Voyages et escapades

Road Trip en Arizona

Le plan était simple: rouler dans le désert et abuser des photos de cactus. Je n’avais pas prévu explorer vignobles, vallée verdoyante et montagnes touffues. Bienvenue en Arizona… vraiment?

Photo: Rachid Dahnoun/Getty Images

Mes valises à peine déposées à Phoenix, toutes mes attentes sont comblées. Le soleil qui plombe « plus de 300 jours par année », dixit les dépliants touristiques, domine un ciel limpide. Les 32 degrés Celsius affichés au thermomètre sont tout discrets, tant l’air est sec. Bref, cette immersion dans le sud-ouest états-unien est parfaite pour une Nordique qui en a marre que l’été se fasse attendre chez elle… Mais, soyons honnête, ce n’est pas tant la ville qui m’intéresse. Ni ses nombreux terrains de golf, attrait majeur pour moult snowbirds. Non, je n’ai qu’une envie : explorer le Far West.

Car l’aventurier peut s’en donner à cœur joie. L’Arizona a beau être plutôt peuplé (un peu plus de 7 millions d’habitants pour un territoire cinq fois plus petit que le Québec), près de 90 % de ses résidants habitent en zone urbaine, ce qui laisse un très grand terrain de jeu pour s’amuser. Randonnée pédestre ou équestre, vélo, VTT, camping… Les moyens ne manquent pas pour découvrir cette contrée qui a attiré les chercheurs d’or au milieu du 19e siècle et de nombreuses tribus amérindiennes bien avant eux.

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Photo: Witold Skrypczak/Getty Images

Bucolique randonnée

J’avoue m’être un peu prise pour Lucky Luke « avec pas d’cheval » en entrant dans le parc régional Usery Mountain. Les sentiers pour randonneurs de tout calibre serpentent dans le désert ou la montagne, et permettent d’observer une biodiversité exceptionnelle. Cactus, fleurs du désert, tamias, lièvres, tortues, aigles, hiboux… De même que, m’apprend le guide à l’entrée, scorpions et serpents à sonnette. Pardon ? Hésitant un instant entre déguerpir en hurlant ou exhiber ma poker face comme si j’avais été élevée sur une ferme de reptiles, j’ai penché pour la seconde option.

Je ne l’ai pas regretté. Partout dans ce parc en altitude, on peut contempler les plaines qui se déploient à l’infini. Çà et là, des rochers émergent, sans prévenir. On imagine qu’ils ont déjà servi de points de repère aux voyageurs. Au loin, sur une montagne, des lettres blanches géantes et une flèche indiquent la direction vers Phoenix. C’est à ce moment que le célèbre personnage de bande dessinée aurait crié : « Allez, hue, Jolly ! » avant de galoper dans le crépuscule rougeoyant. Rien de tel pour moi. Il est à peine midi et je sue ma vie sous un soleil devenu impitoyable. Note à moi-même : un cactus, ça ne fait pas beaucoup d’ombre. L’heure est venue d’aller découvrir les environs en voiture et de remercier l’inventeur de la climatisation.

Rouler en Arizona est un voyage en soi. Des heures peuvent s’écouler sans que l’on croise autre chose qu’une vieille roulotte installée sur un campement de fortune ou un troupeau de bétail. Les paysages défilent sous un ciel changeant et l’horizon semble inatteignable. On y perd un peu la notion du temps. De l’époque, aussi. Le spectacle devait être à peu près le même vu d’un train à vapeur ou d’une carriole.

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Saut dans le temps

Plusieurs panneaux annoncent des sites touristiques reconstituant l’époque de la ruée vers l’or. Une belle occasion de découvrir la vie des pionniers, certes. Mais aussi, si on n’y prend pas garde, de se transporter dans un mauvais western, décors en carton-pâte et acteurs plus que moyens inclus. Il est préférable de s’informer sur les endroits qui valent le détour avant de bifurquer de sa trajectoire, surtout qu’il y a moyen de s’imprégner du passé dans des petites villes toujours bien vivantes.

