Il y a des vaches qui ont de la chance… C’est ce que je pense en gravissant la colline derrière la fromagerie du Pied-de-Vent, à Havre-aux-Maisons. Dans ce paysage de carte postale, des ruminants brun-noir, de race canadienne, broutent les herbes des Îles en profitant de l’air salin. Je scrute le ciel gris. J’aimerais bien voir ce que les Madelinots appellent un pied de vent : un trou dans les nuages d’où émerge une colonne de soleil qui indique d’où viendra le vent. Peine perdue. Ce jour-là, mon rayon de soleil sera plutôt la famille Arseneau. Lucie, Jérémie et leur fils, le beau Dominique (« Dominique à Jérémie », comme on dit ici), nous font visiter, au photographe Jean Longpré et à moi, le terrain de jeu de leur troupeau.
Le lait cru de ces heureux bovins nourris aux fourrages et aux pâturages locaux est transformé en quelques superbes fromages par des spécialistes associés aux Arseneau. Le plus célèbre est celui qu’on a baptisé le Pied-de-Vent, l’aîné de la famille, une croûte lavée au fin goût de beurre, de champignon et de noisette. Ce produit on ne peut plus terroir est en quelque sorte devenu l’emblème d’un certain renouveau agricole des îles de la Madeleine.
Terre et mer
La pêche reste l’industrie numéro un. C’est le moteur économique des Îles et un irrésistible attrait pour les touristes avides comme moi de homards, pétoncles et autres délices de la mer. Il faut savoir que, lorsque le troupeau de Canadiennes acheté à l’île Verte a débarqué ici, en 1998, il n’y avait plus de fermes laitières sur le territoire. Depuis – comme si une expérience en encourageait une autre –, beaucoup de nouvelles entreprises ont vu le jour. De quoi décupler les sources de plaisirs offertes aux visiteurs gourmands de ma sorte !
Envie d’accompagner les pêcheurs dans le golfe ? Bonne chance ! En général, l’idée d’embarquer des curieux ne les emballe pas tellement. Après tout, ils vont en mer pour bosser. Et ils quittent le quai aux aurores. Offrez-vous plutôt une expédition organisée.
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En voici quelques exemples. Le Veau des Nathaël, une ferme établie près de la fromagerie, qui récupère la progéniture du Pied-de-Vent et fournit en viande fraîche les épiceries des Îles. Les Cochons tout ronds, de Havre-Aubert, une charcuterie artisanale qui confectionne toutes sortes de cochonnailles et que le chroniqueur Daniel Pinard a fait connaître en la portant aux nues. Enfin, L’’Anse aux herbes, une herboristerie de Fatima, qui fabrique notamment une huile aromatisée au persil de mer, une herbacée vivace de la région.
Dans l’île du Havre aux Maisons, une autre famille Arseneau a réhabilité en 1996 le seul fumoir à hareng encore debout. Dire qu’il y en a déjà eu plus de 40 ! Dans les années 1970, à cause de la surpêche et d’une gestion déficiente des stocks, la pêche au hareng a quasiment disparu et tous les fumoirs ont été démolis.
Tous, sauf un : celui de Fabien Arseneau. Son petit-fils Benoît (Ben à Ben) nous fait visiter. Un bâtiment sert de minimusée historique. L’autre, c’est le fumoir. À voir… et à sentir ! Je trouve l’odeur merveilleuse. Et la vue de ces milliers de poissons suspendus sous un petit feu de bois d’érable, inoubliable. Les Arseneau font boucaner, selon la méthode traditionnelle, les harengs apportés par les homardiers madelinots, en début de saison. Mais la quantité n’est pas suffisante. Il en arrive de l’Île-du-Prince-Édouard, entre autres. L’important, c’est que le hareng fumé est de retour aux Îles. On en vend même aux comptoirs-caisses des dépanneurs.
Le terroir réinventé
Jeannot Aucoin, quant à lui, a commencé son aventure, l’élevage de sangliers, dès le début des années 1990. « Je voulais faire quelque chose de différent. Et comme je suis quelqu’un de rough, j’ai besoin d’animaux rough », explique ce pêcheur de homards. Chaque jour, après sa tournée matinale en mer, il s’occupe de ses 70 bêtes. Jean et moi l’accompagnons par un matin pluvieux, question d’examiner de plus près ces charmants animaux. Je reste prudemment derrière les grilles de l’enclos pendant que Jeannot y entre et appelle par de drôles de cris ses durs à cuire pour leur distribuer leur ration d’orge. Les bêtes n’ont pas l’air commode. « Ça reste des animaux sauvages », dit-il pour me rassurer…
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Mis à part le fait que ça semble de toute évidence l’amuser, Jeannot élève des sangliers dans le but de produire jambons, pâtés, cretons et saucisses. Mais ça, c’est le domaine de sa femme, Gilberte Arseneau, qui vient d’ouvrir sa boutique, Au coin des sangliers, à Fatima. Entre parenthèses, je pense que, toutes proportions gardées, il y a encore plus d’Arseneau aux Îles que de Tremblay au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Plus tard dans la journée, alors que le mauvais temps s’amplifie, nous trouvons refuge À l’abri de la tempête. Sans blague. C’est le nom d’une microbrasserie occupant une ancienne usine de transformation de poisson à L’Étang-du-Nord. Jean-Sébastien Bernier, un des cofondateurs, nous montre avec fierté les installations, en particulier la ligne d’embouteillage nickel achetée en Italie à fort prix. Après quelques années de travail à la main, c’est apparemment le grand luxe.
