Chroniques

Laïcité: est-ce que le premier ministre erre?

Quand même Bouchard et Taylor désavouent le projet de loi sur la laïcité, c’est que le temps est venu de se réveiller pour le gouvernement Legault.

Photo: iStock.com / Drazen_

La Meute qui louange l’intention du gouvernement d’interdire le port de signes religieux, des commentaires islamophobes qui s’affichent un peu partout sur les réseaux sociaux: le projet de loi 21 – comme la Charte des valeurs québécoise avant lui – entraîne déjà une détérioration du climat social. Partout, on observe une libération de la parole raciste, tout particulièrement envers la communauté musulmane.

Et tout ça pour quoi? François Legault n’a pas présenté d’argument pour justifier son projet de loi, à part celui de dire que «le temps est venu».

La vérité, c’est que l’État est déjà laïque. L’inscrire dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne? J’en suis, c’est une bonne idée. Mais bloquer l’accès à une profession à un groupe de citoyennes ou de citoyens en raison de la visibilité de leur appartenance religieuse, c’est de la discrimination. Même Gérard Bouchard ne voit pas la nécessité de réglementer dans le cas des enseignant.e.s, affirmant que la CAQ «erre gravement».

Et que dire de la mesquinerie d’une clause grand-père vous attribuant un droit «acquis», qui ne l’est que si vous renoncez à toute mobilité et avancement professionnel? Retirer à une enseignante le droit «acquis» de porter le voile parce qu’elle change d’école ou qu’elle est nommée directrice – tel que le prévoit l’actuel projet de loi – est injustifiable.

Et aux personnes en train d’obtenir leur diplôme en enseignement, on dit quoi? «Il y a d’autres emplois disponibles?», comme l’a lâché notre premier ministre? Manque de profondeur, quand tu nous tiens…

Chapeau au passage à l’Association générale des étudiants en éducation de l’Université de Montréal (AGRÉÉ) qui distribue des triangles bleus en feutre pour appuyer ces futurs profs qui ne savent pas ce qu’il adviendra de leur carrière.

Le comble de l’hypocrisie

Quant à Charles Taylor, il ne voit pas de motif valable pour interdire le port des signes religieux et je partage son point de vue. Après tout, même (feu) le compromis Bouchard-Taylor sur les personnes en position d’autorité coercitive clochait. Pourquoi? Deux choses.

D’abord, il y a actuellement en exercice des juges, des gardiens de prison et des policiers ultracatholiques, par exemple, ou très conservateurs socialement, sans qu’aucun signe ne le laisse paraître. Le juge qui a demandé à une plaignante victime de viol pourquoi elle n’avait pas serré les genoux ne portait pas de signe religieux. Le professionnalisme et le gros bon sens, ça se passe entre les deux oreilles.

D’autre part, je remarque que beaucoup tiennent pour acquis qu’une personne croyante et/ou pratiquante est plus ou moins arriérée ou même carrément privée de jugement. Ce sont des préjugés. On trouve au Québec des églises protestantes très progressistes et d’autres plus conservatrices. Il en va de même pour les autres mouvances religieuses. Autrement dit, cessons de mettre tout le monde dans le même panier sur la base d’a priori. Et puisqu’on parle (beaucoup trop) d’elles ces jours-ci, laissez-moi vous dire que les Québécoises musulmanes féministes qui ont choisi de porter le hidjab ne sont pas des oiseaux rares. J’en connais des tas!

Personnellement, j’ai bien plus envie de construire un Québec moderne avec elles qu’avec ceux qui contribuent à perpétuer des préjugés et stéréotypes fondés sur l’ignorance. D’ailleurs, petit baume à mon coeur, dans une lettre ouverte publiée la semaine dernière dans La Presse, la professeure Claire Durand révélait que les jeunes Québécois sont majoritairement contre l’interdiction du hijab et du turban, selon les résultats compilés de trois sondages. L’avenir s’annonce donc moins sombre. En attendant, nous sommes engoncés dans un débat passéiste, propulsé par un gouvernement digne du 20e siècle.

Pour le gouvernement de la CAQ et une bonne majorité de la population, les personnes ont «juste» à enlever leurs signes religieux entre 9h et 17h, c’est pas compliqué… Cette manière de penser traduit la grande difficulté pour une personne sans appartenance religieuse d’en saisir la signification pour celles qui en ont une. De ce malentendu découle la situation dans laquelle nous sommes plongés.

Le gouvernement tente de simplifier à outrance les enjeux complexes que sont la culture, la foi et l’identité. Dans quelle proportion joue le côté «culturel et identitaire» par rapport au volet «foi et religion» dans la décision de porter un signe «religieux»? Cela ne varie-t-il pas d’une personne à l’autre? Une chose est sûre, il ne s’agit pas d’un accessoire de mode. Le fait de le porter n’est pas une coquetterie. Prenons l’exemple du kufi, ce couvre-chef porté à la fois par des musulmans, des chrétiens et des juifs et qui symbolise l’âge et la sagesse: signe religieux ou culturel? Permis, pas permis?

Je préfère donc regarder les choses par l’autre bout de la lorgnette: de quoi a-t-on peur, au juste? De quoi cette interdiction est-elle censée nous protéger? Parce que «la règle, c’est la règle» ou «au Québec, c’est comme ça qu’on vit!», c’est un peu court…

Le gouvernement joue avec le feu et au fond, pourquoi? Pour régler des «problèmes» qui n’en sont pas. Il n’a pas réussi à démontrer que son projet de loi impose des restrictions nécessaires et raisonnables aux droits des personnes visées et il ne tentera même pas de le faire devant les tribunaux! Et pour cause, car il perdrait

Espérons que le gouvernement entendra raison et qu’à tout le moins il modifiera ce projet de loi discriminatoire. Ce serait faire preuve d’éthique. Parce que non, la majorité n’a pas toujours raison, et le devoir de nos élus est de s’élever au-dessus de la mêlée.

***

Marilyse Hamelin est journaliste indépendante, chroniqueuse et conférencière. Elle est aussi l’animatrice à la barre du magazine culturel Nous sommes la ville à l’antenne de MAtv. Elle blogue également pour la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et est l’auteure de l’essai Maternité, la face cachée du sexisme (Leméac éditeur), dont la version anglaise – MOTHERHOOD, The Mother of All Sexism (Baraka Books) – vient d’être publiée.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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