Entrevues

Renée-Claude Brazeau

La seule façon de l’attraper : galoper derrière elle. En une heure top chrono, elle a partagé avec nous ses réflexions sur la maternité, ses trucs de femme occupée et son bonheur de ne plus être animatrice à la télé.

Elle a quatre enfants – Cédric, 21 ans, Romy, 13 ans, Max, 7 ans, et une dernière, Sophia, 1 an –, un boulot dingue et une maison à l’envers. Mais Renée-Claude Brazeau ne changerait de vie pour rien au monde. «  Être parfaite, pour quoi faire  ? J’aime mieux être heureuse.  »

Ce matin, je me suis levée à 5 h. J’ai préparé mes affaires, fait un peu d’écriture, les lunchs des enfants… À 7 h, monte dans l’auto, direction mes parents, bois un café avec eux, leur laisse les deux plus petits, Max et Sophia. Ensuite, reviens à la maison, prends ma douche super vite – je ne fais pas ça quand les enfants sont là, c’est trop stressant. Je choisis mes vêtements, remonte dans l’auto, descends à Radio-Canada, où je suis invitée à La fosse aux lionnes, passe au maquillage. On fait l’émission, c’est fini à 11 h. À 11 h 05, entrevue avec Châtelaine, mais j’arrive en retard, à 11 h 15, parce qu’après l’émission, avec Anne Dorval, on n’arrêtait pas de rire. Puis à 12 h 30, autre rendez-vous… Bref, c’est une journée maman-est-pressée-dépêchez-vous-les-enfants-j’ai-pas-le-temps.

Pour moi, la conciliation travail- famille, c’est pas un sujet, c’est ma vie. Mais avant tout, précision  : je n’aime pas cette expression. Ne devrait-on pas plutôt parler de conciliation famille-travail  ? Travail-famille, il me semble que c’est négatif pour la famille, j’ai l’impression qu’on met plus l’accent sur le travail. À bien y penser, ce terme ne veut rien dire… Avoir des enfants, c’est synonyme de rush, de stress, de bordel, de fatigue. Je suis crevée, je passe mon temps à ne pas terminer ce que je commence, à me dire à la fin de mes journées  : j’ai pas fini telle et telle chose, j’ai pas bien fait ça avec les enfants, j’ai pas bien fait ça dans mon écriture, j’ai pas bien fait ça avec mon chum…

Je sais qu’il y a des femmes qui ont un enfant, qui me voient aller et qui se demandent  : «  Elle en a quatre, mais comment elle fait  ?  » Moi, je ne sais pas comment font les mères de famille seules qui se dépêchent d’arriver au boulot à 9 h pile parce qu’elles ont un patron con et qui finissent à 16 h 30 ou à 17 h ou à 17 h 30, et qui doivent traverser un pont et se précipiter à la garderie qui ferme à une heure précise. Pour moi, c’est différent, je travaille à la maison. C’est un énorme plus. Ça change tout. La société se tourne de plus en plus vers le télétravail et c’est une très bonne chose. Oui, c’est sûr que je vais reconduire Max à l’école, mais Romy prend l’autobus scolaire. Sophia, le bébé, reste à la maison. J’ai une nounou le jour. Quant à celui de 21 ans, il est présentement en Thaïlande. Il m’en reste trois.

J’ai eu mon premier enfant à 23 ans. Je l’ai élevé toute seule et j’ai vécu de l’aide sociale pendant deux ans. Quand j’y repense aujourd’hui, je me dis que ç’a été une bonne expérience qui a changé beaucoup de choses – je ne disais pas ça à ce moment-là  ! Je ne veux jamais revivre cela. Je suis très économe. On ne me verra jamais avec de super beaux vêtements. J’habite depuis 14 ans dans la même petite maison, que j’aime et qui ne m’égorge pas financièrement. J’ai un beau jardin que j’adore, dont mon père prend soin. Alors pourquoi j’irais m’acheter un château-manoir  ? Pour avoir l’air riche  ? J’ai gagné la liberté de travailler chez moi. Animatrice à la télé, ce n’est plus pour moi. Ça me rendait morte de trac, j’avais plein de tics fatigants, je disais tout ce qui me passait par la tête. Je me tapais sur les nerfs quand je me regardais et je déplaisais à plein de monde, je le sais. J’étais l’une des Lionnes la première année. La dynamique ne fonctionnait pas bien, et c’était de ma faute. J’écrivais La galère, j’étais fatiguée. Je suis très bonne pour m’autoflageller.

J’ai divers arrangements avec les pères. Je l’ai dit, le père de Cédric n’a jamais été là. Avec les deux pères suivants, c’est la garde partagée. Pour Max, c’est en général une semaine – une semaine  ; avec Romy, c’est plus lousse. Je crois qu’avec son père à elle, on n’a jamais fait chacun sa semaine  ; si elle veut être avec moi, elle est avec moi. Si elle est avec son père, elle peut me téléphoner  : «  Maman, je veux te voir.  » De toute façon, son école est à côté de chez nous, je la vois tous les jours. Autrement dit, ils sont pas mal tous là, les pères et les enfants, on est comme un clan, c’est l’fun. L’automne dernier, six mois après la naissance de ma dernière, mes parents ont appelé les pères. Ils leur ont dit  : «  Elle n’est plus capable, elle est épuisée, alors, les gars, venez prendre les enfants, il faut qu’elle se repose, il faut qu’elle dorme.  » Mes parents avaient raison. Je les ai trouvés cool d’avoir fait ça. J’avais attendu trop longtemps pour demander de l’aide, je tenais à m’occuper de mon bébé moi-même, je ne voulais pas d’une personne que je ne connais pas dans ma maison. Un tas d’arguments niaiseux qui font que, comme toutes les mères qui ont des bébés, je me suis retrouvée en déficit profond de sommeil.