On en trouve quelques-unes dans la Verde Valley, à une heure et demie de route de Phoenix. La région compte plusieurs sites authentiques retraçant la vie des Amérindiens et des premiers colons. À Cottonwood, jadis berceau de la contrebande, on peut encore suivre les traces des hors-la-loi dans le quartier historique. Sur la rue principale s’alignent des commerces cubiques aux ­galeries couvertes datant des années 1920 et 1930, apogée de la période de la prohibition aux États-Unis. Une légende veut d’ailleurs que le plus grand passeur d’alcool de l’État, un certain Joe Hall, y ait installé un bar clandestin et un réseau de tunnels. Une autre clame haut et fort que le gangster Al Capone a séjourné dans la prison locale… Malgré cet héritage rebelle, l’ambiance qui règne aujourd’hui ressemble davantage à celle qui baigne tout le nord de l’Arizona : bohème, artistique, loin des tendances et du rythme urbain.

C’est ce même esprit qui habite Sedona, tout près. L’endroit est connu pour ses spectaculaires rochers de grès rouge qui ont servi de décor à plusieurs films hollywoodiens, et pour son nombre élevé d’artistes et d’adeptes du nouvel âge. Les premiers sont venus pour s’inspirer des paysages, les seconds pour bénéficier de l’énergie thérapeutique qui se dégagerait des monolithes (l’usage du conditionnel n’est pas fortuit ici !). La ville a conservé ce cachet hippie. Les galeries d’art, les concerts et les performances artistiques de toutes sortes abondent, comme les centres de santé et de spiritualité (certains permettent même de faire photographier son aura !). Mais cette saveur se perd un peu dans la foule dense qui assaille Sedona dès l’arrivée des beaux jours. Touristes, amateurs de plein air et résidants nantis se bousculent sur les trottoirs et congestionnent les rues.

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Photo: Page Springs Cellars

Vallée de tous les charmes

Après avoir résisté âprement à l’envie de me faire lire les chakras, j’ai pris la clé des champs vers les hameaux de la vallée, beaucoup plus paisibles. Coup de cœur pour Page Springs, qui recèle un secret bien gardé. Du moins l’était-il pour moi. Je ne pensais pas y découvrir une route des vins absolument charmante, où on peut déguster des cabernets, zinfandels et syrahs dans des décors de cartes postales. Il faut dire que ça ne fait pas des lustres qu’on produit du vin ici. Une quinzaine d’années tout au plus, quand des petits futés ont compris que les vignes apprécieraient le sol volcanique de la région et son altitude. Leurs produits n’ont pas tous l’équilibre des meilleurs californiens, juste à côté. Mais certainement un caractère unique, qui s’harmonise à la vue qui s’offre à nous quand on les savoure sur une terrasse donnant sur les montagnes rouges ou à l’ombre des arbres immenses aux abords de la rivière Oak Creek.

Car c’est l’un des principaux attraits de la Verde Valley : le contraste de ses paysages. Les cours d’eau qui sillonnent la vallée sont constamment alimentés par les ruisseaux des montagnes, même l’été. La végétation y est donc riche et abondante, créant une « ceinture verte » dans une région autrement aride. Le gîte où j’ai dormi, The Vineyards Bed and Breakfast, en est un exemple parfait. En prenant le chemin qui mène à la propriété, on a l’impression d’entrer dans un terrarium protégé par une cloche de verre. Les majestueux saules forment un dôme sous lequel foisonnent les fleurs et une pelouse digne d’un terrain de golf. Le site est bordé d’un côté par des vignes sablonneuses, de l’autre par des montagnes désertiques. Une bulle de fraîcheur dont on ne veut plus sortir alors qu’on devine la journée caniculaire à quelques mètres de là. Mais impossible de se contenter de lézarder après avoir écouté les proprios, Bruce et Tambrala, vanter tous les autres petits joyaux de Page Springs qui ne demandent qu’à se laisser découvrir.