À l’étage, changement de décor. Dans le bar ouvert aux visiteurs, de rustiques pièces de plomberie de bateau ont servi à construire les robinets des pompes à bière. C’est cool ici ! Jean-Sébastien m’invite à essayer la formule dégustation. Trois miniverres, servis sur un plateau, me permettent de déguster en comparant arômes et saveurs. J’adore.
Parmi les huit bières de la maison, une blonde porte le nom de Vieux-Couvent, en l’honneur d’une auberge de Havre-aux-Maisons ; une rousse s’appelle Pas perdus, du nom d’un populaire café de Cap-aux-Meules ; et une noire, La Grave du Café, évoque le célèbre Café de la Grave, lieu très fréquenté et un brin granola de Havre-Aubert. L’orge, les algues et les herbes sauvages utilisées dans la fabrication des bières proviennent, bien sûr, de l’archipel.
Sylvie Langford transforme aussi en alcools les produits de la terre madelinienne. Et comme dans le cas de la microbrasserie, c’est en 2004 qu’elle et son conjoint, Léonce Arseneau, ont ouvert leur entreprise : Le Barbocheux. Le nom vient de l’expression « aller barbocher », soit se déplacer d’une demeure à l’autre et y prendre un p’tit verre.
Dans la maison familiale de Havre-aux- Maisons, Sylvie utilise fraises, framboises, canneberges, bleuets sauvages, fleurs de pissenlit et airelles (« berries ») pour concocter du vin fortifié, de la liqueur de petits fruits et de la bagosse. « Ici, explique-t-elle, chacun a sa recette de bagosse. C’est le vin artisanal traditionnel. » L’été, des centaines de touristes arrêtent chez elle acheter quelques bouteilles. Bagosses ou bières des Îles, il y a de quoi trinquer local.
S’informer avant de partir
Le site de l’Association touristique des Îles de la Madeleine fournit l’info de base habituelle : accès, hébergement, services.
Le Bon goût frais des Îles de la Madeleine réunit 75 producteurs et restaurateurs. Son site donne les points de vente des produits madelinots au Québec.
Gaspésie, Bas-Saint-Laurent, Îles de la Madeleine, de la collection Guide de voyage Ulysse. Pour des idées d’activités, d’hébergement et de lieux à voir.
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Travail à la chaîne
Jean-Sébastien Bernier (de la brasserie À l’abri de la Tempête) et d’autres entrepreneurs madelinots m’ont confié que c’est le maillage entre eux qui fait la réussite de chacun. C’est la force des insulaires, pourrait-on dire. Ainsi, le petit-lait du Pied-de-Vent est servi aux sangliers de Jeannot, tandis que la drêche (résidus de la fabrication de la bière) est récupérée pour Le Veau des Nathaël. Quant au boulanger Laurent Lacoquelle de La Fleur de sable, à Havre-Aubert, il a créé des recettes intégrant des produits régionaux : un pain à la bière des Îles et une fougasse au hareng fumé, par exemple. C’est évidemment ce que font aussi les chefs des restaurants.
Homard et cie
Pétoncles, myes, moules, couteaux de mer, morue, flétan… Quel bonheur de s’asseoir à une table de restaurant aux Îles de la Madeleine ! Lire le menu est déjà jouissif. En mai et juin, on peut savourer du homard tout juste pêché. Le meilleur homard du monde, selon bien des amateurs, parce qu’il vient de fonds rocheux et n’a pas de petit goût de vase comme d’autres. Auparavant, ç’a été la courte saison du crabe des neiges, en avril-mai.
Dans mon resto chouchou, le Bistro du bout du monde, en plus de délicieux fruits de mer, j’ai mangé du loup marin. En d’autres mots : du phoque. Servie rosée, avec une sauce au chocolat noir, la viande préparée par le chef Luc Jomphe me rappelle un peu celle de l’orignal. Aucun goût de poisson. Très bon. En passant, mieux vaut ne pas aborder la question de la controversée chasse aux phoques avec le chef. Ou plutôt si, si on veut entendre une histoire autre que celle véhiculée par les militants animalistes. Cette activité traditionnelle, bien réglementée, amène de l’eau au moulin dans beaucoup de familles d’ici. Quoiqu’elle soit sans doute moins lucrative aujourd’hui.
