C’est l’un des plus célèbres quartiers de Paris, les touristes s’y massent au pied de la meringue blanche qu’évoque le Sacré-Cœur, au sommet de la Butte. Quand je résidais dans la Ville Lumière, j’évitais cet arrondissement, le croyant réservé aux marchands de gadgets et aux gribouilleurs de la place du Tertre, l’imaginant un peu désuet.
J’avais tout faux! Montmartre est un lieu magique où aiment vivre les artistes… et les gourmands. De nombreux jeunes chefs s’y sont installés. Je viens d’y passer une semaine des plus agréables, imitant la romancière montmartroise Michèle Barrière, qui traverse rarement le boulevard Clichy délimitant son quartier du reste de Paris. « Pourquoi aller ailleurs? demande-t-elle. On a tout ce qu’il faut ici : nous sommes autosuffisants! Avec d’excellentes boutiques gourmandes, dont le formidable traiteur Tentazioni, rue Tholozé. » J’ai vérifié. Elle a raison : les effluves de tomates rissolées et d’ail grillé qui s’échappent de la minuscule cuisine sont irrésistibles!
Quelques pistes aromatiques
Par où commencer cette balade gourmande? Vous dire d’abord que vous ne prendrez pas un gramme grâce aux innombrables côtes et escaliers de Montmartre! Acceptez de vous perdre dans ce quartier-labyrinthe, c’est la meilleure façon de faire de jolies découvertes, comme, rue Caulaincourt, la crèmerie Par ici les fromages. Grande comme ma main, c’est le rêve pour les amateurs de reblochon ou de brie. On m’y a même proposé d’emballer sous vide le chèvre qui me tentait afin qu’il échappe aux douaniers!
À deux pas (au numéro 53), c’est mon clone sucré qui jubilait?: maître chocolatier-pâtissier et Meilleur Ouvrier de France 2007, Arnaud Larher offre des macarons d’une légèreté exceptionnelle (goûtez celui à l’absinthe…), des cakes moelleux au thé matcha, des chocolats divins. Sans oublier, pour l’apéro, les pailles feuilletées aux herbes ou au parmesan les plus croustillantes du monde! J’en ai apporté chez des amis qui habitent dans le 15e arrondissement et qui, désormais, traversent Paris pour s’approvisionner.
En « escaladant » la rue du Mont Cenis, on atteint la rue Ferdinand Flocon et L’Oxalis, resto qui tient son nom d’une plante parente de l’oseille. Il n’y en a pas dans la suave morue aux petits légumes safranés ni dans le croustillant de gambas aux épices tandoori, mais qu’importe, on se régale dans ces lieux où dominent les tons chauds… couleur rhum comme celui du baba à la Chantilly! Un charme que ne vient pas briser l’addition. Entrée : 9 euros ; plat : 20 ; dessert : 7 ; flûte de champagne : 9.
Autour des Abbesses
De là, une course de deux stations de métro vous ramène vers la place des Abbesses, où se trouve le mur des Je t’aime, devant lequel s’embrassent volontiers les amoureux. Les terrasses se succèdent rue des Abbesses, mais arrêtons-nous d’abord à terre d’Oc, une très chouette boutique de design d’intérieur. Si ma valise avait été plus grande, j’aurais rapporté une théière habillée de son cache-cœur chinois pour garder au chaud le Tama Ryoku Cha que j’ai acheté rue des Martyrs chez neo.T., avec des «délits sucrés», pâtes d’amandes si jolies que j’ai hésité à les manger. Je me suis plutôt rabattue sur l’encens au parfum évoquant les gâteaux à la fleur d’oranger et celui de la Lune, si mystérieux, aux arômes d’épices exotiques.
