Culture

Coral Egan en lumière

Le retour en force d’une chanteuse lucide et passionnée.

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Quand je suis partie du bureau à la course pour aller rencontrer Coral Egan, mes collègues ont lancé : « Elle a l’air tellement gentille, ça va bien se passer. » Coral est, en effet, très gentille. Mais dans l’aura de sa douceur brille aussi une profonde lucidité. Des opinions fortes sur l’industrie du spectacle, son métier.

En bref :

– Élégance et transparence.

– Artiste et maman.

– Issue du jazz (sa mère est la légendaire Karen Young) avec un penchant pour l’alternatif.

Rencontre avec une femme qui n’a pas peur des mots…

 

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The Year He Drove Me Crazy, le dernier disque de Coral Egan

Je ressens, sur ton dernier disque, ta douceur et ton soul habituels. Mais en subtilité, il a aussi quelque chose de plus underground, je me trompe? Avais-tu envie de faire quelque chose de différent?

Chaque album est une réaction face au précédent. Il y a eu une très grande pause entre Magnify (2007) et The Year He Drove Me Crazy (2013). J’avais besoin de bien commencer ma vie de mère. Il faut dire, aussi, que j’ai eu un polype sur les cordes vocales.

Un quoi?!

À l’accouchement de ma fille, j’ai poussé tellement fort que ça a pété quelque chose! Imagine : je ne pouvais même pas lui chanter des berceuses… J’ai dû être opérée, et tranquillement, j’ai pu recommencer à chanter.

Je dois aussi avouer que, pendant cette pause, j’ai eu une cassure de l’amour et de l’affection que je portais à ma carrière. Le job d’auteur-compositeur-interprète, être un entertainer. Il y a tellement de choses qui ont changé dans le domaine au cours des 10 dernières années. Quand j’ai commencé, c’était la vieille école. Le respect des artistes n’est plus le même. Avec les blogues, les médias sociaux… On exige de nous une présence constante. Et pour moi, c’est à l’opposé de ce qu’on devrait vouloir de nos artistes préférés, c’est-à-dire les laisser vivre et prendre le plus puissant de leur travail. Est-ce que les gens veulent vraiment savoir ce que je fais tous les jours? Je le mets dans ma musique. Laissez-moi le mettre là! (Rires.) C’est plus intègre…

Et en termes de sonorités, y a-t-il aussi eu une démarche?

Les mélodies me viennent en marchant ou en vélo. Je passe aussi beaucoup de temps, dans mon processus de création, à ne rien faire. Regarder des documentaires de la BBC, par exemple. Longtemps. Et à un moment donné, mon corps n’est plus capable de ne rien faire. Les idées ont germé, je m’installe au piano.

Par contre, chaque fois que j’ai essayé d’avoir un concept, une direction, ça n’a pas fonctionné. Je savais que je voulais faire quelque chose de plus accessible, de plus pop encore. That’s it. Mes maquettes étaient très minimalistes, je les ai données aux musiciens et… Wow!

J’adore le nouvel album parce que ce n’est pas entièrement moi. Il y a le génie des gens avec qui je travaille. Il y a eu un moment. En une semaine dans un studio, on a réalisé un album ensemble. C’est peut-être ça, le côté indie

Ça fait du bien, pour un artiste, d’abandonner le « moi, moi, moi » de temps en temps?

Oui! C’est aussi pour ça que j’ai eu besoin d’un break. Cette obligation de toujours se mettre en valeur…

Et en même temps, au fond, les personnes qui créent des choses ont besoin d’être aimées. Ça leur fait du bien de savoir que le public comprend comment elles se sentent…

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Photo : Melissa Maya Falkenberg

Le plus important pour toi : le succès critique ou populaire?

Hum, bonne question. Comme je disais, le besoin d’être compris est fort chez les créateurs. Alors, oui, j’ai toujours voulu parler au plus grand nombre de personnes.

Mais j’ai déjà eu quelques critiques dures à avaler, qui m’ont affectée. Je ne peux pas nier que le succès critique est aussi important…

Essentiel?

