Culture

Margie Gillis : la danse, toujours après 50 ans de carrière

La danseuse et chorégraphe Margie Gillis mène depuis 50 ans une carrière où le mystère, la curiosité et la joie virevoltent gaiement.  

Margie Gillis ne fait pas son âge. La voilà qui marche d’un pas assuré, presque aérien, vers le parc Lafontaine, à Montréal, sa longue tignasse argentée se déployant dans le vent comme les ailes d’un cygne.

La retraite ? Pas question ! À 70 ans, la célèbre chorégraphe et interprète trépigne d’excitation à l’idée de découvrir tous les trésors de la vieillesse. Elle, qui a toujours dansé… « Ma mère disait que je dansais déjà dans son ventre », confie-elle, amusée. On la croit sur parole.

Depuis un demi-siècle, la récipiendaire de l’Ordre du Canada et de l’Ordre national du Québec partage ses émotions tout en mouvements sur les scènes d’ici et d’ailleurs, entretenant avec son corps et sa féminité une relation presque spirituelle. Elle a créé et interprété près d’une centaine d’œuvres, en plus de se faire un devoir de transmettre, tant aux professionnels qu’aux amateurs, le potentiel émotif, politique et transformateur de la danse – elle a même été la première personne à enseigner cette discipline en Chine, en 1979.

Et pourtant, le monde a bien failli ne jamais voir les prestations de cette grande artiste. Assise dans l’escalier de pierre, face à la fontaine du parc, elle se remémore avec tendresse la gêne qui, enfant, la taraudait. « J’ai pratiqué la danse classique jusqu’à 12 ans, en duo avec mon frère, mais cet environnement était trop rigide pour moi. Je voulais travailler avec toutes les sensibilités émotionnelles et physiques. J’ai commencé à danser pour me faire plaisir, dans les parcs et autour des meubles de la maison. Mais monter sur scène me terrifiait », lâche-t-elle.

À 18 ans, alors qu’elle hésite entre étudier la psychologie et se diriger vers l’enseignement, elle écoute enfin la petite voix qui lui chuchote que sa vocation est ailleurs. « Je devais essayer au moins une fois de danser devant public, pour m’assurer que je ne passerais pas ma vie à courir dans une direction opposée à mon destin. Ça a été une révélation. J’ai touché les gens avec une profondeur insoupçonnée, et j’ai compris que la passion était plus forte que la peur. Je suis très choyée de vivre en correspondance avec mon âme. »

Margie Gillis se fait depuis un point d’honneur d’utiliser son art comme moteur de transformation, de connexion, d’intimité et d’ouverture à l’autre. « Lorsqu’on vit une épreuve, la tête et le cœur ne savent pas toujours quelle direction prendre. Le corps, lui, sait. Danser permet d’entrer dans le mystère, de demeurer curieux, et donc, de changer de perspective sur un conflit, un problème, une peur ou un préjugé », précise-t-elle.

Margie Gillis

Photo : Laurent Theillet

La danseuse applique la même philosophie devant les changements qu’impose l’âge à son art. En avançant dans le temps, l’athlète doit chaque jour composer avec les limites et les altérations de son enveloppe et de sa musculature. Une occasion pour elle de découvrir de nouvelles richesses créatives. Dans sa nouvelle chorégraphie, OLD – présentée comme son dernier grand solo –, elle explore le mystère de la vieillesse sous toutes ses coutures, épousant avec son corps et son âme les chutes, les guérisons, les deuils et les découvertes de cette période mal-aimée de l’existence féminine.

Margie Gillis a notamment adapté sa routine en raison d’une récente opération qui a fragilisé ses genoux et rendu certains mouvements plus difficiles. « Je suis très fière de ce que j’ai fait grâce à mes genoux lorsque j’étais jeune, dit-elle, un large sourire illuminant son visage. J’étais sauvage et gourmande dans mon désir de tout explorer. Aujourd’hui, j’essaie de respecter la nature humaine, avec des formes de mouvement très organiques. Plutôt que de pousser l’idée physiquement, je la laisse venir à moi. Je ne me mesure pas aux choses solides. Je choisis plutôt d’entrer avec énergie et curiosité dans les portes que je peux ouvrir. »

L’expérience a surpassé ses attentes. Prévu initialement pour quatre représentations seulement, le spectacle OLD se poursuivra encore pendant quelques mois. Même si cette création marquera la fin de sa carrière solo, Margie Gillis espère encore pouvoir partager la scène avec d’autres artistes, et transmettre sa passion aux plus jeunes, pendant longtemps. « J’ai de bonnes chances de vivre vieille », chuchote-t-elle, en tournant son téléphone cellulaire. Sur l’écran, la sœur jumelle de sa mère, tête blanche et pouces en l’air, effectue à 98 ans son premier saut en parachute. « J’ai hâte de voir ce qui arrive avec l’âge. Je connais la douleur. Maintenant, je veux découvrir la beauté, la sagesse et l’énergie de la vieillesse. »

Pour plus d’information sur ses prochains spectacles, margiegillis.org

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