Je ne lis pas de livres sur l’éducation des enfants. Mon expérience, je l’ai acquise avec mon premier. J’ai raté un million d’affaires, j’ai vu ce que ça a donné. Huit ans après, j’ai eu le deuxième  : OK, là, je savais qu’il fallait faire ça et pas ça. Aujourd’hui, je suis super bonne. Exemple  : je veux qu’ils mangent bien, mais si, de temps en temps, c’est pas le cas, c’est pas grave. Même chose si à l’occasion ils sont mal habillés. Et la maison  ? C’est une soue à cochons. Quand tu ne te soucies plus de ces détails-là, tu peux avoir plus d’enfants.

Les mères indignes, c’est comme une grosse mode. Je ne me suis pas inspirée de ce phénomène, j’y avais pensé bien avant qu’on en parle partout et j’en suis contente. Je travaille à La galère depuis 12 ans. Je ne lis et ne regarde aucune des choses où il est question de mères indignes. Non parce que ça ne m’intéresse pas. Mais je ne vais pas voir la «  compétition  ». Je serais portée à dire – j’espère que je le formule bien – que les mères indignes, c’est un peu dépassé. Même le propos de La galère, à la limite. La première année, c’était nouveau, surprenant, mais ça ne l’est plus. C’est correct, les filles, on le savait qu’on n’était pas parfaites. J’imagine que ça faisait du bien de voir des mères imparfaites et d’entendre quelqu’un le dire tout haut.

Avant Noël, j’ai pas eu de frigidaire pendant un mois et demi. Mon vieux frigo ne marchait plus. J’avais pas le temps d’aller en chercher un autre. Qu’est-ce que j’ai fait  ? J’avais au moins huit ice packs que je faisais refroidir dehors, le lait aussi, puis je les mettais dans le frigo. On achetait juste un peu de bouffe à la fois. Résultat  : j’étais tout le temps dans le jus parce qu’il manquait toujours quelque chose pour faire à manger. Un jour, je reçois un courriel d’un des pères  : «  Tu sais qu’un de tes enfants est aussi le mien  ? Je te donne le numéro de trois réparateurs de frigo.  » Ce à quoi j’ai répondu  : «  Crois-tu vraiment que les enfants meurent de faim  ?  » Il était très inquiet, il ne comprenait pas que j’aie trois enfants à la maison et pas de frigo. Au bout du compte, c’est mon père qui l’a réparé.

J’aimerais avoir un cinquième enfant. Quand je vois des bébés, je capote. Ça me rend folle. Je veux en adopter un. Il y a deux ans, j’ai communiqué avec l’organisme d’adoption internationale Soleil des nations pour adopter en Haïti. J’ai fait venir les formulaires. Finalement, je suis devenue enceinte et j’ai un peu laissé tomber l’idée. Au moment du tremblement de terre, je jure que si ç’avait été possible, si on m’avait dit  : «  Tu peux aller en chercher un  », j’aurais même pas réfléchi un seul instant, je serais partie là-bas pour ramener un enfant. Je serais épuisée, il ne dormirait pas, ça serait l’enfer avec tous les traumatismes qu’il aurait vécus, mais je serais tout à fait heureuse.

En principe, je ne peux plus avoir d’enfant parce que mon utérus est un petit peu fatigué. Je peux encore porter un bébé, j’ai toujours mes règles, mais, à mon dernier accouchement, j’ai eu une césarienne et les médecins m’ont dit  : «  C’est fini, parce que la prochaine fois, vous allez exploser.  » Il n’existe sans doute aucun organisme d’adoption dans le monde en ce moment qui retienne la candidature d’une femme seule avec quatre enfants et qui en veut un cinquième. Oui, je me considère comme une mère de famille monoparentale. Mono, pour moi, c’est une femme qui élève seule ses enfants. Mon chum est à Paris. Sa fille, la petite dernière, est avec moi tout le temps.

Dans mon cas, le secret d’une union qui dure, c’est de ne pas vivre ensemble. Toutes mes amies me le disent : «  Cette fois, Renée-Claude, ça va marcher.  » Oui, le fait que mon chum habite à Paris et qu’on se voie plus ou moins toutes les six semaines, ça aide beaucoup. Le quotidien tue, je le crois vraiment. J’ai besoin de solitude. Je ne m’imagine pas vivre avec lui. Ni aujourd’hui, ni demain, ni…

À deux, j’y arrive pas. Parce qu’à un moment donné, tu montes dans ta chambre, tu veux lire ou écouter ton émission de télé seule. C’est aussi con que ça. Le soir, après avoir fait manger les enfants, vers 19 h 30, je prépare mon souper, c’est mon moment à moi. Et je ne veux pas un chum à côté de moi non plus, non, non, non, non. Par contre, en vacances, j’ai envie de le voir, de passer du temps avec lui. Il me semble que ça se tient, tout ça  !

Pourtant, c’est l’homme de ma vie. Je sais que je dis tout le temps ça. Les autres avant lui étaient aussi les hommes de ma vie. C’est toujours l’homme de ma vie. Jusqu’à ce qu’il ne soit plus l’homme de ma vie.

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