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Mais retour au Bistro. Nous y avons passé la journée, histoire de ramener quelques recettes et des photos de ces plats créés par le chef Jomphe. Ce jour-là, tandis que nous placotions popote, Geneviève Joyal (la blonde de Luc) est arrivée les bras chargés de boîtes et de sacs de laitues, de fines herbes, etc., qui allaient servir à composer le menu du soir. Les produits étaient superbement frais. Ils venaient des Bio-Jardins Plein Sud. Lancée par deux filles il y a plus de 20 ans, l’entreprise a un petit quelque chose du « retour à la terre » avec sa douzaine de potagers ici et là et ses serres débordantes. Céline Bouchard nous a reçus dans l’une d’elles, un autre jour, alors qu’il pleuvait à boire debout…
Même scénario météo quand on a voulu aller voir les pétoncles géants dans la lagune du Havre aux Maisons. Culti-mer y élève des mollusques en suspension dans l’eau, notamment dans des paniers. De très gros pétoncles, de la variété Princesse, sont vendus en coquille après avoir mis trois ans à atteindre leur taille impressionnante. Nous ne verrons pas la récolte, à cause du mauvais temps. Mais nous nous régalerons de ces fameux pétoncles, préparés par Luc Jomphe.
Ma table aux Îles
Re-retour au Bistro, donc. Le chef dit s’inspirer de la façon de faire italienne, soit une cuisine de proximité qui mise sur la fraîcheur des produits locaux. Son resto est sans doute le plus hot des Îles. À peine 30 places… drôlement convoitées pendant l’été ! L’endroit est très sympathique, tout en jaune beurre, lumineux. La Grave, le secteur où le Bistro se trouve, est un site historique animé. Boutiques et restaurants se sont installés dans d’anciens bâtiments de pêcheurs. Il s’agit en fait d’une petite plage de galets. Geneviève, la conjointe de Luc, qui nous a accueillis si chaleureusement, affirme que, par beau temps, le coucher de soleil est extraordinaire. Je n’en ai rien vu, vous savez pourquoi. Mais c’est le bonheur que je vous souhaite si vous passez par là. Il y a aussi des jours ensoleillés aux Îles !
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Salade de homard
Cette fraîche salade de homard peut être apprêtée de mille et une façons. Avec la pince. C’est chic !
Petits gâteaux polenta et Pied-de-Vent
Une façon originale de déguster un populaire fromage des Îles.
Pétoncles tièdes et nectarines
Des pétoncles servis presque crus, façon ceviche.
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Auberge et restaurant
Domaine du Vieux Couvent
292, route 199, Havre-aux-Maisons
domaineduvieuxcouvent.com
Tél. : 418 969-2233
Boucherie
Boucherie Côte à Côte
295, ch. Principal, Cap-aux-Meules,
Tél. : 418 986-3322
Boulangerie
Boulangerie artisanale La Fleur de sable
102, route 199, Havre-Aubert
lafleurdesable.com
Tél. : 418 937-2224
Charcuterie artisanale
Les Cochons tout ronds
33, ch. de l’école, Havre-Aubert
cochonstoutronds.com
Tél. : 418 937-5444
Culture de pétoncles
Culti-Mer
55, route 199, Fatima
ilesdelamadeleine.com/culti-mer
Tél. : 418 986-4243
Distributeur des pétoncles Culti-Mer
Pec-Nord
Pec-nord.com
Tél. : 1-866-653-7227
Écomusée – fumage de poissons
Le Fumoir d’antan
27, ch.du Quai, Havre-aux-Maisons
fumoirdantan.com
Tél. : 418 969-4907
Fabrication de vin artisanal
Le Barbocheux
475, ch. Cap-Rouge, Havre-aux-Maisons
bagossedesiles.com
Tél: 418 969-2114
Ferme d’élevage
Le Veau des Nathaël
La Ferme Arseneau
326, ch. de la Pointe-Basse, Havre-aux-Maisons
eva-anne.com/veau
Tél. : 418 969-4053
Fromagerie
Fromagerie du Pied-de-vent
149, ch. de la Pointe-Basse, Havre-aux-Maisons
Tél. : 418 969-9292
Herboristerie
Herboristerie l’Anse aux Herbes
187, ch. Belle-Anse, Fatima
418 986-3936
anseauxherbes.ca
Jardins potagers
Les Bio-Jardins Plein-Sud
1442, ch. de L’Étang-des-Caps, Bassin
Tél. : 418 937-5388
Microbrasserie
À l’abri de la Tempête
286, ch. Coulombe, L’Étang-du-Nord
Alabridelatempete.com
Tél. : 418 986-5005
Pâtisserie-chocolaterie
Hélène des Iles
90, route 199, Havre-aux-Maisons
Tél. : 418 969-2404
Produits du sanglier
Aucoin des Sangliers
548, ch. Des Caps, Fatima
Tél. : 418 986-6799
Restaurants et cafés
Bistro du bout du monde
951, route 199 (ch. de la Grave), Havre-Aubert
bistroduboutdumonde.com
Tél. : 418 937-2000
La Factrie
521, ch. Gros-Cap, l’Étang-du-Nord
ilesdelamadeleine.com/gros-cap
Tél. : 418 986-2710
La table des roy
1188, route 199 (ch. La Vernière), L’Étang-du-Nord
latabledesroy.com
Tél. : 418 986-3004
Le Café de la Grave
969, route 199 (ch. de la Grave), Havre-Aubert
Tél. : 418 937-5765
Les Pas Perdus
169, ch. Principal, Cap-aux-Meules
pasperdus.com
Tél. : 418 986-5151
