Culture

La vie des grands artistes en photos

Le photographe et écrivain québécois Laurent Theillet est allé à la rencontre de gens d’exception pour son livre De visu – Portraits d’artistes. En voici des extraits.

Photo: Laurent Theillet

Marilyn Castonguay

Actrice

Nous étions en début d’après-midi et le soleil tombait, sec et éblouissant, par les puits de lumière et les baies vitrées.

Quand Marilyn est arrivée […] avec ses cheveux noués serré sous une casquette colorée, son sourire sans fard, un petit sac à dos ballottant sur ses épaules, je ne l’ai d’abord pas reconnue. Cela n’a duré qu’un instant, peut-être une seconde. Enfin, mes pupilles se sont adaptées à ce trop-plein de lumière, mon regard m’a été rendu.

Elle m’a conduit jusqu’aux loges afin que j’y place mes lumières et mes fonds. Sa gentillesse et sa beauté, pure, aiguë, sans ambiguïté aucune pour moi, le genre de beauté que l’on trouve dans un arbre, un nouveau-né, une aube… J’ai inspiré profondément, je savais par avance que j’aurais mon image, que sa vérité et sa présence emporteraient tout, soulèveraient le ciel, la technique et les états d’âme. Mon portrait serait aussi nu et sans artifice qu’une image d’arbre, de roche ou de mer. Nous étions tous deux avisés de cela.

Les jours ont passé, mais les images étaient là, définitives. Je les lui ai fait parvenir, et sa réponse immédiate, solaire et sensible, m’a confirmé que ce jour-là, ensemble, nous avions trouvé ce qu’il nous fallait exhumer, mettre au jour, graver d’ombre et de lumière. [Laurent Theillet]

 

Photo: Laurent Theillet

Kent Nagano

Chef d’orchestre

[…] Lors d’une pause, un simple changement de fond, je m’aperçois que le maestro baisse souvent le regard dans une inspiration particulière. Je lui demande quelle est sa pensée à cet instant très précis. «Je voyage à travers la musique, et je l’entends…», me répond-il en souriant.

C’est ça. Voilà ce qu’il me fallait. Je considère le maestro par-dessus mon objectif: «Continuez… laissez la musique se lever en vous. C’est ce dont j’ai besoin.» Nous reprenons les prises de vues, plus lentement, sans indications. Et surtout en silence.

Alors s’opère un mirage, mirage qui prend peu à peu sa réalité. Le maestro ferme les paupières. La musique se glisse dans sa tête, s’y installe peu à peu, semble s’élever, transparente, autour de nous, dans un silence complet. Et cette musique de silence circule, nous émeut, caresse chaque mur et chaque ombre, se lève, vivante, littéralement devant nous. J’ose à peine déclencher. Une fois, deux fois… Puis, très vite je cesse. Je n’en ai plus la nécessité à présent… Jamais un silence n’aura été aussi musical.

Finalement, cet homme n’est pas -seulement musicien; cet homme est la musique. [Laurent Theillet]

 

Photo: Laurent Theillet

Margie Gillis

Chorégraphe, danseuse professionnelle

«Ma mère m’a toujours dit que je dansais déjà dans son ventre… J’ai commencé à danser à l’âge de 3 ans. La danse pour moi était alors totalement naturelle. Comme courir, marcher et respirer, ça faisait partie de la vie. Puis l’adolescence est trop vite arrivée. Et tout a changé. J’avais alors de sérieux problèmes avec mes émotions. J’éprouvais une telle anxiété. J’avais peur des gens, j’étais très gênée, instable. À l’âge de 18 ans, fragilisée, alors que je me demandais ce que j’allais faire de ma vie, j’ai fait un rêve important, dans ce rêve une petite voix se faisait entendre, de plus en plus présente, amicale, et me répétait: “Danse… Il faut que tu danses… Il faut juste que tu danses!” Cette anxiété, cette crise émotive, s’est ainsi transformée peu à peu en mouvement. La danse m’a sortie de cette douleur et m’a permis de me reconstruire, de me manifester à travers la création.

L’art existe pour améliorer la qualité de nos vies. Pour penser un monde meilleur et plus vaste, cerner les problèmes, voir les choses autrement, se questionner. Comment peut-on devenir meilleur? Comment peut-on aller plus loin? La création permet peut-être de gagner en sagesse. Un tant soit peu. Et la danse est simplement une façon organique de le faire. Danser ne relève pas de l’intellect, c’est une manière de changer par l’intérieur, à travers nos corps. Il faut tenter d’embrasser la sagesse du corps et des émotions, effleurer la perception de la vie dans sa totalité. Nous sommes une partie de la nature. Elle est notre créateur et non l’inverse. […]»

 

Photo: Laurent Theillet

Evelyne de la Chenelière

Dramaturge, actrice

Elle entre dans le studio, délicate et sensible, comme un reflet glisse sur l’eau. Son regard est si intense qu’on en détournerait presque les yeux. Je me dis que c’est cela qui doit primer, allumer l’image, le reste ne doit être qu’ombres et formes diffuses. […]

Mon fond photographique est en place à présent. Mes lumières aussi. Les formes s’estompent pour laisser place au regard, au sens et à la présence. La séance est courte et d’un calme absolu. Intense, toujours. Je prends – ou plutôt j’emprunte – encore quelques images vivantes, bien vivantes. Semblables à l’artiste qui me fait face et me sourit.

Le temps est venu – trop vite – de se quitter. Ensemble, nous avons fabriqué des formes. Nous avons allié nos langages et une image est venue.

Nous nous sourions en nous saluant. Evelyne quitte le studio comme elle y est entrée. Délicate et sensible. Tout à fait comme un reflet glisse sur l’eau.[Laurent Theillet]

De visu – Portraits d’artistes, de Laurent Theillet, Les éditions du passage, 104 pages

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