Générale

Espèces menacées

L’uniformisation, c’est ma hantise. J’aime ce qui retrousse, dépasse, détonne, dévergonde, rouspète, vagabonde et polpette (cherchez pas, ce sont de petites boulettes de viandes que les Italiens affectionnent, rien à foutre, pas rap). Ce matin, mon journal préféré parlait de graphisme et de calligraphie menacés par l’Helvetica. Sur le site du journal, à l’initiative d’Urbania, vous pouvez ajouter votre contribution visuelle et patrimoniale. Savez comme j’aime le patrimonial?

La semaine dernière, j’ai assisté au lancement du livre Sacré Dépanneur! de Judith Lussier et de la photographe Dominique Lafond, une autre entreprise de sauvegarde patrimoniale. Du beau travail aussi. L’histoire des deps, leur style bien particulier, tout croche, pas du tout Boni-Soir, un lieu qui va tout à fait dans l’esprit des espèces menacées. Ce bouquin, c’est du patrimonial social, qui vous rappelle tous les deps qui ont parsemé votre vie depuis l’enfance.

La fin de semaine dernière, dans le même esprit, j’ai pris une photo des dernières boîtes aux lettres regroupées, encore « vivantes », dans les Cantons. On les remplace peu à peu par les horribles cercueils à casiers (avec une clé) de Poste Canada. La fin d’une époque? Oui. Et la fin d’une esthétique. La fin d’un esprit communautaire. La fin de « Mam Girard est malade, tu passerais-tu chercher sa malle en rentrant? ». Ce n’est pas si grave pour ceux qui n’auront jamais connu autre chose (comme mon fils) mais pour ceux dont la devise est « Je me souviens », il y a un pincement au coeur, une certaine nostalgie et un soupir devant le raz-de-marée de l’uniformisation.


Knowlton Landing, circa 2010

Autre espèce menacée? Les tortues. Je sais, ça se mange. Babette en avait fait une soupe dans son festin. Certains les écrasent, comme des chevreuils. Dans les Cantons de l’Est, sur la 243, le Ministère (de la Faune, des Transports, des Espèces menacées?) avait mis une pancarte avec un dessin de tortue comme pour les orignaux, genre « Passage de tortue, prière de ralentir« . La pancarte disparaissait régulièrement, à cause de sa rareté, justement. Ils ont fini par ne plus la remettre. Mais les tortues traversent quand même cette route qui divise leur étang en deux.

Dimanche, donc, nous avons fait demi-tour pour sauver une tortue qui traversait la route à… pas de tortue, je vous le donne en mille. Mes connaissances de la faune amphibienne sont assez limitées, je l’avoue. Je ne voyais qu’une fable et un potage devant mes yeux. Cette tortue de la taille d’un gros ballon de soccer m’avait l’air bien inoffensive.

J’ai tout de même envoyé le fiancé au front – lui qui n’est même pas foutu de faire cuire un homard vivant- pour retourner la tortue côté jardin. Elle a fait mine de le mordre, faut pas pousser mémé dans les orties. Finalement, il s’en est sorti avec les pieds et quelques mises en garde d’art martial et jurons coréens. J’ai rien pigé, la tortue non plus, mais tout le monde était sain et sauf.

Ce n’est que plus tard que j’ai appris que ces tortues pouvaient vous zigouiller un doigt vite fait, aussi sec qu’un coupe-cigare. Le fiancé a exigé congé de homard cette année. Pour les actes de bravoure, de sauvegarde d’espèces menacées, il a donné. Et tant pis pour les tortues. La prochaine fois je prépare un bouillon et j’achète du xérès.

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