Bien aiguillé, il est possible de vivre des expériences assez inusitées dans le secteur, comme une excursion en kayak se concluant par une dégustation de vin ou un repas gastronomique dans une ancienne station-service transformée en resto-bar, un endroit où je n’aurais pas pensé m’arrêter. En effet, la façade du Up the Creek Grill, dont la porte est ornée de vieilles lanternes et d’une roue de charrette, donne l’impression qu’on devra se contenter de bières et de nachos. Rien ne laisse deviner la ravissante véran­da donnant sur la rivière, les péton­cles cuits à la perfection et la passion pour le jazz du chef proprio, qui s’installe au piano entre deux services… Mémorable.

J’aurais bien passé un jour de plus dans mon gîte sympa. Même après avoir appris qu’un gros serpent surnommé Albert aimait bien, lui aussi, se prélasser sur la jolie pelouse de Bruce et Tambrala, m’obligeant à feindre mon air reptile lover pour la seconde fois du voyage. Mais les grands espaces m’appelaient. Il était hors de question que je parte de l’Arizona sans avoir vu le Grand Canyon. J’ai donc repris mon cheval à quatre roues et me suis lancée vers le nord.

 

Photo: Daniel Viné Garcia/Getty Images

On the road again

À ce stade du voyage, j’étais convaincue avoir tout vu de l’Arizona. Euh, quelle naïveté ! La Route 89, le parcours dit panoramique, m’a fait traverser des forêts touffues et d’imposantes pinèdes, puis monter, monter encore, sur un chemin de plus en plus étroit pour atteindre plus de 2 000 m d’altitude. Un périple magnifique, où chaque détour offre une vue plus impressionnante que la précédente, mais où on ne trouve à peu près aucun service.

Premier signe véritable du retour à la civilisation : Flagstaff, également seul arrêt d’importance avant le Grand Canyon, pourtant encore à une heure et demie de route. Cette petite reine du Nord semble bien paisible avec ses sommets enneigés, son université et ses touristes. Mais elle cache un passé houleux, digne des meilleurs westerns, que j’ai découvert avec Blake, mon guide à vélo. Il m’a tout raconté de cet ancien camp de bûcherons devenu ville malfamée. Comment les habitants, furieux que leur shérif hésite à pendre les assassins d’un tenancier de saloon, ont simplement tué ledit shérif, forçant le gouvernement à construire un palais de justice. Comment les nombreuses microbrasseries locales n’ont rien d’une nouvelle tendance, mais sont plutôt l’aboutissement d’une centaine d’années d’expérience à distiller illégalement de l’alcool.

Intéressant, aussi, de découvrir que Flagstaff a évité le sort des autres localités qui longeaient la mythique Route 66 dans les années 1960 en refusant de faire son bout d’autoroute. Cette dernière a bien été construite par la suite, mais de façon à ce qu’on passe tout près de la ville. Le flux de touristes n’est plus comparable à ce qu’il était à l’époque où les vacanciers s’arrêtaient dans chaque bled pour faire le plein d’essence, manger et dormir. Comme le résume mon guide, le voyage était alors aussi important que la destination. Mais on y croise encore beaucoup de visiteurs, venus pour l’université, les attraits naturels de la région ou, comme moi, pour faire une halte avant de se rendre au Grand Canyon.

J’ai repensé aux propos de Blake lorsque j’ai enfin eu les deux pieds au bord du gouffre légendaire, probablement le plus photographié au monde. Oui, la vue est indescriptible et nous fait réaliser, une fois de plus, à quel point la nature est plus grande que l’Homme. Mais elle était à la hauteur de mes attentes, sans plus. Ce que je n’avais pas prévu, c’est l’immense beauté des petits canyons et des prairies. Un territoire pratiquement inoccupé, sinon par quelques autochtones dans des fermettes solitaires. Une apaisante impression de bout du monde… Comme quoi il arrive encore que le voyage soit plus important que la destination.

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Photo: Crystelle Crépeau

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