Jamais je ne voudrais l’imposer. Pour moi, ce serait un faux pas. Quand un fan vient me voir après un spectacle et me dit que mon album lui « a sauvé la vie en rehab », je me dis : « OK. Je ne peux pas avoir une appréciation plus forte et plus vraie. »

Je trouve que l’art, de plus en plus, est utilisé comme une distraction. Ça rend les gens dépendants de ça, du divertissement, de la distraction. Et ça permet de supporter un marché qui, en ce moment, n’est pas en bonne santé.

Mon rêve en tant qu’artiste, ça a toujours été de contribuer à quelque chose d’authentique. Personnellement, je suis moins touchée par la musique ces jours-ci. Mille chansons qui sonnent toutes pareil, qui ont les mêmes propos. L’industrie actuelle peut enlever le goût à un musicien de faire de la musique.

Artiste et mère à la fois : le plus beau et le plus difficile?

Quand on a un enfant, on est obligés de travailler sur nous-mêmes. Cette humilité obligée aide à grandir aussi en tant qu’artiste.

J’ai eu la chance d’avoir un début de carrière pas trop difficile. Après la pause pour ma fille, les changements dans l’industrie, j’ai dû travailler beaucoup plus fort.

L’avantage d’avoir un enfant, c’est d’être devant toi-même. Tu ne peux pas avoir un miroir plus vrai. Si tu as le courage de regarder ça et d’agir en conséquence, tu grandis avec ton enfant. Je veux que ma fille ait des références.

Te ressemble-t-elle?

C’est une artiste-née. Jusqu’à tout récemment, elle avait de la difficulté à exprimer ses émotions verbalement. Elle a commencé à le faire… en chantant! L’autre jour, elle chantait dans la maison. Alors, moi, j’écoutais, surtout les mélodies. Elle m’a lancé : « Mommy, are you REALLY listening to what I’m singing? »

Elle est très créative. Et control freak. Comme moi! (Rires.)

Tu évoques la douceur, mais je découvre chez toi une femme qui pourrait quasiment faire du punk!

Ma douceur se retrouve beaucoup dans mon physique. En réalité, j’ai des opinions très fortes et je mets constamment mon pied dans ma bouche. Mon image reste douce. Même quand j’écris des chansons plus enflammées, ce que mes musiciens vont remarquer et finir par mettre en valeur, c’est la parcelle de douceur dans ma toune!

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Photo : Melissa Maya Falkenberg

Alors, cette énergie, tu pourrais peut-être l’apporter sur scène?

Oui! Quand les chansons sont plus up, j’aime me perdre dans la musique. Et en concert, je parle beaucoup avec mon public. Il y a un humour qui, tout à coup, sort de moi. J’aime faire rire et rire de moi-même. Si je dis quelque chose de trop cru, j’essaie de lancer une blague tout de suite après.

Le public est-il réceptif?

J’ai toujours eu une relation spéciale avec mes fans. Je trouve ça plus facile, d’ailleurs, avec le public qui me suit depuis toujours, mon « public jazz ». Ce sont des gens qui ont l’habitude des concerts où tout le monde est assis, poli, écoute, rit des blagues au parfait moment. C’est très civilized, tu comprends?

Les jeunes, eux, se posent plus de questions. Comme : « Est-ce que j’aime vraiment ça? » C’est plus tough, mais quand le courant passe, ils se mettent à crier, et je trouve ça fou!

Coral Egan sera en concert à La Tulipe le 21 février dans le cadre du festival Montréal en lumièreDétails ici

Coral Egan au sujet de la chanson Razor Love (Neil Young), qu’elle interprète sur son plus récent album :

Neil Young est tellement profond. Je me berce dans sa personne. Dès que j’ai entendu Razor Love, je me suis mise à danser avec mon chum, à l’embrasser. Et quand je l’ai lancée aux musiciens en studio, ça s’est fait tellement facilement. Comme ça. One shot

 

Voyez aussi :

Vidéo : Melissa Maya rencontre Viviane Audet (Dans le confort de son salon, la comédienne présente les instruments qui construisent son univers musical.)

Envoûtante Lou, les photos et l’entrevue de Melissa Maya avec l’auteure-compositrice Lou Doillon

 

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