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Culture

David Goudreault: Nous nous toucherons autrement après la crise…

Tout passera désormais par le regard, selon le poète et romancier David Goudreault. En ce printemps de confinement, c’est tout ce qu’il nous reste pour entrer en contact avec l’autre.
Par David Goudreault
Regard arc-en-ciel Photo: Unsplash / Harry Quan

Perdre un sens affûte les autres. C’est documenté. Cette femme qui perd la vue développera une plus grande mémoire olfactive, et cet homme qui se retrouve privé du goût et de l’odorat verra son ouïe optimisée. De cette crise, nous sortirons tous amputés d’une certaine insouciance, mais peut-être plus conscients de soi et de l’autre. L’autre n’est jamais qu’un autre soi.

Fini les bises aux inconnues et les accolades au premier venu. Notre besoin de contacts humains ne sera pas moins grand, il nous faudra pallier, défricher de nouveaux chemins de rencontre. Tout passera par le regard, tout se passera dans le regard. J’ai lu que c’était la porte de l’âme. Je l’ai ressenti aussi, quelquefois.

L’immeuble est blindé, carrément, avec des militaires à l’accueil. Je dois donner un atelier de poésie à quelques dizaines d’adolescents tunisiens à l’ambassade du Canada à Tunis. L’accueil est chaleureux, et malgré les barbelés et les caméras à l’accueil, les jeunes francophiles sont décontractés, allumés, participatifs. Participatives, surtout. Les filles partagent leurs textes plus spontanément que les garçons. Le tour de table achève, les volontaires se tarissent. Une dernière lecture?

Personne ne lève la main, mais un regard m’interpelle. L’ado voudrait tant lire son poème, je le vois. Il n’ose pas. Sans un mot, du bout des yeux, je l’encourage. Timide, son bras se lève, puis le corps suit. Ses collègues se tournent, étonnés. Ils le seront plus encore à la fin du poème: une magnifique déclaration d’amour. Yassine recevra un tonnerre d’applaudissements. Sans que son corps ne s’approche, il a touché tout le monde ce jour-là. L’œil humide, fier et soulagé, il a repris sa place en silence.

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Un autre décor de barbelés et de béton, mais au Québec cette fois, dans un pénitencier. La veille de Noël. On m’a invité pour offrir une conférence et un atelier d’écriture. Je ne suis pas un cadeau, moi! Grâce à de généreuses maisons d’édition québécoises, je débarque en-dedans avec plusieurs boîtes de livres neufs, et de qualité. Les yeux écarquillés, les éclats de voix, les doigts qui parcourent les volumes, on se passe les bouquins. Ma soirée est faite, je suis heureux. Pourtant, le meilleur reste à venir.

Lors de la lecture des poèmes, un colosse pleure. Presque, la larme ne coulera pas, mais la cornée luisante, les paupières chargées, la voix brisée, Yannick raconte la dureté des semaines d’isolement qu’il vient de traverser. Il dit le vide. Le manque. L’amour perdu. Les amis qui l’abandonnent. Il déploie la force d’être vulnérable devant une vingtaine de codétenus. S’ensuit un silence tonitruant, tous les regards sont sur lui, et tous ces regards le prennent dans leurs bras. Les gars ne peuvent pas se lever, mais quelque chose de grand s’élève en eux. Peu importe les crimes qu’ils ont pu commettre, l’accueil et le respect se font palpables. Même les agents correctionnels, solennels, saluent le courage du détenu. Sans qu’une seule poignée de main soit échangée.

Habitons nos regards, laissons notre âme, notre personnalité s’y glisser. Nous pourrons moins nous toucher dans les mois et les années à venir, mais nous pourrons peut-être nous rencontrer davantage.

David Goudreault David Goudreault (Photo: Julien Faugère)

David Goudreault est poète, chroniqueur et romancier. Son plus récent roman, Ta mort à moi, est présentement finaliste au Prix littéraire France-Québec 2020.

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