Culture

Eve Landry: tout sur elle (ou presque!)

En septembre 2012, le Québec la découvrait dans la peau tatouée de Jeanne Biron, rasée, révoltée et emprisonnée dans Unité 9. Inoubliable. Depuis, la comédienne est devenue incontournable… et la femme, maman de deux enfants. Ce printemps, Eve Landry renoue avec son premier amour, le théâtre.

Eve m’attend chez elle à 9 heures, un matin de semaine. Frédérique, trois ans, et Louis, presque deux, sont à la garderie. Jérémie, son amoureux, est au boulot dans une institution financière. Mon hôtesse n’est pas seule pour autant, car autour d’elle il y a Carol, Manon et Normand.

« J’espère que tu n’as pas peur des chiens!» lance-t-elle dès que je franchis le seuil alors qu’une énorme bête poilue se rue sur moi. « Carol est très gentil, et excité seulement quand quelqu’un entre», ajoute Eve pour me rassurer, en intimant à son lévrier irlandais de se calmer le pompon. « Ah, oui… Es-tu allergique aux chats?» Non, heureusement, car la maisonnée en abrite deux. Normand – une femelle! –, borgne comme l’était Normand Despins, le directeur de prison dans Unité 9 (d’où le clin d’œil). Et Manon, une rousse curieuse qui s’installera de facto sur la table de la salle à manger et ne ratera pas un mot de l’interview.

Les présentations faites, Eve prépare du café tout en parlant. Cheveux indisciplinés et visage à nu, elle porte une longue robe d’intérieur qui la fait paraître encore plus grande que ses 172 cm. Pas d’artifices ni de chichis. Étonnant de constater à quel point Eve Landry n’a pas changé depuis l’obtention de son diplôme du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, en 2007.

La preuve? Elle se trouve dans J’me voyais déjà, un documentaire de l’ONF tourné cette année-là sur le quotidien de jeunes acteurs à l’aube de leur carrière. Dont Eve, 22 ans à l’époque, même bouille qu’aujourd’hui. « J’habitais à quelques rues d’ici. Ensuite, j’ai vécu ailleurs, mais je suis revenue dans le quartier il y a quatre ans, quand on a acheté cette maison. Le Centre-Sud est pas mal mieux maintenant que dans ce temps-là. Il y avait plus de piqueries, et lorsque je sortais le soir, je me faisais siffler, on me prenait pour une prostituée. » Cela ne l’a pas empêchée de se promener seule, de jour comme de nuit. «J’ai une personnalité forte, je sais que je dégage une confiance et une espèce de je-m’en-foutisme. Ma mère et ma sœurm’ont souvent ditqu’elles aimaient voyager avec moi parce qu’elles se sentaient en sécurité. »

L’après-Jeanne

À bientôt 35 ans, Eve ne fait pas face aux mêmes défis qu’à 22, alors qu’elle s’inquiétait de l’avenir et se désolait de ne pas avoir été choisie pour un premier contrat professionnel, attribué à sa consœur de classe Anne-Élisabeth Bossé. Aujourd’hui, elle doit plutôt faire «oublier» Jeanne, le rôle marquant qu’elle a tenu pendant sept saisons. Celui qui a transformé la comédienne de théâtre pour ados de ses débuts en vedette de la télé dès le premier épisode, diffusé le 11 septembre 2012 et vu par deux millions de téléspectateurs. « Je me souviens que Véronique Cloutier avait twitté: “C’est qui ça, Eve Landry?” Ça avait fait très plaisir à ma grand-mère Lucille, qui a toujours aimé le jet-set. »

Alors, comment gère-t-elle l’après Jeanne? Un rôle à la fois. « L’idée, c’est de faire les bons choix, et j’ai le privilège de pouvoir choisir. Si je trouve que le personnage qu’on me propose lui ressemble trop, je passe mon tour. Ça peut avoir l’air arrogant, mais les gens comprennent. » À l’évidence, Eve a eu du flair.

