisté sur l’identité de son jules. C’est d’elle-même que Julie effleurera le sujet, le moment de leur rencontre (septembre 2008), sa profession (éclairagiste réputé qui a sillonné la planète avec les spectacles de Robert Lepage), sans jamais le nommer. Et ne cherchez pas une photo du couple sur Google – je l’ai fait, en vain. « Des fois, il vient aux premières ou aux galas, mais ne fait pas les tapis rouges, il n’a aucune envie de ça, et moi non plus. Il a son billet et on se rejoint dans la salle. Si je n’en parle pas quand ça va bien, je ne serai pas obligée d’en parler quand ça ira mal. Pas que j’entrevoie une rupture… »

« Julie protège ce qu’elle a parce qu’elle veut le garder », m’a expliqué la comédienne Hélène Bourgeois Leclerc. Leur amitié, née dès leurs débuts dans le métier, a grandi avec Mauvais karma, les épreuves et les joies partagées. « Je me trouve chanceuse qu’elle existe et qu’elle soit dans ma vie, pour toutes sortes de raisons qu’elle seule connaît », a ajouté Hélène, la gorge un peu nouée.

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Maurice Richard / Les beaux malaises / Mauvais Karma / Cadavres / Les liaisons dangereuses

 

La blonde de…

Seize ans après sa sortie de l’école de théâtre, « on dirait que c’est mon année-récolte », lancera-t-elle, à la fois surprise et fière. Un regard sur son CV confirme qu’elle a beaucoup « semé » dans divers champs d’activité, depuis ses premiers pas à la télé dans Watatatow et son baptême de cinéma dans Québec-Montréal. Si on lui demande encore « comment c’était d’embrasser Roy Dupuis » (en 2005, dans le film à succès Maurice Richard, qu’il incarnait alors qu’elle interprétait sa femme), personne ne cherche à savoir « comment c’était » de jouer la sœur incestueuse de Patrick Huard dans Cadavres, puis sa blonde vertueuse dans Starbuck… peut-être parce que Cadavres a été peu vu. Pourtant, ce film noir, trash et parfois à la limite du supportable réalisé par Érik Canuel (Bon cop, bad cop) s’est avéré un point tournant dans la carrière de Julie. « Je suis fière de Cadavres, il m’a permis de traverser mes limites de pudeur, physique, oui, mais aussi d’actrice, parce que jouer avec une caméra à deux pouces de la face, c’est très intimidant. Et non, je n’ai pas insisté pour que mes parents le visionnent, ce n’est pas leur genre de film, et je ne tenais pas à ce que mon père me voie toute nue. »

Elle ouvrait une brèche, passait du professionnel au personnel, semblait plus détendue. L’exercice de l’interview n’est pas sa tasse de thé, même quand il s’agit d’un English Breakfast top qualité. « Dès qu’on dit quelque chose, ça nous revient sans cesse. J’ai lancé un jour, comme ça, que j’aimais le fromage La vache qui rit, ensuite tous les journalistes m’en ont parlé. » Elle a fini par en recevoir une caisse. « Certains la trouvent froide parce qu’elle est timide et si belle, mais si quelqu’un est chaleureux, c’est bien elle », indique son amie Hélène. « Il y a un mystère chez cette femme, elle m’intimide et intimide beaucoup les autres, dit Émile Gaudreault. Je ne pense pas qu’elle se soit déjà jouée elle-même, c’est-à-dire qu’elle ait eu un rôle près de ce qu’elle est en réalité. »

Photo : Maude Chauvin

Photo : Maude Chauvin

Ce qu’on sait d’elle : née à Arvida, élevée en Suisse puis aux États-Unis (Cleveland), car la famille (trois filles, un gars) suivait papa, cadre chez Alcan. Julie l’a souvent dit : jeune, elle était plutôt garçonne, « one of the boys », bien loin de la femme fatale qu’elle deviendrait pour un rôle ou une page couverture. Comme celle du magazine M de La Presse en 2010, où elle posait en pin-up, nue sous une fourrure et maquillée pour veiller tard. Julie assume la photo, mais émet des réserves sur le résultat. « Je ne me suis pas reconnue. J’ai les jambes assez musclées, parce que j’ai fait du sport toute ma vie, et là j’avais celles d’une ballerine de 15 ans. »

Pourtant, elle n’a pas besoin d’aide pour séduire. « J’ai vu l’effet qu’elle a sur les hommes, et c’est assez impressionnant », dit Émile Gaudreault. Dans un épisode de la websérie En audition avec Simon, Julie devait embrasser avec passion Étienne De Passillé, un comédien plus petit qu’elle. Pour les besoins de l’exercice, Simon Olivier Fecteau lui « montrait » comment s’y prendre. Après le départ de la comédienne, les deux gars se tapaient dans les mains : « J’ai frenché Julie Le Breton! J’ai frenché Julie Le Breton! » La phrase, devenue virale, a été imprimée sur des t-shirts vendus à la boutique de Radio-Canada.

En me préparant pour l’entrevue, j’étais tombé sur un article de 2005 dans lequel Julie disait vouloir fonder une famille. Dès que je lui en ai glissé un mot, sans arrière-pensée, j’ai senti le vent changer. Elle s’est raclé la gorge, a pris une grande respiration. Et tout a déboulé. « En fait, la maternité a toujours été une chose à laquelle je tiens, et je trouve très difficile d’être une femme de mon âge sans enfants dans la société actuelle, parce que tout est très “bébécentrique”. Quand t’as pas d’enfants, c’est comme si ta vie était déséquilibrée, et c’est hallucinant la quantité de commentaires désobligeants que j’entends. C’est comme si, parce que t’as pas d’enfants, t’avais une tare. Et c’est encore plus difficile quand tu fais tout pour en avoir et que ça ne fonctionne pas… Je me suis toujours dit qu’un jour j’allais parler de mon histoire si le bébé arrivait, mais le bébé n’arrive pas. Je n’ai pas encore fait de croix là-dessus. Il nous reste encore quelques options. On en a épuisé quelques-unes. » Pause. Elle se racle encore la gorge. « Là, je suis très sereine ; il y a un an, on en aurait parlé, j’aurais été en larmes, en boule dans un coin. »

« Je peux écrire ça dans l’article?

– Oui, tu peux, mais j’ai pas envie que ce le titre soit : “Julie Le Breton, mon deuil d’être maman”. J’y ai réfléchi, j’avais envie d’en parler, parce que c’est toi, et c’est Châtelaine, et que c’est pertinent. J’ai joué beaucoup de mères dernièrement. Dans Starbuck, j’étais enceinte, et dans Les beaux malaises, j’ai deux enfants. On me demande souvent – et c’est pour moi très insultant – comment je fais pour jouer une mère sans être mère. Comme si la maternité était un truc intouchable auquel tu ne peux pas avoir accès si tu n’as pas vécu la grossesse ou l’adoption et donc que tu n’es pas une femme entière. Ça me fâche parce que un, je suis une actrice, deux, une femme, et trois, une personne aimante. Je connais l’amour, peut-être pas l’amour maternel, mais je suis capable d’aimer… »

L’huître s’était ouverte. Et, sans surprise, à l’intérieur, il y avait une vraie perle.

 

À voir : les coulisses de notre séance photo avec Julie Le Breton.

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