Faisons encore quelques pas, puis arrêtons-nous au Nazir, où se rencontrent les Montmartrois pour siroter une menthe à l’eau ou un verre de sauvignon. Continuons jusqu’à l’incontournable brasserie La Mascotte et pénétrons dans la grande salle afin de s’y régaler d’un plateau géant de fruits de mer (89 euros) débordant de praires, crevettes, bouquets, bulots, bigorneaux, moules, huîtres et tourteaux. On en a pour deux bonnes heures à décortiquer tout ça en dégustant un Chablis Vieilles Vignes (26 euros). On peut aussi composer un plateau plus modeste en choisissant à la carte. Les serveurs en long tablier blanc y sont très attentionnés. Le temps s’arrête… et vous croiserez peut-être l’élégant, l’adorable Michou, proprio de la boîte de transformistes portant son nom, qui conserve à 80 balais un teint rose de jeune fille. Son secret? Avaler deux bouteilles de champagne par jour! Je ne sais pas s’il se ravitaille à La Cave des Abbesses, mais moi j’y ai acheté, sur les conseils éclairés du caviste qui organise souvent des dégustations dans l’arrière-boutique, un fabuleux Condrieu au nez de violette qui fleurait bon le printemps et un champagne d’un petit producteur très équilibré (les bulles, pas le producteur!).
On boira un carafon de bordeaux (50 cl, 17 euros) À la Pomponnette, rue Lepic, vénérable institution où la cuisine bourgeoise permet de renouer avec les classiques escargots à l’ail, l’os à la moelle (12 euros), le magret de canard, le gigot d’agneau (22 euros), dans un décor qui date de 1913. C’est un de ces rares lieux chargés d’histoire qui n’est pas un piège à touristes. Contrairement au Basilic, aussi rue Lepic : magnifique maison, invitante avec sa dentelle de lierre et sa grande cheminée, mais au service impersonnel, à la cuisine lourde et à la musique insupportable.
Heureusement, tout près, rue Aristide Bruant, il y a La Balançoire, où Antonin nous accueille avec gentillesse. J’ai siroté un verre de Chitry (4,20 euros) en attendant un doux velouté de lentilles et un parmentier de canard que faisait chanter une pointe de caramel créée par l’ajout d’un peu d’abricot dans le hachis de champignons. C’est copieux… Malgré tout, impossible de résister au trio de desserts : riz au lait délectable, cheese crumble aux fruits rouges et tiramisu. La clientèle du resto, à 75 % féminine, est séduite par tant de délicatesse. Il faut essayer la vodka aux fraises Tagada, trop girly!
Au rythme des Montmartrois
Rue Véron, à quelques mètres de là, on s’abrite sous les ailes du Colibri, troquet sans prétention où ma copine Fabienne, l’adorable pharmacienne de la rue des Trois Frères, m’a emmenée. Une clientèle d’habitués picole au bar en attendant le sauté de veau (et sa montagne de haricots verts), avec une salade de primeurs en entrée et un verre de rosé (14 cl, 3,80 euros) ; parfait à l’heure du lunch. Fabienne me parle des Montmartrois qui savent prendre le temps de vivre?: « Nous sommes si bien ici, comme dans un village. Tout le monde se connaît, s’entraide. On a des fêtes, une kermesse. Et le marché tous les vendredis près de la station de métro Anvers. » Je la suivrai jusqu’à la librairie de son frère Guillaume, rue Tardieu, pour potasser les livres de cuisine avant de croiser la rue d’Orsel… où j’ai trouvé, dans la boutique Au Boudoir de Marie, un trop mignon corset au motif de fraises des champs. Même les vêtements ont un petit quelque chose de gourmand à Montmartre!
Presque au coin de cette rue et de celle des Abbesses, on s’émerveille des fantastiques produits de l’épicerie Lion. Des sucres d’orge et des guimauves voisinent les kits de riz à préparer : riz pilaf indien aux fruits secs, risotto aux cèpes et noisettes ou à l’huile d’olive, orange et sauge. Tout à côté, des tisanes qui goûtent les fleurs des champs, digestives ou toniques, des sirops sans colorants, des miels d’acacia et de sapin et des graines de radis, de tomate, de concombre (qu’on peut envoyer chez soi par la poste pour éviter tout souci aux douanes). C’est pimpant comme un potager, avec une proprio souriante, très soucieuse de biodiversité et de culture responsable.