Portrait Eve Landry

Photo: Andréanne Gauthier

Histoires d’amitié

Dans le très beau film Il pleuvait des oiseaux, sorti l’automne dernier, elle incarne une photographe auprès de la regrettée Andrée Lachapelle. «J’ai eu le temps de la connaître, et elle a rencontré mes enfants.» Dans Épidémie (TVA), elle prend les traits d’une mère blogueuse vidéo, amie intime du ministre de la Sécurité publique. «J’avais envie de renouer avec le réalisateur Yan Lanouette Turgeon, qui m’a dirigée dans Unité 9. En plus, je sortais d’un blitz de travail, et mes jours de tournage étaient peu nombreux. Trouver le bon équilibre avec une famille, c’est tellement difficile ! »

Avec M’entends-tu? (Télé-Québec), Eve poursuit sur sa lancée. Créée par Florence Longpré et portée aux nues par la critique, cette télésérie audacieuse, originale et percutante a été achetée par Netflix. Elle met en scène Ada, Fabiola et Carolanne, trois amies paumées qui se débattent comme des diablesses pour survivre dans un quartier défavorisé.

«Je connais Florence depuis le cégep [Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse]. J’étais dans le programme Arts et lettres, profil interprétation. J’arrivais de SaintPascal, dans le Bas-Saint-Laurent, elle, de Mascouche.» Elles ont fait de l’impro et les quatre cents coups ensemble, scellant une amitié basée sur une admiration réciproque. «Après le cégep, me dira par la suite Florence, nous nous sommes suivies dans nos déboires amoureux et nos réussites professionnelles. Et j’ai pensé à Eve en écrivant le personnage de Carolanne.» Peu loquace, plutôt effacée, le genre qui s’excuse presque d’exister, Carolanne se situe aux antipodes d’une certaine Jeanne… « Je voulais une comédienne solide, capable de se faire comprendre d’un mot, d’une expression. Je savais qu’Eve pouvait le faire avec justesse. Il y a une grande honnêteté dans tout ce qu’elle entreprend. Elle est très sincère dans la vie, ça transparaît dans son jeu. Et elle est fucking drôle!» ajoute la scénariste, qui campe Ada, alors que Mélissa Bédard complète le trio d’enfer.

Même son de cloche du côté de la comédienne Geneviève Schmidt. «Eve me fait tellement rire ! » Toutes deux ont fraternisé au cours de la deuxième saison d’Unité 9, quand Geneviève est arrivée à la prison de Lietteville. «J’avais des scènes intenses à jouer, et Eve était toujours là pour m’encourager. Cette fille, c’est la générosité même. » L’an dernier, lorsque Canal Vie l’a contactée pour participer à Conseils d’amis, une émission où des tandems (Fabien Cloutier et Patrice Robitaille, Sylvie Léonard et Sophie Cadieux…) donnent leur avis sur les questions les plus diverses, Geneviève a tout de suite pensé à Eve. «Ensemble, on peut avoir 12 ans d’âge mental. Notre duo est ben le fun!»

Plan B?

«Dès qu’on a un trou, on a peur que ça s’arrête, dit-elle en flattant distraitement Manon. On en connaît tous, des actrices et des acteurs à qui c’est arrivé. J’ai décidé de ne plus m’en faire, parce que j’ai des plans B qui m’intéressent. » Lesquels ? Devenir maraîchère ? Elle sourit à cette idée. «Non. Par contre, je me vois très bien scripte sur un plateau de tournage. Jouer, c’est viscéral pour moi, mais m’imaginer faire autre chose me sécurise énormément.»

Rarement sinon jamais abordé en entrevue, le sujet de l’argent ne rebute pas Eve, au contraire. « Ma mère, qui est comptable, m’a appris très jeune à bien gérer mes sous, mais elle m’a aussi transmis la peur d’en manquer. Mon chum et ma conseillère financière me le rappellent souvent: “Eve, ça va, t’es correcte !” »

La comédienne les écoute, fait ouf!, se dit qu’ils ont raison. Et m’assure être aujourd’hui moins angoissée qu’hier, même si une partie d’elle continue de résister.