Grand repos : hôtels et… cimetière
Un peu lasse? Si on loge à l’Adagio, il est possible d’y prendre son petit-déjeuner ou de préparer un pique-nique car c’est un « aparthôtel » avec cafetière, four micro-ondes, vaisselle. Excellente formule qui permet d’acheter des charcuteries et des salades chez les traiteurs des alentours. L’accueil est fort agréable et il y a un jardin où on peut bouquiner au calme. Pour une vue exceptionnelle, il faut se rendre au Terrass Hotel, un très chic établissement où, au septième étage, on sirote très agréablement un cocktail en contemplant tout Paris. Inoubliable! L’espace d’un instant, j’ai eu envie de descendre vers d’autres quartiers de Paris…
Mais non! Montmartre m’a gardée captive. J’ai choisi d’arpenter les allées de son vaste cimetière (11 hectares), où reposent en paix La Goulue, danseuse au Moulin-Rouge et modèle de Toulouse-Lautrec, Offenbach, Zola, qui a décrit mieux que quiconque les étals impressionnants des marchés (Le ventre de Paris constitue le meilleur des apéritifs), et Marie-Antoine Carême, illustre cuisinier… qui aurait été fier du travail du chef Sébastien Guénard du bistrot Miroir. Je m’installerais volontiers à Montmartre afin de pouvoir m’y pointer régulièrement. J’y ai mangé une extraordinaire salade d’asperges aux lamelles de truffe noire, d’une beauté et d’une justesse dans l’équilibre des goûts absolument renversantes. TOUT est délectable au Miroir, depuis le pain tendre à la croûte craquante jusqu’aux gougères au chorizo qui précédaient les entrées. La terrine de canard, où l’on identifiait très bien la chair du volatile, était accompagnée d’un chutney au kumquat et au navet décoiffant. Le filet de turbot grillé qui suivait s’effeuillait sur la langue et la purée de céleri sur laquelle il était couché, le cappuccino de jus de poisson et son corail frisaient la perfection. Ce grand talent est reconnu et Charlotte, qui nous y reçoit si gaiement, conseille de réserver. Je le ferai à mon prochain séjour, car je veux goûter à l’entrecôte de cochon poêlée, au pavé de cabillaud et chou farci et aux quenelles de chocolat dont se délectaient mes voisines de table. (Entrée : 11 euros ; plat principal : 20 ; dessert : 11.)
Au Café qui parle, rue Caulaincourt, c’est l’insolite présentation des saint-jacques qui m’a ébahie?: elles «décoraient?» des galets ramassés en bord de mer et j’avais l’impression de respirer le parfum de l’iode tant la chair crue des mollusques était fraîche. Une épaule d’agneau à l’aubergine fumée m’a ravie par la suite, tout comme le style décontracté de l’endroit, l’ambiance cool et la formule du marché à midi?: entre 12 et 17 euros.
Du côté des vignobles
Vous voilà d’attaque pour partir à la découverte des vignes du coin : le Syndicat d’initiative de Montmartre (21, Place du Tertre) propose une promenade guidée autour du Clos Montmartre, qui produit sur place un nectar éponyme aux arômes de baies rouges (environ 800 bouteilles par an).
Le quartier la Goutte-d’Or tire son nom d’un cépage qu’on y cultivait au Moyen Âge. Pour plonger dans cette époque, lisez les romans policiers de Michèle Barrière, dont le fil conducteur est la gourmandise. On trouve des recettes à la fin des bouquins. « Recettes testées par mes voisins », m’a-t-elle confié au Café des 2 Moulins, où a été tourné Le fabuleux destin d’Amélie Poulain.
Pour avoir une idée de la fantaisie qui règne sur la Butte, adoptez le commissaire Léon, le flic qui tricote, madame Édouard, le travelo ménagère, ou Jeannot, le patron du bistrot, personnages créés par une autre romancière, Nadine Monfils. On lèverait volontiers le coude en leur surprenante compagnie. À la vôtre!
Pour connaître les adresses de Chrystine Brouillet.
Ce reportage a été rendu possible grâce à l’aimable collaboration d’Air Transat.