Portrait Eve Landry

Photo: Andréanne Gauthier

Exit le luxe… et le plastique

« Récemment, je me comparais à des amis dans le milieu qui font beaucoup plus d’argent que moi et je me demandais: est-ce que j’en veux autant? Et qu’est-ce que j’en ferais? C’est sûr que j’aimerais rénover cette cuisine, acheter un chalet… Mais j’ai compris que ces rêves seraient du luxe, et le luxe, c’est ce que j’essaie d’éliminer de ma vie le plus possible. »

Ça, et le plastique. Une conscientisation environnementale née avec le Pacte pour la transition. «Je suis ainsi, j’ai besoin de signer quelque chose pour m’engager.» Et quand Eve s’engage, c’est du sérieux. En novembre dernier, elle était la porte-parole du Festival Zéro Déchet. Elle anime la websérie 5 trucs pour la planète sur ICI Explora. Elle est abonnée à des paniers bios – l’un d’eux a été livré le matin de l’interview. Elle fait son yogourt. «Si je prends l’avion, je compense en contribuant à Arbre-Évolution. J’achète en vrac, même l’argile pour me nettoyer le visage. D’ailleurs, je veux utiliser moins de produits de beauté, je pourrais éventuellement fabriquer mon propre maquillage…»

Il est vrai qu’en ce moment, Eve a du temps pour être aussi verte que Greta. Bientôt, ce sera plus compliqué. Les répétitions pour Fun Home – Album de famille vont commencer, suivies d’un mois de représentations à Montréal, puis d’un autre mois en juillet à SaintJérôme, au Théâtre Gilles-Vigneault. Ce retour sur les planches, après cinq années d’absence, la stresse. « Je sais que l’actrice va triper, mais la maman va se sentir coupable de quitter ses enfants vers 18 heures et de ne pas être là pour la routine du soir. »

Même partis à la garderie, Frédérique et Louis sont partout ici: le livre de contes sur la table de la cuisine, le petit pot dans la toilette, un jouet abandonné… Ils surgissent souvent dans la conversation, presque malgré Eve. Car si elle accepte de se prêter au jeu des médias, jusqu’à inviter un journaliste dans sa maison, les limites à respecter sont claires. « Je ne parlerai jamais de ma vie amoureuse et des circonstances de ma rencontre avec Jérémie, ni du tempérament de ma fille ou de la personnalité de mon fils. Tu ne verras jamais leur visage sur mon fil Facebook. »

Elle a dérogé à cette règle le printemps dernier. Avec Louis, alors âgé de un an, Eve a pris part à un spectacle expérimental intitulé Bébés, dans lequel comédiens et comédiennes partageaient la scène d’Espace Libre avec leur progéniture. « J’ai accepté parce que c’est un théâtre que j’estime et qui est situé au coin de ma rue. Et surtout parce que ça me permettait de passer plus de temps avec Louis. Les quatre premiers mois de son existence, j’ai beaucoup travaillé et je me suis ennuyée de lui. Cette expérience nous a rapprochés, nous sommes devenus fusionnels. »

Même la petite Frédérique a été de la partie, à sa façon. «On en a fait une activité familiale. Ce n’était pas le but, mais si j’ai pu attirer au théâtre des gens curieux de voir le fils d’Eve Landry, tant mieux ! »

Lucille aurait été fière

Avant de la quitter, coup d’œil dans le salon, pas pour fouiner, mais pour trouver où est rangé son Gémeaux. En nomination à cinq reprises au fil des ans pour son rôle de Jeanne (dont pour deux prix Artis), Eve a enfin remporté une statuette en septembre dernier. « Mon Gémeaux n’est pas ici. Il est à Saint-Pascal, peut-être chez ma tante, ou encore chez mon grand-père. »

Comme elle l’avait promis dans ses remerciements, Eve est allée lui porter le trophée en mains propres dans sa résidence après le gala. Avec une pensée émue pour sa grand-mère Lucille, décédée quelques mois auparavant et dont elle était très proche.

«C’était touchant de voir mon grandpapa Lucien avec le Gémeaux. Il savait à quel point sa Lucille aurait été contente. Les galas, les vedettes, elle aimait tellement ça. Elle aurait été très fière de me voir sur la couverture de Châtelaine et aurait montré le magazine à tout le monde ! »

On peut voir Eve Landry dans les téléséries M’entends-tu ? (Télé-Québec et Netflix) et Epidémie (TVA), ainsi que dans la websérie 5 trucs pour la planète (site web d’Ici Explora) ; dans la pièce Fun Home – Album de famille, du 15 avril au 16 mai au théâtre Jean-Duceppe, à Montréal, et du 2 juillet au 1er août au théâtre Gilles-Vigneault, à Saint-Jérôme.

Merci à l’équipe du Kampai Garden pour son accueil lors de la séance photo

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